HOMO EXOTICUS

HOMO EXOTICUS



Au moment où les orientations
LGBTI (Lesbienne/Gay/Bisexuel-le/Trans/Intersexe) se voient de plus en
plus normalisées et donc neutralisées – que
l’on pense simplement à Lady Gaga –, Maxime Cervulle
et Nick Rees-Roberts reviennent sur les préjugés de
classe et de race de l’homonormativité pour revitaliser le
potentiel subversif queer.

Ceux qui croyaient que le capitalisme était profondément
lié à l’hétérosexualité et
rejetterait toujours les autres formes d’orientations sexuelles
doivent commencer à douter. Tout le mainstream pop est au pied
d’une Lady Gaga, produit musical qui a toujours joué sur
son ambigüité homme-femme-trans. En France, dans une
série de téléréalité, c’est un
gay au style camp (à l’opposé du glamour, le style
camp est humoristique et joue sur l’exagération et
l’autodérision), grande folle, qui l’emporte sur les
autres candidats. Au-delà de ces
épiphénomènes culturels, on assiste, surtout
depuis 40 ans, à une intégration respectueuse au
système capitaliste. Ce processus se voit notamment dans une
homonormativité de plus en plus forte et
l’hégémonie gay-blanche-bourgeoise au sein de la
communauté LGBTI.

    Il est donc plus que nécessaire de
réactiver le queer, en tant que critique subversive de toute
forme de norme, sexuelle ou sociale. C’est ce à quoi
s’attellent Maxime Cervulle et Nick Rees-Roberts dans Homo
Exoticus. Dans ce livre, beaucoup trouveront à redire, notamment
contre son ton universitaire et l’oubli de certains lieux clefs
de la thématique – on pense notamment à internet. Le
principal problème de ce volume tient finalement au fait que, si
son propos et son but, présentés dans
l’introduction et la conclusion, sont louables et fort
intéressants, l’analyse censée les expliciter est
moins convaincante et a tendance à se perdre, au nom d’une
approche inspirée des Cultural Studies britanniques (voyant
notamment la culture comme espace conflictuel entre différentes
formations pour le contrôle des significations sociales), dans
des exemples pas forcément éclairants.

Du beur dans le porno

Néanmoins, si on s’ennuie dans certaines descriptions de
films et qu’on préférerait que le propos prenne
plus souvent du recul pour essayer de décerner des lignes
d’analyse plus générales, Homo Exoticus a le
mérite d’utiliser des exemples, peu reconnus, et pour
lesquels une illustration concrète est des plus
nécessaires pour les néophytes. On pense ici bien
sûr au cas de la pornographie. Partant du constat, ma foi assez
juste, que ce type de cinéma représente aujourd’hui
sa véritable forme populaire, Maxime Cervulle et Nick
Rees-Roberts y analysent la façon de traiter les formes de
différences sociales ou d’origine. Ici, l’aspect
problématique de ces films tient à la façon de
percevoir ces catégories toujours sous la forme de
l’exotisme, c’est-à-dire d’en faire de purs
objets, fantasmes de la subjectivité blanche et bourgeoise.

    Dans de nombreux films, le désir sexuel a
pour moteur une sorte de tourisme social ou racial, héritier en
cela de l’imagerie coloniale. Un jeune blanc et bourgeois se paie
un grand frisson et une bonne baise avec un banlieusard ou un arabe,
par exemple. Ce dernier est toujours perçu à travers le
regard du premier. Bien plus, que ce soit dans les films ou dans les
mentalités, il y a dans la communauté gay une tendance
à voir dans l’Arabe ou l’Africain quelqu’un de
forcément viril, hétérosexuel, voire
carrément homophobe. C’est cette extériorisation de
l’homophobie qu’Homo Exoticus entend dénoncer.

    Le discours dominant tend à renier toute
existence de l’homophobie dans les quartiers bourgeois, pour
l’associer directement avec les banlieues, hors de la
civilisation et de la modernité. La polémique entourant
le récent documentaire La Cité du Mâle en est le
plus récent exemple. Cette vision de l’étranger
comme automatiquement homophobe sert également de justification
à la politique migratoire des pays occidentaux.

Se marier et payer des impôts

Au delà des préjugés racistes, c’est
l’ensemble de l’orientation politique des milieux
hégémoniques gays que Maxime Cervulle et Nick
Rees-Roberts critiquent. La revendication, qui prend aujourd’hui
tellement de place qu’elle semble être la seule
demandée par les milieux LGBTI, est celle du droit à se
marier et d’avoir des enfants. S’il est bien clair
qu’en termes de principe personne ne songe à contester une
égalité des droits entre les différentes
orientations sexuelles, ce qui pose problème c’est de
faire du mariage l’horizon principal des exigences politiques du
mouvement. Cette prévalence d’une revendication des plus
conservatrices met dans l’ombre toutes les
velléités subversives pour ériger une nouvelle
norme, dont le capitalisme se contente parfaitement. Là
où des communautés solidaires existaient, le mariage
ramène au premier plan la sphère privée. Les
conjoints s’assistent entre eux et c’est l’Etat
néolibéral qui se frotte les mains. Solidarité et
sexualité redeviennent d’ordre privé.

    Le mérite d’un livre tient parfois
à sa capacité à remettre en question les opinions
toutes faites. Alors que trop souvent la gauche applaudit de
manière acritique à la revendication d’un mariage
homosexuel, ce livre rappelle qu’un tel horizon politique est
plus que problématique, ne serait-ce que parce qu’il
s’inscrit parfaitement dans le processus néolibéral
de réduction de l’État social au profit des
partenariats privés. De plus, une telle revendication revient
à quémander une intégration à la norme
blanche, bourgeoise et machiste, en abandonnant toute volonté
queer d’alliance entre les différent·e·s
opprimé·e·s, que ce soit en termes social, racial
ou sexuel.

Pierre Raboud


Maxime Cervulle et Nick Rees-Roberts, « Homo Exoticus. Race, classe et critique queer », Armand Collin, 2010