Cancun: le marketing gouvernemental cache mal l’urgence climatique

Cancun: le marketing gouvernemental cache mal l’urgence climatique

Certes, par comparaison avec le fiasco de Copenhague, le sommet de
Cancun qui s’est achevé le week-end dernier permet aux
principaux dirigeants de la planète de sauver la face sur la
scène médiatique. Mais à y regarder de plus
près, le texte issu des négociations est loin
d’être à la hauteur de l’urgence climatique.
En particulier, parce qu’il ne fixe aucun objectif contraignant
en matière de réduction des gaz à effet de serre.
Pire encore, les pays développés n’ont pas
annoncé d’objectifs plus ambitieux que ceux,
extrêmement timides, qui s’étaient
dégagés de Copenhague. Or, les experts de l’ONU ont
estimé que les engagements annoncés à Copenhague
se solderaient par une hausse de la température moyenne du globe
de 4°C au moins d’ici 2100. Rappelons qu’au-delà
de 2°C de hausse d’ici la fin du siècle, les
scientifiques s’accordent à dire que la planète
s’achemine vers une catastrophe écologique et sociale
d’une ampleur inouïe (inondations, sécheresses,
famines de masse, destruction de la biosphère), frappant des
centaines de millions d’individus, en particulier dans les pays
pauvres.

    Pour ne pas trop dépasser le seuil des
2°C, le Groupe d’experts intergouvernemental sur
l’évolution du climat (GIEC) précise que les pays
développés doivent réduire leurs émissions
de 80 à 95 % d’ici 2050, par rapport au niveau de
1990. Comme ces projections sont basées sur des modèles
climatiques qui n’intègrent pas les
phénomènes non linéaires (par exemple, la
désintégration des calottes glaciaires), le principe de
précaution recommande de choisir les objectifs les plus
drastiques. Les Etats-Unis, responsables de 14,3 % des
émissions, avaient annoncé à Copenhague un
objectif de 17 % de réduction par rapport à 2005
d’ici 2020, alors que leurs émissions ont augmenté
de 30 % depuis 1990 ! Cette promesse
ultra-­minimaliste ne sera pourtant pas tenue, le Sénat
n’ayant pas adopté la loi sur le climat proposée
par Barack Obama. Cet échec du président
américain, intervenu après le sommet de Copenhague,
amènera sans doute les experts à revoir leurs
prévisions de hausse à plus de 4°C d’ici
2100 : de quoi mettre en cause les plans de com’
gouvernementaux savamment orchestrés à l’issue de
Cancun. La Suisse ne fait pas mieux. Elle s’est engagée
dans le cadre du protocole de Kyoto (qu’elle a d’ailleurs
signé très tardivement) à réduire ses
émissions de gaz à effet de serre de 8 % entre
2008 et 2012 par rapport à 1990. Or, non seulement elle ne
respecte pas cet engagement, mais pire, ses émissions ont
augmenté par rapport à 1990 !

    Les pays riches se gargarisent de la mise sur pied
d’un « Fonds vert » destiné
à aider les pays dits « en
développement » à réduire leurs
émissions. Outre que son financement n’est pour
l’instant aucunement garanti – en fait, il s’agira
sans doute de recycler des fonds déjà destinés
à l’aide au développement – celui-ci est
placé sous le contrôle de la Banque mondiale. On sait de
quelles conditionnalités drastiques ce bras armé du
néolibéralisme assortit ses prétendues aides aux
pays pauvres : privatisation des services publics, cure
budgétaire radicale, bref, destruction de tout ce qui
permettrait de mettre en œuvre de véritables politiques
écologiques et sociales. Surtout, il y a bien de
l’hypocrisie de la part des pays riches à vouloir
« aider » les
pays « émergents », alors
même que ces derniers sont les seuls à respecter à
peu près les recommandations du GIEC en matière de
réduction des émissions (la Chine prévoit
ainsi de réduire ses émissions de 40 à 45 %
par l’amélioration de l’efficience
énergétique d’ici 2020 ; le Brésil de 36
à 39 % ; l’Inde de 20 à 25 % ;
l’Indonésie de 26 %, etc.), contrairement aux
grandes puissances du Nord dont la responsabilité historique
dans le processus de réchauffement est pourtant écrasante.

    L’urgence climatique et les catastrophes
qu’elle laisse présager offrent pourtant deux chances
précieuses à saisir pour les militant·e·s
anticapitalistes. D’abord, la lutte contre la menace climatique
est un formidable argument en faveur de
l’internationalisme : lorsque le mode de production et de
consommation des Américains ou des Brésiliens implique un
impact direct sur la fonte des glaciers et du permafrost en Suisse, la
seule réponse rationnelle ne passe-t-elle pas par une
coopération accrue entre les peuples afin de trouver des
solutions globales au réchauffement ? Un raisonnement
d’autant plus décisif en Suisse, petit pays aveuglé
par la croyance purement idéologique en son destin de
« cas particulier », bien à
l’abri derrière ses montagnes et sa prétendue
neutralité…

    Plus généralement, l’urgence
climatique est un argument de poids en faveur d’un changement
radical de système économique, dans la mesure où
le capitalisme, même repeint en vert, offre la preuve quotidienne
de son incapacité à résoudre cette crise.
L’alternative dont parlait Rosa Luxemburg il y a près
d’un siècle apparaît plus actuelle que
jamais : « Socialisme ou barbarie ».

Hadrien Buclin