Venezuela: un tournant diplomatique inquiétant

Venezuela: un tournant diplomatique inquiétant

Dans le n° 185 de solidaritéS, un chapitre de notre dossier
consacré aux révolutions du monde arabe (et notamment
à la situation en Libye) relevait le caractère
problématique des positions prises par différents
gouvernements de gauche latino-américains (dont celui de la
République bolivarienne du Venezuela). D’aucuns ont pu
invoquer un supposé manque d’information (largement
lié à la nature étroitement étatique des
relations entre ces gouvernements et ceux du monde arabe). Toutefois,
certains événements plus récents, concernant
l’aire géographique latino-américaine, se
révèlent tout aussi problématiques. Quelques
exemples valent mieux que de longs commentaires.

Le 9 avril 2011, une rencontre au sommet s’est tenue entre le
président colombien Juan Manuel Santos et le
vénézuélien Hugo Chávez. De manière
impromptue, le président post-putschiste du Honduras, Porfirio
Lobo, successeur du putschiste Roberto Goriletti y a été
associé. Ce rendez-vous a débouché sur
l’ouverture d’un processus de médiation,
censé résoudre la « crise politique
hondurienne » consécutive au coup d’Etat du
28 juin 2009 contre le président Manuel Zelaya.
   
Par ailleurs, l’application unilatérale par le Venezuela
d’un accord de sécurité – secret
jusqu’ici –, conclu en 2010 avec la Colombie, a
entraîné la déportation vers ce pays de plusieurs
militant-e-s présumés des FARC (Forces armées
révolutionnaires de Colombie) ou de l’ELN (Armée de
libération nationale), capturés au Venezuela. Enfin,
l’arrestation à Caracas, le 23 avril dernier, du
journaliste suédo-colombien Joaquin Pérez Becerra,
directeur de ANNCOL (Agencia de Noticias Nueva Colombia), une agence de
presse indépendante constitue un incident d’une
extrême gravité. En effet, deux jours plus tard, il
était déporté vers la Colombie sur ordre du
gouvernement vénézuélien en violation du principe
de l’habeas corpus.
   
Ces événements se situent apparemment dans le cadre
d’une stratégie de
« détente » avec la Colombie. Si
l’on peut comprendre que l’Etat
vénézuélien ne veuille pas être
impliqué dans le conflit intérieur colombien ou, pire
encore, dans une guerre régionale (que prépare la
présence de sept bases militaires US en Colombie), la
complaisance de Chávez envers son « nouvel
ami » colombien, Juan Manuel Santos, est choquante.
Coupable d’innombrables violations des droits humains depuis des
années, le régime colombien a accédé en
avril 2011 à la présidence du Conseil de
sécurité de l’ONU, sans que le Venezuela –
candidat, il y a quelques années à la même instance
et contrecarré alors par la diplomatie
états-unième – n’y fasse objection.

La médiation Chávez-Santos au Honduras (même
acceptée par le Front national de résistance populaire,
FNRP) n’est en effet pas sans danger. Le régime hondurien
veut rompre son isolement international (en réintégrant
l’Organisation des Etats américains, OEA) et surmonter sa
crise énergétique, liée aux problèmes
d’approvisionnement pétrolier générés
par sa rupture avec l’ALBA et PETRO-CARIBE (mis en place par le
Venezuela), tout en continuant à réprimer brutalement le
mouvement populaire. Mais Juan Manuel Santos va-t-il faire
évacuer de ce pays les paramilitaires colombiens
« démobilisés »,
importés par les oligarques locaux, qui sévissent
notamment dans la vallée de l’Aguán? Rien
n’est moins sûr.
   
Quant aux nouveaux rapports
« sécuritaires » entre le Venezuela et
la Colombie, ils bafouent non seulement la solidarité
anti-impérialiste, mais aussi le droit international et les
Conventions de Genève, comme le montre aujourd’hui
l’extradition de Joaquin Pérez Becerra. Directeur de
l’agence de presse alternative ANNCOL, rescapé de la
liquidation physique du parti Unión Patriótica par
l’armée et les paramilitaires (sa femme a trouvé la
mort dans un attentat), J. Pérez s’était
réfugié en Suède, dont il avait acquis la
nationalité en 2001, en renonçant au passeport colombien.
Son arrestation au Venezuela, dont il était un ardent
défenseur et où il s’était rendu, sans
problèmes en 2009 et en 2010, a été
justifiée par un prétendu mandat international
« rouge » d’Interpol, dont il n’a
curieusement jamais été question lors de ses autres
voyages à l’étranger… En
réalité, c’est Santos, comme il l’avoue
lui-même, qui a demandé à Chávez
l’arrestation et l’extradition de J. Pérez,
qu’il présente comme un « gros poisson des
FARC ».
   
Tomas Andino Mencia (militant révolutionnaire hondurien) le
rappelait récemment : « En jouant le pompier
dans les processus insurrectionnels d’Amérique latine,
Chávez affaiblit à long terme son propre projet
bolivarien. Car son –meilleur ami’ n’est pas le
gouvernement fasciste colombien – qui au moment le plus inattendu
lui plantera un couteau dans le dos -, mais les mouvements de
libération des peuples latino-américains, les seuls
disposés à verser leur sang pour défendre la
révolution bolivarienne » (notre trad. sur le site www.solidarites.ch/ne2).
   
Dans l’immédiat, solidaritéS se joint aux nombreux
appels (émanant y compris du Venezuela) pour réclamer la
libération immédiate du journaliste suédois
Joaquin Pérez Becerra, ainsi que la réouverture du site
Internet de ANNCOL, saboté ou fermé en Suède
– sur l’ordre de qui ? – depuis le 25 avril
2011.

Hans-Peter Renk & Alfredo Camelo