La preuve par Fukushima

La preuve par Fukushima : pas de nucléaire sans catastrophe

Il s’est produit ce qui devait se produire : un nouvel « accident » nucléaire majeur […] la preuve est une nouvelle fois fournie que cette technologie ne pourra jamais être sûre à 100 %. Les risques sont à ce point effrayants que la conclusion coule de source : il faut impérativement sortir du nucléaire, et en sortir le plus rapidement possible. C’est la première leçon à tirer de Fukushima, mais son application soulève des questions sociales et politiques absolument fondamentales, nécessitant un véritable débat de société, une alternative à la civilisation capitaliste de la croissance infinie.

Windscale en 1957, Three Mile Island en 1979, Tchernobyl en 1986, Tokai Mura en 2000, et maintenant Fukushima. La liste des accidents dans des centrales nucléaires continue de s’allonger. Il ne peut tout simplement pas en être autrement. Il n’est pas nécessaire d’être docteur en physique pour le comprendre. […]

    Les partisans du nucléaire répètent sans relâche que le dispositif est extrêmement sûr, notamment parce que, en cas de défaillance du réseau électrique, les pompes peuvent être alimentées en énergie grâce à des groupes électrogènes de secours. L’accident de Fukushima montre que ces propos rassurants ne valent pas grand-chose : du fait du tremblement de terre, les centrales les ont déclenchés automatiquement, comme prévu dans ce genre de circonstances. Il n’y avait donc plus de courant pour actionner les pompes. Les groupes électrogènes auraient dû se mettre en route, malheureusement ils étaient hors d’usage, noyés par le tsunami. […]

    La radioactivité mesurée à 80 km de Fukushima est d’ores et déjà plus de 400 fois supérieure aux normes autorisées.

    Six journalistes japonais courageux se sont rendus avec des compteurs Geiger à la mairie de Futaba, située à 2km de la centrale : la radioactivité y était supérieure à la capacité de mesure de certains de leurs appareils ! A l’heure actuelle, on estime qu’un citoyen japonais reçoit en une heure la dose de radioactivité considérée comme acceptable en une année. Comme le dit un communiqué du réseau français « Sortir du nucléaire », « de telles informations accréditent un niveau de radioactivité dramatiquement élevé dans un périmètre étendu autour de la centrale, dont les conséquences sanitaires ne pourront être que très graves. »

    Ne croyons pas être à l’abri des retombées : le précédent de Tchernobyl a montré qu’un nuage radioactif peut contaminer des régions très vastes. Tout dépend de la violence avec laquelle les particules sont envoyées dans l’atmosphère. En cas de très forte explosion, les éléments radioactifs peuvent être propulsés à l’altitude des jetstreams, ces vents violents qui règnent à haute altitude. Dans ce cas, les retombées pourraient affecter des régions très éloignées de Fukushima.[…]

Un risque inacceptable

Après la catastrophe de Tchernobyl, les thuriféraires du nucléaire ont expliqué que la mauvaise technologie soviétique, des normes de sécurité insuffisantes et la nature bureaucratique du système étaient à la base de l’accident. A les croire, rien de semblable ne pouvait se produire avec les centrales basées sur la bonne technologie capitaliste, surtout pas dans nos pays « démocratiques » où le législateur prend toutes les mesures de sécurité nécessaires, à tous les niveaux. On voit aujourd’hui que ce discours ne vaut pas tripette.

    Le Japon est un pays de très haute technologie. Bien conscientes du risque sismique, les autorités nippones ont imposé des normes sévères pour la construction des centrales. Le réacteur 1 de Fukushima comportait même un double dispositif de sécurité, avec certains groupes électrogènes alimentés au fuel, d’une part, et d’autres fonctionnant sur batteries. Rien n’y fit, parce que la technologie la plus sophistiquée et les normes de sécurité les plus strictes ne donneront jamais une garantie absolue, ni face aux catastrophes naturelles, ni face aux possibles actes criminels de terroristes insensés (sans compter les erreurs humaines toujours possibles).

    On peut réduire le risque des centrales nucléaires, on ne peut pas le supprimer totalement. Si on le réduit relativement mais que le nombre de centrales augmente, comme c’est le cas actuellement, le risque absolu peut augmenter. Il est très important de poser que ce risque est inacceptable parce qu’il est d’origine humaine, qu’il est évitable, et qu’il est le résultat de décisions d’investissement prises par des cercles restreints, en fonction de leurs profits, sans véritable consultation démocratique des populations. Ecrire que « les accidents (sic) nucléaires au Japon sont loin d’avoir fait autant de victimes que le tsunami », comme le fait par exemple l’édito du Soir (14 mars), revient à escamoter la différence qualitative entre une catastrophe naturelle inévitable et une catastrophe technologique parfaitement évitable. Ajouter que « à l’instar de tout processus industriel complexe, la production d’énergie à partir de l’atome comporte une part importante de risque » (idem) revient à escamoter en plus la spécificité du risque nucléaire, qui consiste notamment en ceci que cette technologie a le potentiel de rayer l’espèce humaine de la Terre.

    Il faut traquer sans relâche les propos de ce genre, qui traduisent les pressions colossales exercées à tous les niveaux par le lobby de l’atome.[…]

    La prolongation de la vie des installations est une autre source d’inquiétude. On mise sur 50 ans, alors que, au-delà de 20 ans, les incidents se multiplient. C’est ainsi que, du fait de leur vieillissement, dix-neuf des réacteurs français présentent des anomalies non résolues sur les systèmes de refroidissement de secours… ceux qui ont fait défaut au Japon. Etc, etc.

Un choix de société

Il faut sortir du nucléaire, complètement et le plus rapidement possible. C’est parfaitement possible techniquement, et il convient de rappeler au passage que l’efficience du nucléaire est très médiocre (deux tiers de l’énergie est dissipée sous forme de chaleur).

    Le débat est avant tout un débat politique, un débat de société qui pose en définitive un choix de civilisation. Car voici le problème : il faut sortir du nucléaire et, simultanément, abandonner les combustibles fossiles, cause principale du basculement climatique. En deux générations à peine, les renouvelables doivent devenir notre seule source d’énergie. Or, le passage aux renouvelables nécessite de gigantesques investissements, gourmands en énergie, donc sources de gaz à effet de serre supplémentaires. En pratique, la transition énergétique n’est possible que si la demande finale d’énergie diminue radicalement, au moins dans les pays capitalistes développés.

    En Europe, cette diminution devrait être de l’ordre de 50 % d’ici 2050. Une diminution d’une telle ampleur n’est pas réalisable sans une réduction significative de la production matérielle ainsi que des transports. Il faut produire et transporter moins, sans quoi l’équation sera insoluble. C’est dire qu’elle est insoluble pour le système capitaliste, car la course au profit sous le fouet de la concurrence implique inévitablement la croissance, autrement dit l’accumulation du capital qui se traduit inévitablement par une masse croissante de marchandises, donc par une pression accrue sur les ressources. C’est pourquoi toutes les réponses capitalistes au défi climatique font appel à des technologies d’apprentis sorciers, dont le nucléaire est le fleuron.

    Le scénario énergétique « blue map » de l’Agence Internationale de l’Energie est révélateur à cet égard : il propose de multiplier le parc nucléaire par trois d’ici 2050, ce qui impliquerait de construire chaque semaine une centrale de un Gigawatt. C’est de la folie pure et simple.

    Une alternative à ce système infernal est plus urgente que jamais. Elle passe par la réduction radicale du temps de travail sans perte de salaire, avec embauche proportionnelle et baisse des cadences de travail : pour produire moins, il faut travailler moins, et le faire en redistribuant les richesses. Elle passe aussi par la propriété collective des secteurs de l’énergie et de la finance, car les renouvelables sont plus chers que les autres sources, et le resteront pendant une vingtaine d’années, au moins. Elle passe enfin par une planification à tous les niveaux, du local au global, afin de concilier le droit du Sud au développement et la sauvegarde des équilibres écologiques.

    En fin de compte, elle implique le projet écosocialiste d’une société produisant pour la satisfaction des besoins humains réels, démocratiquement déterminés, dans le respect des rythmes et des fonctionnements des écosystèmes. Faute d’une telle alternative, la croissance capitaliste provoquera toujours plus de catastrophes, sans satisfaire pour autant les besoins sociaux.

Telle est, en dernière instance, la terrible leçon de Fukushima. 

Daniel Tanuro
coupure et mise en page de la rédaction, article paru sur Europe Solidaire Sans Frontières (http://www.europe-solidaire.org)