Wikileaks, la lutte pour la transparence

Wikileaks, la lutte pour la transparence



Quelle est la vraie nature de l’affaire Wikileaks ?

Pour y voir plus clair, notre
rédaction s’est entretenue avec Olivier Glassey,
sociologe, specialiste des nouvelles technologies à
« l’Observatoire science, politique et
société » de l’Université de
Lausanne.

Réd. Wikileaks est dans toutes les conversations. Mais peu
de gens comprennent ce que ce site représente
réellement ? Pouvez-vous nous dire comment fonctionne
Wikileaks ? Qui est vraiment derrière ce site ?
Comment sont choisis les éléments qui y sont
postés ?

Olivier Glassey Wikileaks
fonctionne comme une boîte aux lettres anonyme sur le net qui
facilite la divulgation de fichiers confidentiels. Concrètement,
les responsables du site réceptionnent des documents de
différentes natures, ils en évaluent
l’authenticité et l’intérêt puis en
assurent la publication en ligne. Outre quelques figures plus
emblématiques comme Assange et plusieurs activistes chinois,
l’équipe est essentiellement composée de plus
d’un millier de volontaires qui demeurent en grande partie
anonymes. Wikileaks revendique la transparence comme le principe
fondateur de son action. Cette transparence est associée
à la défense d’un droit de regard des citoyens
vis-à-vis des actions des États et des entreprises
privées considérés comme des acteurs enclins
à garder indument des secrets.

Pourquoi Wikileaks a décidé de collaborer avec des
grands quotidiens occidentaux, alors que justement, le site
prétend représenter une alternative par rapport à
eux ?

Il existe plusieurs raisons pour expliquer ce rapprochement. La
première tient aux limites inhérentes à Wikileaks,
qui ne possède pas les ressources nécessaires pour trier,
traiter et analyser une si grande masse de documents. La seconde raison
s’apparente sans doute plus à une quête de
reconnaissance et de légitimité qui se trouverait
validée par des partenariats exclusifs avec des organes de
presse bien établis. Ces collaborations illustrent des
complémentarités possibles avec les médias
classiques mais elles visent également à mettre en cause
la complaisance des médias traditionnels et à leur
rappeler leurs devoirs vis-à-vis des citoyens. Finalement, il
s’agit aussi d’une manière de protéger les
documents et les sources en les plaçant dés que possible
sous le « parapluie » légal de la
liberté de la presse, là où cette dernière
est reconnue.

Dans les dernières révélations des documents
diplomatiques américains, y a-t-il des informations
intéressantes qui concerneraient la Suisse ?

Au niveau helvétique, il n’y a pas, à ma
connaissance, de véritable scoop mais un éclairage plus
cru sur les coulisses de la diplomatie. Les historiens ou les
politologues trouveront sans doute dans ces câbles diplomatiques
un matériel permettant d’étayer une analyse des
types de représentations associées à la Suisse et
à sa politique telles que perçues par les
Américains. Il convient cependant de garder à
l’esprit que l’intégralité des documents
n’est sans doute pas présente dans cette collection de
messages.

Le président de Wikileaks, Assange, est acuellement en
prison. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur sa reddition et sur
les poursuites qui ont amené à cette arrestation ?

Alors que les médias nord-américains décrivaient
une véritable chasse à l’homme, Assange s’est
présenté spontanément à la police quelques
heures après l’émission d’un mandat
international. Sans connaître l’ensemble des
éléments du dossier, il n’est guère possible
de se prononcer sur la nature exacte des faits qui lui sont
reprochés, mais les hésitations et les tâtonnements
de la justice suédoise ont suscité beaucoup de suspicion.
Les craintes portent aussi sur des possibilités
d’extradition vers les USA, pays où plusieurs
ténors conservateurs réclament qu’il soit
traité comme terroriste.

Le site de Wikileaks fait face à des assauts de toutes
parts : critiqué par les différents gouvernements,
il subit également des interdits bancaires et se fait expulser
de différents domaines internets. On voit que
l’idée d’un web qui serait absolument libre est
trompeuse, et que les Etats, lorsqu’ils se sentent
menacés, n’hésitent pas à faire feu de tous
bois. Selon vous, jusqu’où peut aller la répression
de Wikileaks ?

Les États-Unis exercent de nombreuses pressions pour tenter
d’effacer Wikileaks du Web. Il s’agit d’un
véritable conflit informationnel où tous les coups sont
permis. La stratégie d’expulsion des sites
d’hébergement frappe les esprits mais elle ignore la
véritable nature du Net. En agissant d’une manière
aussi violente et visible, les adversaires de Wikileaks n’ont
fait qu’accélérer le processus d’essaimage
des informations et, à ce jour, on compte déjà
mondialement plus de 1500 sites qui ont repris tout ou partie du
contenu du site original.

Face à cette répression, on assiste ces derniers
jours à une contre-attaque sur internet. Des hackers lancent des
opérations contre des sites, notamment bancaires, en rendant
l’accès à ces sites impossibles. Pouvez-vous
revenir en quelques mots sur cette
« revanche » ? Qui en sont les acteurs et
peut-on imaginer qu’elle prenne de plus en plus
d’ampleur ?

Ce qui est intéressant et original, c’est que cette
« revanche » résulte de l’action
partiellement concertée d’un grand nombre
d’individus organisés de manière ouverte,
sporadique et éphémère. Techniquement et
légalement, il n’est pas certain qu’il
s’agisse véritablement
d’« attaques », car les actions
perpétrées s’apparentent plus à
d’immenses sit-in virtuels conduisant à la surcharge des
capacités des sites cibles et elles ne détruisent rien.

    Sur le long terme, le cas de Wikileaks peut devenir
emblématique d’une lutte plus large. Celle-ci oppose,
d’une part, les États et les grandes compagnies qui
tentent par différents moyens de mieux contrôler pour
leurs propres intérêts le contenu du Web et, d’autre
part, des internautes qui revendiquent la spécificité et
l’ouverture de cet espace d’information et
d’échange.