2 milliards en moins: chômeurs attaqués

2 milliards en moins: chômeurs attaqués


Le projet de révision de la loi sur l’assurance chômage (LACI) proposée par le Conseil Fédéral en février 01, débattue par les Chambres durant cette même année et qui devra être adopté à fin juin 2002 au plus tard, est fondée, nous dit-on, sur la volonté de mettre en place un système de financement qui résiste aux fluctuations conjoncturelles et qui garantisse de manière durable l’équilibre des comptes.



Le montage financier proposé se fonde sur une estimation d’un taux de chômage moyen, incompressible sur l’ensemble du cycle conjoncturel, de 100000 chômeurs inscrits. Il compte trois niveaux:

  1. la cotisation paritaire «patrons-salariés»,
  2. une participation financière plus importante de la Confédération et des cantons,
  3. des prêts remboursables et portant intérêts par la Confédération en cas de carences de financement de la LACI (implique un dépassement de 100000 chômeurs sur un long terme).

Ce projet de révision qualifié «d’anticyclique» n’a de «cyclique» que la volonté opiniâtre des milieux bourgeois, remarquablement secondé par le Conseil fédéral et les Chambres, de réduire à «peau de chagrin» la portée des assurances sociales. Dans ce projet, la LACI est particulièrement mise à mal. Il s’agit ni plus ni moins de diminuer son financement de 2 milliards de francs, soit de 1/3. Et le coût de cette diminution sera porté pour l’essentiel par les chôm-eurs/euses. Ils devront en effet cotiser 12 mois au lieu de 6 actuellement pour bénéficier de 400 indemnités journalières au lieu de 520 (sauf pour les invalides et les personnes de plus de 55 ans). Mais les cantons seront également touchés : ils contribueront à hauteur de 100 millions au financement de la LACI (soit environ 25 millions de plus qu’aujourd’hui). Sans compter qu’ils auront à financer la prise en charge d’un plus grand nombre de personnes devant recourir aux revenus minimaux cantonaux ou à l’assistance publique!

Une révision de la LACI, pourquoi?

La crise de l’emploi des années 90 a plongé la LACI dans les chiffres rouges de manière rapide. Des mesures urgentes ont été prises afin de faire face à un endettement croissant. Dès le 1er janvier 1995, les cotisations partiaires augmentaient de 2% à 3%. Une cotisation de solidarité de 2% supplémentaires était ponctionnée sur la tranche des revenus allant de 106800 à 267000 francs. Les indemnités journalières pour les célibataires se calculaient à hauteur de 70% du salaire perdu au lieu de 80%, les syndicats acceptant cette mesure par le rehaussement du nombre d’indemnités, celles-ci passant de 400 à 520 jours.



Ce train de mesures ne suffisant pas à rétablir les finances de la LACI, les Chambres votèrent une diminution du montant des indemnités. La décision des Chambres fût soumise à référendum en 1997 et rejetée par le peuple.



Sous la pression des milieux bourgeois siégeant aux Chambres lesquels demandaient de surseoir à toutes les mesures d’urgence, le Conseil Fédéral promis le 6 novembre 1998 de soumettre un projet de révision de la LACI en hiver 2000 permettant de consolider à long terme son financement. Il chargea le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) d’élaborer les thèses de la révision.



En mars 1999, la loi fédérale sur le programme de stabilisation prolongeait les mesures de 1995 jusqu’à 2003. En effet en 1999, la dette de l’assurance chômage se montait encore à 7,8 milliards. Selon le Seco, les recettes du troisième pour-cent et celles de l’élévation du plafond soumis à cotisation devaient permettre un amortissement de la dette en 2003 pour autant que le chômage n’excède pas 1,8% en 2002. Fort de ce constat, le Conseil fédéral a donc entrepris une révision de la LACI pour 2003.

L’enquête du Seco


Le projet de révision de la LACI est construit sur la volonté de mettre en place un système de financement qui résiste aux fluctuations conjoncturelles et qui garantisse de manière durable l’équilibre des comptes. Ce système pour fonctionner ne doit pas dépasser une moyenne de 100000 chômeurs inscrits sur un cycle conjoncturel . Selon Pascal Couchepin, Conseiller fédéral, ce chiffre est défini «par l’observation de l’évolution du nombre de chômeurs et chômeuses au cours de ces dernières années. Ce chiffre se révèle exact; il est confirmé par l’évolution»*. La sérénité du Conseiller fédéral risque fort d’être ébranlée. La récession économique vécue par les USA depuis de quelques années, celle touchant l’Europe depuis peu, atteint lentement mais sûrement la Suisse. L’augmentation du chômage en fin 2001 nous le prouve. Le Seco, dans son rapport du 18 janvier 2002 sur «la situation sur le marché du travail», annonce une hausse de 0,3 point entre novembre et décembre 2001, le nombre de chômeurs étant alors de 86027 ! Le chiffre de 100000 est à l’horizon de 2003!
*Conseil des Etats 19.6.01


En fin 2000, le Seco déposait son rapport proposant 39 mesures. Le Conseil Fédéral en a retenu 20 et mis en veilleuse les autres pour des raisons liées essentiellement aux coûts induits par leur mise en vigueur. Dans son message du 28 février 2001, le Conseil fédéral ne parle jamais des difficultés que rencon-treraient les chômeurs si de telles mesures étaient réalisées! Ces 19 propositions sont, pour l’heure, rangées dans un tiroir. Mais jusqu’à quand? Si l’on considère la teneur de certaines d’entre elles: privatisation partielle de la LACI, diminution du montant des indemnités, modulation des cotisations en fonction du risque, restriction des droits pour les requérants d’asile, il apparaît impératif de donner un signe clair au Conseil fédéral afin qu’il ne pense pas un jour à ressortir ces proposition indignes sur la table. Le lancement d’un référendum contre la 3ème révision de la LACI, sanctionné par un refus du peuple de cautionner cette dernière, sera un signe clair.

L’eurocompatibilité à tout prix

Dans son projet de révision de la LACI, le Conseil fédéral défend la hausse à 12 mois de cotisation pour harmoniser notre pratique avec les pays européens. Bien que les bilatérales n’imposent pas les 12 mois, il lui apparaît nécessaire de se prémunir contre les travailleurs/euses de l’Union Européenne qui viendraient s’installer en Suisse pour bénéficier de prestations chômage 6 mois plus tôt! Il s’agit donc bien «d’empêcher que la Suisse se voie obligée de payer une indemnité de chômage aux ressortissant-e-s des Etats de l’UE plus tôt que ces Etats et se trouve ainsi financièrement désavantagée!»1. L’argument de l’eurocompatibilité peut faire «mouche» auprès des citoyen-ne-s pro-européens. Les électeurs très à droite de l’échiquier politique seront, quant à eux, sensibles à l’argument de prévenir un afflux de chômeurs de l’Union Européenne en Suisse!



Le passage de 520 indemnités journalières à 400 pour les chômeurs de moins de 55 ans a pour but, nous dit le Conseil fédéral, la diminution de la durée moyenne du chômage: les chômeurs/euses approchant le terme de leur droit accepteront plus vite un emploi quelqu’en soient les conditions de rémunération, de flexibilité des horaires ou dureté de la tâche. Si la durée moyenne du chômage diminuera, ce qui reste à prouver2, la dérégulation du marché de l’emploi et son lot de travailleurs/euses précaires augmentera forcément. Ceci sans compter les personnes qui devront s’appuyer sur le revenu de leur conjoint ou recourir aux aides sociales cantonales faute d’avoir trouver un emploi au terme de leurs 400 indemnités3.



Plus globalement, l’augmentation de 6 mois à 12 mois de cotisation et la baisse de la durée des prestations de 520 à 400 indemnités sont motivées par la pression des milieux bourgeois qui n’entendent pas seulement revenir à la situation antérieure à 95, mais qui revendiquent des mesures plus musclées, comme par exemple, un délai de cotisation de 18 mois au moins pour toucher des indemnités journalières, indemnités qu’ils reverraient bien, au passage, à la baisse!



Ce démantèlement progressif de la LACI est parfaitement inacceptable et appelle une réponse ferme: le référendum. Il ne s’agit donc pas de discuter d’une position, mais bel et bien de soigner nos arguments pour combattre cette nouvelle attaque néolibérale.



La partie n’est pas gagnée dans la mesure où le Conseil Fédéral, échaudé par le refus du peuple en 1997 de diminuer les prestations chômage, a affûté ses arguments et saupoudré les deux mesures de propositions propices à diviser les forces sociales de ce pays.

Diviser pour mieux régner

Dans son projet, le Conseil Fédéral d’un côté diminue les prestations pour les chômeurs/euses, de l’autre il fait bénéficier les employeurs et les salariés d’une réduction de leur cotisation conjointe de 1% (diminution de 3% actuel à 2%). En mettant en tension des intérêts divergents, le Conseil fédéral cherche à rallier les travailleurs/euses à sa cause. Ce faisant, il accentue la fracture sociale entre les travailleurs/euses et les chômeurs/euses. Les premiers augmentent leur pouvoir d’achat, mais au détriment des seconds qui verront le leur baisser de 2 milliards de francs! Or se gain présumé pour les travailleurs/euses est un «miroir aux alouettes»: la réduction de 0,5% pour les salariés/ées servira, n’en doutons pas, de prétexte au patronat pour ne pas adapter les salaires au coût de la vie! Par ailleurs, rappelons que personne n’est à l’abri du chômage, la déconfiture cuisante de Swissair devrait nous le rappeler.

Les femmes plus durement touchées par la révision de la LACI

Le rapport du Seco de février 2001 analyse l’impact des mesures préconisées sur les différentes catégories sociales. Les femmes seront plus affectées que les hommes d’environ 10% par l’allongement de la période de cotisation à 12 mois. Elles seront plus touchées, dans une mesure de 20%, par un raccourcissement de la durée d’indemnisation à 6 mois. Ainsi, la discrimination vécue par les femmes sur le marché de l’emploi se reproduira de manière encore plus marquée dans la sphère du chômage. Ce qui est proprement inadmissible.

Relevons au passage que la Suisse romande et le Tessin seront plus durement atteint par la révision de la LACI que les cantons suisses alémaniques!


Le Conseil Fédéral argumente la diminution des cotisations de 3 à 2% pour mettre un terme aux mesures d’urgence votées au plus fort de la crise de l’emploi des années 90. Pour les mêmes raisons, le Conseil fédéral propose de réduire de 2% à 1% la cotisation supplémentaire ponctionnée sur la tranche des revenus allant de 106800 à 267000 francs, faisant ainsi un cadeau de 135 millions aux revenus élevés. Enfin, pour finir de brouiller les pistes, le Conseil fédéral propose des modifications mineures, mais alléchantes, comme la prise en charge d’un tiers des cotisations couvrant l’accident non professionnel alors qu’aujourd’hui cette prime échoit aux assurés.

La position des Chambres

En juin 2001, le Conseil des Etats s’est penché sur le projet de révision de la LACI de manière expéditive. Ce débat éclair a abouti à ne contredire le Conseil fédéral que sur une seule mesure: le Conseil des Etats préconise ni plus ni moins de supprimer toute cotisation supplémentaire sur les hauts revenus, privant ainsi la LACI d’encore 135 millions de recette!4



Le Conseil national, quant à lui, a été tactiquement plus habile. Sans remettre en question les fondements de la révision, il l’assortit d’un «bémol» propre à faire taire les opposants les plus consensuels. Les cantons accusant un chômage de 5% et plus pendant une durée de 6 mois pourront demander à bénéficier de 120 indemnités supplémentaires pour leurs chômeurs à condition qu’ils payent un part du surcoût occasionné! A mi mars 2002, une commission réunissant les deux Chambres traitera de leurs divergences.



L’Union Syndicale Suisse (USS) attend le résultat de cette négociation pour se prononcer sur l’opportunité d’un référendum. Dans le cas d’un résultat «s’en tenant à la version plus sociale du Conseil national»,5 l’USS abandonnera les chômeurs à leur sort, cautionnant dans la foulée la politique néolibérale du démantèlement des assurances sociales!



Nicole LAVANCHY

  1. Message du Conseil Fédéral concernant la révision de l’assurance chômage du 28 février 2001
  2. «Comme il n’y a jamais eu de réduction de la durée maximale d’indemnisation depuis l’introduction de l’assurance chômage obligatoire, les études empiriques disponibles se basent toutes sur une analyse des effets de l’allongement de la durée d’indemnisation» Rapport du Seco concernant la révision de l’assurance chômage, février 01
  3. A titre comparatif, rappelons que l’étude d’Aeppli Daniel, Die Ausgesteuerten. Situationsbericht – Dritte Studie, Ed. Paul Haupt, Berne 2000, fait état de 14% de chômeurs faisant appel en 1998 aux aides sociales dans les six premiers mois suivant leur arrivée en fin de droit
  4. Position à laquelle vient de se ralier une majorité du Conseil national le 12 mars 2002 (Réd.)
  5. Communiqué de presse du 20 février signé par Serge Gaillard (secrétaire général de l’USS).

Les principales positions des Autorités fédérales

Dispositions actuelles Projet Conseil fédéral Conseil des Etats Conseil national
Taux de cotisation
(jusqu’à 106800.-)
3% 2% 2% 2%
Cotisations supplémentaires
(de 106800.- à 267000.-)
2% 1% 0% 1%
Participation de la Confédération 246 Mio en 1999 300 Mio 300 Mio 300 Mio
Participation des Cantons 75 Mio en 1999 100 Mio 100 Mio 100 Mio
Durée de cotisation 6 mois 12 mois 12 mois 12 mois
Durée d’indemnisation 520 jours 400 jours 400 jours 400 jours, mais 520
jours pour les cantons
accusant un taux de
5% et plus pendant 6
mois
Primes de licenciement
prise en compte
Aucune A partir de 53400.- A partir de 106800.- A partir de 53400.-
LAA non professionelle
prise en charge des primes
100% à charge
du chômeur
2/3 par le chômeur,
1/3 par la LACI
2/3 par le chômeur,
1/3 par la LACI
2/3 par le chômeur
1/3 par la LACI
Délai cadre pour la période
éducative
18 mois d’occupation
éducative sans avoir la
nécessité d’avoir cotisé
à la LACI. Prestations
attribuées sous condition
de nécessité économique
Prolongation du délai
cadre de deux ans pour
une période éducative.
Prestations attribuées
sans condition de
resources
Prolongation du délai
cadre de deux ans pour
une période éducative.
Prestations attribuées
sans condition de
resources
Prolongation du délai
cadre de deux ans pour
une période éducative.
Prestations attribuées
sans condition de
resources