L’Europe-forteresse en guerre contre les droits humains

L’Europe-forteresse en guerre contre les droits humains

Quatre semaines après le début de l’intervention
militaire euro-occidentale en Libye, il est impossible de
prévoir l’issue du conflit armé en cours entre les
forces de l’OTAN et leurs alliés, les insurgés
Libyens et le régime du colonel Kadhafi. Même dans le cas
(au demeurant souhaitable) d’un cessez-le feu, il est quasiment
certain que l’intervention militaire extérieure se
prolonge. Ne faudra-t-il pas veiller à ce que la zone
d’exclusion aérienne ainsi que le cessez-le feu soient
respectés, que Kadhafi n’en profite pas pour reprendre les
villes que ses troupes assiègent : Misrata, Zintan…

    Il est donc probable que, sous une forme ou sous une
autre, un état de guerre s’installe dans la durée
en Libye. Il en résultera une sorte de protectorat
« euro-onusien » qui permettra aux
Européens, directement concernés, de gérer au
mieux leurs principaux intérêts en Libye: faire sortir le
pétrole et bloquer les réfugié·e·s.

    Face aux soulèvements populaires au
Moyen-Orient et en Afrique du Nord, expression d’une forte
demande démocratique (liberté, droits humains) et de
justice sociale (droits économiques et sociaux), les
réponses policières et la répression militaire des
régimes en place, y compris du nouveau gouvernement militaire
égyptien, deviennent de plus en plus lourdes et sanglantes.

    Les milliers de
réfugié·e·s, fuyant guerres et
misère, qui ont traversé ces dernières semaines et
traversent encore chaque jour la Méditerranée confrontent
directement l’Europe à ces demandes. Ces hommes et ces
femmes font face à un rejet et à une répression,
souvent aussi meurtriers. Trois Tunisiens ne se sont-ils pas
immolés, le 29 mars dernier, parce que les forces de polices
tunisiennes les ont empêchés de s’embarquer en
direction de l’Italie ? Le gouvernement italien (et son
Ministre de l’Intérieur, Roberto Maroni, membre de la
Ligue du Nord) marchandait alors encore, avec le gouvernement
transitoire tunisien, le retour de ses ressortissant-e-s
débarqués sur les îles de Lampedusa et de
Pantelleria, et menaçait de les renvoyer de force. Le 7 avril,
un accord était trouvé : 22 000 permis
temporaires délivrés et 800
Tunisien·ne·s  rapatriés. Le jour avant, le
naufrage, dans le Canal de Sicile, d’une embarcation provenant de
Libye (Sabratha) qui transportait environ 300
réfugié·e·s d’Afrique Sub-saharienne
(Ethiopien·ne·s, So­ma­lien·ne·s,
Nigé­rian·e·s, Soudanais·es,
Ivoirien·ne·s) tuait environ 250 d’entre-eux. La
mer est à nouveau parsemée de morts
.
    Mais, pour celles et ceux qui survivent aux
conditions catastrophiques de transports, la situation n’est
guère plus rose. Pensons aux menaces ouvertes que font peser sur
elles·eux des mouvements et partis de la droite extrême ;
un groupe de skinhead a mis le feu
« préventivement », le 13 avril
dernier, à un centre d’accueil de
réfugié·e·s à Gênes, prenant
peut-être au mot l’opinion du vice-ministre des Transports
italiens, lui aussi membre de la Ligue du Nord, qui annonçait le
jour précédent : « Il faut repousser
les réfugié·e·s, mais nous ne pouvons pas
leur tirer dessus, du moins pas pour l’instant. »

    Mais pensons surtout à l’implacable
cohérence de la politique européenne en la
matière. Les réponses européennes sont
emblématiques à plusieurs égards. La France refuse
d’accueillir des milliers de
Tu­ni­sien·ne·s dont l’Italie voudrait se
défaire. Mais ces deux pays se sont accordés pour
effectuer avec leurs navires de guerre un blocus naval devant les
côtes tunisiennes et libyennes pour empêcher les
départs en mer des
ré­fu­gié·e·s. Censées
intervenir pour la protection des droits humains, les forces militaires
occidentales interviennent tous les jours pour les violer…

    Le fossé économique entre les pays de
l’Union Européenne et les « Pays les moins
avancés », situés en grande majorité
en Afrique sub-saharienne, est énorme. D’après les
chiffres de la Banque Mondiale pour 2009, le revenu national brut par
habitant du premier groupe de pays est 54 fois supérieur
à celui des pays les moins avancés.

    Le maintien de ce fossé, avec le soutien de
régimes répressifs criminels et la militarisation des
frontières de la « forteresse
Europe », est tout à fait irresponsable. Entretenir
ces énormes inégalités et nier les demandes des
populations du Sud signifient nier les droits politiques, sociaux et
économiques aux populations du Sud, au prix d’une
militarisation toujours plus accentuée de la politique
extérieure occidentale.

    Les soulèvements pour la démocratie
politique et économique en Afrique du Nord et au Moyen Orient
doivent interpeller aussi notre action politique et sociale.

    C’est en réduisant le plus possible la
présence d’instruments répressifs policiers et
militaires, que les révolutions populaires au Moyen Orient et en
Afrique du Nord auront les meilleures chances de
s’épanouir. Il est toujours plus urgent de combattre la
dépossession des richesses des peuples du Sud par les puissances
économiques du Nord (soit directement, soit par
l’intermédiaire de régimes oppressifs du Sud), et
de lutter pour accueillir dignement celles et ceux qui nous
démontrent chaque jour la nécessité de nos combats
internationalistes.


Tobia Schnebli et Stéfanie Prezioso