Ralentir la ville

Ralentir la ville

Fin novembre, le ROC (Réseau
Objection de Croissance) Vaud organisait un colloque intitulé
« Ralentir la Ville », reprenant ainsi le
thème d’une journée tenue à Vaux-en-Velin au
printemps dernier. L’idée du ralentissement fait donc son
chemin chez tous ceux qui rêvent d’une ville à
visage humain : conviviale, solidaire, apaisée et
donc… ralentie ! Autant d’idées à
mettre en avant à l’occasion des élections
municipales qui auront lieu ce printemps dans les cantons de Vaud et
Genève.

Historiquement, le mouvement Cittaslow est né en Italie en
1999, dans la foulée du mouvement Slow
Food créé en réaction au « fast
food » et à l’uniformisation de nos habitudes
alimentaires. L’une des idées de Slow Food était de
retisser des liens avec l’agriculture artisanale et de
préserver les spécialités régionales
menacées par la mondialisation et l’agro-business. La
« ville lente » s’inscrit dans un
prolongement naturel de cette démarche, dans le cadre d’un
réseau de résistances urbaines à la globalisation.

    Le réseau Cittaslow s’adresse à
des localités de moins de 60 000 habitants et regroupe
plus de 140 villes. Son manifeste comprend près de 70
recommandations parmi lesquelles on trouve la défense du
patrimoine bâti existant, la réduction des consommations
énergétiques, la diminution des déchets, le
développement des commerces de proximité, la
priorité aux infrastructures collectives avec notamment des
équipements adaptés à tous (handicapés,
enfants, personnes âgées, etc.), la multiplication des
espaces verts et des rues piétonnes, la priorité aux
transports en commun et à la mobilité douce, le maintien
des traditions et de l’artisanat local.

Mots-chantiers

Mais loin d’une addition de mesures cosmétiques qui
consisteraient à vouloir « la même chose en
plus lent », la démarche du ralentissement doit
être élargie et appréhendée comme un nouveau
paradigme urbain pour répondre aux impasses écologiques,
sociales et démocratiques.

    L’accélération
générée par le productivisme et la soif de profits
engendre individualisme, exclusion et isolement. Or, ce sont les plus
faibles qui en paient le prix. Ralentir est donc avant tout une
question de justice sociale. Et cette démarche suppose
d’investir des mots-­chantiers : la gratuité,
la coopération, le prendre soin, la relocalisation, la
proximité… afin de rêver à nouveau la
communauté urbaine comme un lieu de résistance à
la mondialisation, à l’uniformisation et à
l’enlaidissement du monde.

Trafic et lien social

Après 50 ans de développement urbain centré sur la
voiture individuelle, la priorité des politiques
d’aménagement devrait être de décoloniser nos
centres urbains de l’automobile. Car si l’on évoque
souvent les nuisances directes du trafic motorisé (pollution
atmosphérique et sonore, engorgement, stress, accidents,
privatisation de l’espace public, épuisement du
pétrole, réchauffement climatique, etc.), on en ignore
généralement les conséquences sociales. Une
étude menée à Bristol en 2008 établit ainsi
un lien très clair entre la densité du trafic et la
destruction du lien social. En prenant trois rues
« types » (trafic faible, moyen et fort),
l’auteur montre combien les liens sociaux à
l’intérieur d’une rue diminuent fortement en
présence d’un trafic important. Dans la rue à
faible trafic, chaque habitant a en moyenne plus de 5 amis et 6
connaissances dans sa rue. Ces chiffres descendent à 1 ami et
moins de 3 connaissances dans la rue à fort trafic (voir
illustration). Les solutions sont simples mais demandent du courage
politique : priorité aux transports publics, rues
piétonnes dans les quartiers, pistes cyclables
sécurisées, diminution du stationnement au centre et
diminution de la vitesse en ville (30 km/h maximum, y compris
sur les axes principaux).

Nature urbaine

Organiser un retour de la nature en ville permettrait à la fois
d’améliorer la qualité de vie pour les citadins
(évitant ainsi l’exil – notamment des familles
– vers la périphérie) et de recréer un lien
entre les zones urbaines et les campagnes. On peut
l’opérer de manière littérale :
création de potagers urbains, jardins de poche,
végétalisation des toits et des façades,
plantation d’arbres et d’espaces verts, recours à la
traction animale. La ville de Coppet ramasse désormais ses
objets encombrants grâce à une charrette tirée par
deux chevaux. Le projet, qui rencontre un vrai succès, permet de
réinsérer des jeunes en rupture.

    Mais ce retour de la nature passe aussi par les
habitudes alimentaires : soutien renforcé aux initiatives
d’agriculture contractuelle de proximité, engagements pour
la restauration collective des collectivités publiques de se
fournir auprès d’agriculteurs de la région, lutte
contre l’implantation de grandes chaînes de malbouffe
capitaliste, soutien renforcé aux marchés. Manger local
permet également aux citadins de retrouver la notion des
saisons, dont l’urbanisation et la grande distribution nous ont
déconnectés, sans parler des bienfaits pour les
agriculteurs locaux, des transports évités, etc.

Espace (vraiment) public

Enfin, le ralentissement implique surtout de faire de la ville un lieu
où se créent des solidarités, où les plus
faibles retrouvent leur place dans un espace public dont la
gratuité doit être garantie. Le droit au logement et
l’accès aux biens de base pour tous doivent être
assurés. Le mobilier urbain (bancs, toilettes publiques, etc.)
doit être convivial et ouvert à tous. Plus
généralement, la lutte contre l’agression
publicitaire et pour des transports publics gratuits doivent aussi
évidemment figurer parmi les priorités de l’action
politique municipale.

    La « ville
lente » est donc une idée potentiellement
féconde et émancipatrice, pour autant qu’elle soit
conçue comme une ouverture au monde et non comme un repli sur
soi et bien sûr, qu’elle s’articule à un
projet global de transformation sociale !

Thibault Schneeberger