Qui va payer l’addition des bilatérales III ?

Qui va payer l’addition des bilatérales III ?



Mardi 8 février, la
présidente socialiste de la Confédération
rencontrait à Bruxelles le président de la Commission
européenne, José Manuel Baroso. Au menu des discussions:
la volonté affichée de l’Union européenne,
deux ans après les pressions sur le secret bancaire,
de revoir les accords bilatéraux.

Avec des finances publiques saignées par les plans de sauvetage
du système bancaire, l’Union européenne
tolère de plus en plus difficilement le havre fiscal que
représente la Suisse pour bon nombre d’entreprises,
notamment les sociétés holdings. Les forfaits fiscaux
cantonaux offerts aux sociétés étrangères
holdings ou de domicile (qui n’exercent pas
d’activité commerciale en Suisse, mais seulement des
activités administratives) sont plus particulièrement
visés.

    D’autre part, la Suisse représente un
marché non négligeable pour les multinationales
européennes. A ce titre, l’Union européenne fait
actuellement pression sur le gouvernement suisse pour que ce dernier
reprenne dans sa législation les acquis patronaux obtenus dans
les derniers arrêts de la Cour de justice européenne,
notamment afin de libéraliser complètement le
marché du travail et d’éliminer toutes les
protections pour les travailleurs·euses détachés.

    Devant ces pressions, la tactique du Conseil
fédéral ne semble pas arrêtée. Tandis que
Micheline Calmy Rey et Johann Schneider-Ammann proposaient
d’ouvrir des négociations en paquet ficelé (les
fameuses bilatérales III), une majorité semble
préférer retarder le débat.

    Sur le fond cependant, il ne fait guère de
doutes que la volonté première des autorités
consistera à sauver son système de cadeaux fiscaux aux
entreprises et que les maigres protections prévues dans les
mesures d’accompagnement risquent de voler en éclat. Au
passage, les autorités entendent même enfoncer le clou en
faisant doublement payer aux salarié·e·s le
sauvetage des cadeaux fiscaux aux entreprises.

Nouveaux cadeaux fiscaux et destruction prévue du service public

En effet, sans attendre le résultat des négociations
entre la Suisse et l’Union européenne, plusieurs cantons
romands ont déjà pris le dossier du différend
fiscal à bras le corps. C’est ainsi que la population
neuchâteloise se prononcera le 3 avril prochain sur un projet
visant à diviser par deux l’impôt cantonal et
communal sur les bénéfices des entreprises afin
qu’elles bénéficient des mêmes barèmes
que les sociétés holdings. Dans la mesure où
l’Union européenne reproche à la Suisse que le
système d’imposition cantonal prévoyant deux
barèmes (selon que les revenus sont générés
en Suisse ou à l’étranger) constitue une distorsion
de concurrence, les cantons entendent à présent ramener
l’imposition normale des sociétés (qui varie entre
20 et 25 % du bénéfice) à la hauteur de
l’imposition des entreprises bénéficiant d’un
statut spécial (entre 12 et 15 % du
bénéfice).

    Une telle réforme, envisagée par
exemple à Genève par le ministre écologiste David
Hiler, pourrait engendrer une baisse des recettes fiscales de 450
millions à 1 milliard de francs ! Pour le canton de
Genève, cela représente une diminution de 5 à
10 % du budget de l’Etat.

    Il ne fait aucun doute que les prestations de
services publics seront les premières visées par des
plans d’austérité budgétaire encore jamais
vus dans l’histoire récente de ce pays.
    De quoi inquiéter non seulement les syndicats
du personnel des services publics mais également
l’ensemble des salarié·e·s, usagers de ses
services.

Nouvelle offensive contre les salariés

Des inquiétudes à avoir aussi concernant les protections
contre le dumping social et salarial. Derrière la formule
policée de « reprise de l’acquis
communautaire », l’Union européenne entend
imposer une adaptation du droit suisse à
l’évolution du droit européen et notamment aux
arrêts de la Cour de justice européenne
(« Laval »,
« Vicking »,
« Rüffert » et
« Luxembourg »), qui ont tous invoqué
la primauté du droit de commerce sur la protection des
salarié·e·s. Ces arrêts ont non seulement
mis à mal le principe du lieu de prestation sur le lieu de
provenance en matière de conditions de travail pour les
travailleurs·euses détachés mais
également  certains droits nationaux du travail.

    L’Union européenne demande
d’abandonner notamment l’obligation d’annonce des
travailleurs·euses détachés (8 jours avant la
prise de travail), les systèmes de cautions pour les entreprises
étrangères (au cas où elles ne verseraient pas les
salaires minimaux), ainsi que l’interdiction de la location de
services à partir de l’Union européenne.

    Les syndicats de l’Union syndicale suisse
(USS) ont tenu une conférence de presse le
7 février, soit la veille de la rencontre entre Micheline
Calmy Rey et José Manuel Baroso. Ils entendaient signifier leur
refus de voir les protections des salarié·e·s en
Suisse faire l’objet d’un deal contre la protection des
cadeaux fiscaux aux entreprises. A cette occasion, les syndicats ont
également mis en lumière la faiblesse du dispositif des
mesures d’accompagnement et la difficulté de son
application.

    Au vu des sombres perspectives à venir, il
est désormais urgent que les organisations syndicales
développent une autre stratégie que celle de la menace de
moins en moins crédible et réalisable du
référendum contre les accords bilatéraux. En ce
sens, il est désormais temps de réfléchir à
de réelles mesures d’accompagnement à promouvoir.
L’inscription d’un salaire minimum dans la loi participe de
cette dynamique, comme la bataille à mener pour interdire les
licenciements antisyndicaux ou renforcer les systèmes de
contrôle.

Joël Varone, secrétaire syndical Unia