Holcim en Inde: surexploitation et répression

Holcim en Inde: surexploitation et répression

Dans l’Etat indien du
Chhattisgarh, gouvernement et entreprises s’entendent pour faire
la chasse aux militant·e·s

politiques et syndicaux osant défendre des revendications
sociales. La multinationale suisse Holcim, deuxième groupe
mondial producteur de ciment, est de la partie.

Profitant de la vague de libéralisation des années 90,
Holcim, l’un des fleurons de la famille Schmidheiny, s’est
introduite sur le marché indien, à la croissance
prometteuse. 40 % du ciment indien est désormais produit
par des entreprises multinationales, Holcim en tête. L’Inde
figure au deuxième rang mondial de la production de ciment. Le
Chhattisgahr, Etat de 20 millions d’habitant-e-s environ, est
riche en ressources minières (charbon, fer, or, aluminium
diamants), parmi lesquelles des dépôts calcaires
utilisés pour fabriquer du ciment. Il est prévu de faire
de cet Etat le principal producteur de ciment de l’Inde.

    Le Chhattisgahr connaît une forte proportion
de population indigène (un tiers environ, alors que les adivasis
sont en moyenne 8 % en Inde), possédant une longue
tradition de résistance à la culture et à la
domination hindoues comme au capitalisme moderne.

    Le syndicat de l’entreprise du groupe Holcim
dans la région (Ambuja Cement Company, ACC) est le Pragatisheel
Cement Shramik Sang Union, qui a organisé une part importante
des travailleurs contractuels (par opposition aux travailleurs
permanents), majoritairement issus des familles paysannes dont les
terres ont été acquises par l’usine et pour les
mines. Le syndicat réclame un salaire minimum pour ces
travailleurs, ainsi que des choses aussi élémentaires que
des fiches de prestations du fonds de prévoyance ou encore des
attestations de travail. Avant que les travailleurs ne commencent
à s’organiser, la multinationale suisse ne se gênait
pas pour déduire casques et bottes de sécurité de
leur salaire de misère !

    Une des particularités de cette lutte des
travailleurs contractuels réside dans le soutien qu’elle
reçoit des agriculteurs locaux, eux aussi organisés pour
leurs revendications. Ils reprochent à Holcim de n’avoir
pas compensé correctement ceux et celles qui ont perdu des
terres au profit des activités de la multinationale, il y a 25
ans. Holcim n’a pas non plus créé les emplois
locaux promis et les villageois lui reprochent d’occuper
illégalement les terres de la collectivité (nistari).

Répression politico-syndicale

Cette lutte commune n’est pas du goût du patronat cimentier
et du gouvernement de l’Etat, dirigé par le parti
nationaliste hindou BJP. Plus de 75 travailleurs parmi les plus actifs
syndicalement ont été licenciés ces six derniers
mois, alors qu’en janvier, le dirigeant du mouvement paysan local
a été emprisonné sous un prétexte bidon. Il
ne sera libéré qu’après un arrêt de
travail spontané des ouvriers de l’usine.

    De plus, les plans de développement de
l’industrie du ciment dans cet Etat impliquent que patronat et
gouvernement aient les mains libres. Les principales entreprises du
secteur (Holcim, mais aussi le français Lafarge et
l’indienne Ultratech) refusent, dans les faits, d’appliquer
l’accord tripartite national de la branche, qui limite le recours
aux travailleurs contractuels, en nombre et en affectation et leur
attribue un salaire égal à celui des permanents. Or, le
taux d’occupation de ces derniers dans les cimenteries du
Chhattisgarh est à peine de 10% ! Holcim, qui paye en
moyenne ses ouvriers européens 8 $ de l’heure
rétribue ses travailleurs contractuels 2 $… par
jour (soit 32 fois moins). Il n’est donc pas étonnant que
Holcim ait fermé ses usines en Espagne et se prépare
à faire de même aux USA, tout en prévoyant de
futures implantations dans le Chhattisgarh.

    Ces plans d’expansion sont combattus par les
agriculteurs, menacés de déplacement, qui
reçoivent des indemnisations dérisoires et de simples
promesses en l’air en matière d’emploi compensatoire
accordé par l’Etat (un pour chaque famille
touchée). S’y ajoutent la question de la crise de
l’eau, détournée aux profits des entreprises ou des
barrages et celle de l’empiétement des activités
industrielles sur les biens collectifs des villages (pâturages,
routes, canaux, étangs).

    Dans ces différentes luttes, les paysans ont
reçu un soutien constant du syndicat des ouvriers du ciment et
du front politique dont il est membre, le Chhattisgahr Mukti Morcha
(CMM, Front de libération du Chhattisgahr)

Le Front de libération dans le viseur

Malgré son nom aux consonances guerrières, le Front de
libération n’a rien d’une organisation belliqueuse.
Front politique issu d’une grève dans les mines de fer en
1977, il mène aussi bien des campagnes contre l’alcoolisme
et la dépendance aux jeux que pour la construction d’un
hôpital pour les mineurs. Une de ses caractéristiques est
le lien étroit qu’il établit entre les
revendications des paysans et celle des ouvriers des mines (dont
l’origine sociale et tribale est souvent similaire). Il est ainsi
très présent dans la lutte contre les semences OGM et
contre l’emprise des multinationales sur le secteur minier.
Malgré une orientation politique somme toute
modérée, ses militant-e-s ont payé un lourd tribut
à la répression, à commencer par son fondateur,
Shankar Guha Niogy, assassiné en 1997. Pour avoir
dénoncé les violences et les violations des droits
démocratiques perpétrées dans la lutte contre
l’insurrection naxalite, le Front de libération est
aujourd’hui assimilé à ce mouvement. Or le
naxalisme (sur lequel nous reviendrons) est considéré
comme la principale menace terroriste en Inde… Une accusation
commode pour faire taire les oppositions aux plans de
développement du capitalisme minier et agro-­industriel.

Daniel Süri

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Dernière minute
Nous apprenons que ce 13 avril un groupe de travailleurs contractuels
d’ACC (Holcim) vient d’entamer une grève de la faim
indéfinie pour exiger la régularisation de leur situation
conformément aux dispositions légales. Nous en
reparlerons. PV