« Il faut s’arracher la peau pour quitter son pays »

« Il faut s’arracher la peau pour quitter son pays »



La montée des nationalismes sur
fond de crise économique et sociale semble être le lot
commun en Europe. En Suisse, en Italie, en France, l’immigration
associée à l’insécurité est
opposée à une identité nationale fantasmée.
Le très beau film « Ulysse
clandestin » de Thomas Lacoste, responsable de la Bande
passante (réseau international de création
contemporaine), interroge cette régression.

« J’ai 25 ans, le reste de ma vie va se
dérouler dans un lieu dont je ne sais rien, que je ne connais
pas et que je ne choisirais peut-être même pas. Là
où nous irons nous ne serons rien, des pauvres sans histoire,
sans argent ». La traversée de l’enfer de
celles et ceux qui n’ont pas d’autres choix que celui
d’émigrer, racontée par la voix off de la
comédienne Anaïs de Courson, sert de fil rouge à
Ulysse clandestin. Le film choral de Thomas Lacoste articule ainsi
l’expérience traumatique du départ aux
interrogations d’historiens, de sociologues, ou
d’anthropologues sur le regain d’intérêt pour
l’identité nationale et les politiques bien réelles
que cache cette notion confuse et fantasmatique.

    Dix entretiens viennent entrecouper la narration
d’Anaïs de Courson, empruntant chacun une démarche de
connaissance permettant de comprendre pour mieux agir.
L’historienne de la Révolution française, Sophie
Wahnich, insiste par exemple sur le fait que, pour les
révolutionnaires, la citoyenneté était
définie en termes de subjectivité politique et non
d’identité culturelle. Dans cette optique,
n’était étranger que celui qui se comportait
d’une manière contraire à la Déclaration des
Droits de l’homme et du citoyen et donc à la France
révolutionnaire ; ainsi en aurait-il été de celui
qui aurait revendiqué l’athéisme seul contre la
liberté de conscience religieuse.

    Le sociologue Luc Boltanski envisage, quant à
lui, l’identité nationale comme une
« épreuve supplémentaire ». Non
seulement, soutient-il, les immigré·e·s doivent
gagner leur pain, trouver un logement, inscrire leur existence dans une
réalité qui leur est au mieux étrangère, au
pire hostile, mais il leur est imposé d’accéder
à « cette chose magnifique et évidemment
fantasmatique à laquelle elles·ils ne seraient pas
naturellement voués ».

    C’est aux frontières intérieures
et aux lignes de couleur, qui séparent les
Français·es blancs de celles et ceux qui ne le sont pas,
auxquelles s’intéresse pour sa part l’historien Pap
Ndiayé. Ce dernier dénonce la « politique de
casting » consistant à promouvoir quelques figures
au mépris d’une véritable lutte contre les
discriminations. Enfin, parmi les dix intellectuels interrogés,
l’anthropologue Emmanuel Terray relève l’hypocrisie
et le cynisme d’un système économique et politique
qui a besoin de l’immigration légale, mais aussi –
et peut-être surtout – illégale pour continuer
à faire des affaires juteuses.

    Ulysse clandestin s’affiche comme un
film-manifeste, un film-­frontière, qui vise à
défendre des valeurs simples mais toujours plus souvent
attaquées et battues en brèche.

Stéfanie Prezioso

A voir et à soutenir rapidement sur www.labandepassante.org/ulysse-clandestin.php.


La Chaîne devient iMmediaT.tv

Nous avions omis de vous le signaler : l’excellent site
web lachaine.ch (webTV-radio genevoise engagée, cf.
solidaritéS nº 153) a changé de nom et
d’adresse web il y a plusieurs semaines déjà, pour
se nommer désormais iMmediaT.tv ! Voilà pour la
forme. Sur le fond, pas de changement : l’infatigable
collectif assure une couverture toujours aussi impressionnante des
évènements locaux puisqu’on retrouve dans les
dernières publications des vidéos et de larges extraits
audio de la Journée Mondiale du refus de la Misère, 
des grèves de l’Usine et autres parades festives, de la
manifestation anti-raciste organisée par United Black Sheep,
ainsi que l’intégralité de plusieurs
conférences-débat récentes : Jean-Yves
Camus (Suisse, Europe : l’extrême-droite
croît), Patrick Viveret (Reconsidérer la richesse) ou
encore le réalisateur Pierre Carles, venu à Genève
début décembre. Un site aux ressources
inépuisables, à consulter sans
modération : www.immediat.tv  TS

—————————————–