Syrie: la révolte gronde, le régime réprime

Syrie: la révolte gronde, le régime réprime

Les manifestations et les
grèves se poursuivent, notamment à Deraa et à
Banias. En face, les snipers des milices du régime
provoquent le chaos pour démontrer que seul Bachar peut
protéger le pays du désordre.
Mais la diplomatie mondiale ne réagit guère.

La révolte continue de plus belle derrière le rideau de
fer de Bachar el-Assad. Le 11 avril, les étudiants se sont
rassemblés sur le campus de l’université de Damas
pour un sit-in en hommage aux morts des derniers jours. Mardi 12 avril,
en début d’après-midi, à Deraa, près
de la frontière jordanienne, première ville à
s’être embrasée il y a un mois, des milliers de
manifestant-e-s se sont regroupés sur la place principale
rebaptisée « Place de la
Dignité ».

Un peuple rassemblé

Sur la côte, au sud de Lattaquié, la ville de Banias qui
pleure de nombreux morts, est encerclée par la police, la
population est en grève générale. Il n’y a
plus de pain, l’électricité est coupée.
Banias est une ville à la population mixte, alaouite, sunnite et
chrétienne. Les manifestant·e·s y crient le mot
Unité, et c’est pourquoi le régime syrien tire dans
cette foule-là. Pas question de laisser entendre la voix
d’un peuple rassemblé au delà des clivages
confessionnels.
   
A Banias, et à côté, dans les villages voisins de
Bayda et Beit Jnad, les hommes des
« Chebiha », les milices du régime
sèment la terreur. L’objectif de ces snipers est
clair : provoquer le chaos pour accréditer la
thèse du régime selon laquelle seul Bachar
protègerait la Syrie du désordre. Déclencher,
à coup de provocations, des troubles entre les
communautés unies par leur détestation du régime.

    Les « Chebiha »
n’hésiteraient pas à tirer sur
l’armée, pour faire croire que les révoltés
sont en réalité des gangsters. Selon un témoignage
recueilli par l’AFP « ce sont les forces de
sécurité qui ont tué les militaires à
Banias parce qu’ils ont refusé d’attaquer la
ville ». L’armée syrienne est en effet
constituée de jeunes gens du peuple, même si le
haut-commandement reste évidemment entre les mains
d’officiers fidèles au régime. Rien à voir
avec la garde présidentielle dévouée corps et
âme à Assad. Si ces faits se répétaient, on
pourrait y voir les indices d’une première fissure du
système.

Failles dans la forteresse

On a déjà pu déceler des failles politiques dans
la forteresse baasiste. C’est ainsi que la rédactrice en
chef du quotidien gouvernemental Techrine, Samira al Massalma, a
été limogée après avoir
dénoncé sur Al Jezira les tirs contre la population.
« S’il y a eu des violences, il faut les
sanctionner » avait-elle déclaré. Pour une
raison simple : Samira al Massalma est originaire de Deraa et
certaines victimes seraient apparentées à sa famille. De
même, un cousin… du vice-président syrien Farouk al
Charra vient de mourir à l’hôpital de Deraa !
Blessé par des tirs dans la rue, Mohammad Abdel Razeq Al-Sharra
a été achevé par les flics qui ont fait irruption
dans l’hôpital et fait feu sur tous les blessés.
C’est dire que l’extrême violence
décrétée par Bachar el Assad peut à terme
le couper d’une part de ses fidèles. […]

    Aujourd’hui, au plus fort de la
répression, Mahmoud Ahmadinejad, président d’une
république islamique iranienne confrontée, elle aussi,
à la colère d’un jeune peuple
réprimé, clame son soutien au président syrien,
victime « d’un complot occidental ». On
peut craindre que Bachar ne suive l’exemple iranien et massacre
les manifestant·e·s. En actionnant, comme tous les
dictateurs, provocations et milices à sa solde.

    Cette stratégie est archi-connue :
elle a été utilisée, cette fois sans
succès, par Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte. On se
souvient des snipers de l’avenue Bourguiba et des banlieues de
Tunis, des hordes se ruant à dos de chameau sur les manifestants
de la place Tahrir, des tabassages et des lynchages des milices du
défunt régime du Caire. Mais les journalistes
étaient là, comme témoins, voire comme cibles.
C’est sous les yeux du monde que les révolutions arabes
ont fait entendre leur voix puissante.

On réprime à huis-clos

Mais en Syrie, personne ! On ferme, on boucle. Deux journalistes
de l’agence Associated Press viennent encore d’être
expulsés aujourd’hui. De nouvelles personnalités de
l’opposition ont été arrêtées
hier : il s’agit du journaliste Fayez Sara, de
l’écrivain et militant des droits civiques Najati Tayara,
de Georges Sabra, dirigeant d’un parti d’opposition
interdit et proche des communistes, et de Ghiat Ouyoune al-Soud,
secrétaire général du parti du peuple
démocratique syrien. Les organisations des droits civiques
évoquent désormais le chiffre de 200 morts mais chaque
jour apporte son lot de nouvelles victimes.

    C’est dans l’indifférence du
monde que se déroule pourtant cette révolte historique
dans une Syrie, enjeu clé sur l’échiquier
moyen-oriental. Comme si Bachar El Assad avait réussi à
isoler radicalement son peuple…

Martine Gozlan


Source : www.marianne2.fr mis en ligne le 13.4.11. Coupes, titres et intertitres de notre rédaction