Réchauffement climatique: en attendant Caucún

Réchauffement climatique: en attendant Caucún

Du 29 novembre au 10 décembre
se tiendra, à Caucún (Mexique), la conférence de
l’ONU sur le changement climatique. Tous les signaux indiquent
que l’on ira éventuellement vers quelques consolidations
du branlant édifice actuel, mais certainement pas vers un accord
multilatéral efficace et contraignant. Pendant ce temps, les
émissions de gaz à effet de serre se poursuivent.

Selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM),
en 2009 « les principaux gaz à effet de serre ont
atteint leurs plus hauts niveaux jamais observés depuis
l’époque préindustrielle » […]
Son bulletin de novembre « fait également
état des préoccupations concernant le
réchauffement planétaire, qui pourrait entraîner un
accroissement des émissions de méthane dans les
régions arctiques. »

Pour 2010, les 30 scientifiques regroupés dans Global Carbon
Project publient une étude dans le magazine Nature Geoscience
qui juge que les records de 2008 pourraient être
dépassés, principalement à cause de la forte
croissance des émissions en Inde et en Chine.

Une dégradation plus rapide que prévu

Pourtant, les études scientifiques publiées depuis celles
qui sont prises en compte dans le dernier rapport du GIEC — qui
dataient au mieux de mi-2006 — indiquent que le changement
climatique est en train de se produire plus rapidement qu’on ne
le pensait il y a quelques années. Trois points au moins
viennent assombrir le diagnostic :

a) le retrait de la banquise arctique estivale est plus prononcé
que ce que prévoyait le GIEC. En septembre 2007, la mer de glace
a connu une étendue minimum de 4,2 millions de km2, loin de la
moyenne de 6,5 millions de la période 1979-2000;

b) le glissement des glaciers du Groenland et de l’Antarctique de
l’Ouest n’était pas pris en compte dans le calcul de
l’élévation du niveau de la mer. Les récents
travaux d’Isabella Velicogna (Université de Californie,
à Irvine) montrent que les deux inlandsis perdraient
actuellement ensemble près de 500 milliards de tonnes de glace
par an, le double de ce qu’ils cédaient dans la
première moitié de la décennie.
L’augmentation prévisible du niveau des mers passe ainsi
dans une fourchette entre 50 et 150 cm en 2100, avec
d’importantes disparités régionales;

c) l’acidification des océans n’était pas
prise en compte dans le rapport du GIEC. Aujourd’hui
confirmée, ses effets à moyen et long terme, en
particulier sur le phytoplancton, font l’objet de recherches et
de débats.

Comme le système climatique fonctionne avec inertie, les mesures
à prendre sont d’autant plus urgentes. Stefan Rahmstorf,
professeur d’océanographie physique à
l’Université de Postdam et incidemment conseiller du
gouvernement allemand sur le climat, rappelle que, selon une
étude de la revue Nature, « nous pouvons nous
permettre d’émettre 700 milliards de tonnes de carbone
dans les prochaines quarante années en restant sous la limite
des 2° c d’augmentation des températures. Au
rythme actuel des émissions actuelles, nous émettrions ce
montant en une vingtaine d’années environ. Nous devrons
donc passer d’un régime d’augmentation des
émissions à un régime de baisse des
émissions d’ici cinq à dix ans. » (Le
Monde, 27.11.10). Même si l’on peut avoir des doutes sur le
respect de la limite de 2° c, dont le dépassement
serait déjà « dans le
pipe-line », il n’empêche que l’exigence
est là : le rythme d’émission est deux fois
trop fort. La revendication d’une diminution de 40 % des
émissions d’ici 2020 (en se référant au
volume de 1990 !) dans les pays industrialisés est donc
une nécessité absolue. Or aucun pays ne s’y engage
véritablement.

Une conférence condamnée aux petits pas formels

La conférence de Caucún ne changera pas grand-chose sur
ce point, même si la coalition de 77 pays en
développement, emmenée par la Chine, arrive à
contraindre les Etats-Unis à adhérer à la
prolongation du protocole de Kyoto. Un résultat qui paraît
douteux, le Congrès américain ayant, avant même les
élections de mi-mandat et la poussée républicaine,
renoncé à un projet de loi sur le climat.

Dès lors, on peut aussi s’interroger sur la
stratégie des grandes organisations de défense de
l’environnement, regroupée dans le Réseau Action
Climat. Incontestablement, nous partageons avec elles l’objectif
d’un accord multilatéral contraignant; pour autant, nous
ne nous associons pas à leur choix prioritaire d’un
travail de lobbying dont l’efficacité reste, depuis
Copenhague, largement sujette à caution. Surtout, la confiance
qu’elles placent dans les mécanismes de marché et
les organismes financiers internationaux semble
démesurée, même en prenant en compte leurs
revendications de transparence, d’équité et de
sécurité. Comme le dénonce
l’Assemblée européenne pour la justice climatique,
le risque est bien réel de voir les discussions de Caucún
« être utilisées par les pays riches et
industrialisés, par les multinationales, par les institutions
financières internationales (comme la Banque Mondiale) pour
continuer à diviser et à privatiser ce qu’il reste
de notre atmosphère et pour imposer leurs fausses
solutions : les agrocarburants, le nucléaire, les OGM et
les mécanismes de marché tels que
les «compensations carbone » ou
l’intégration des forêts dans le marché du
carbone ». Cette Assemblée, qui se déroulera du 26
au 29 novembre à Bruxelles et qui discutera entre autres
d’un message à la conférence de l’ONU,
répond à l’appel lancé par Via Campesina
pour « un millier de Caucún »,
cosigné par la Marche mondiale des femmes et les Amis de la
Terre International. A Caucún même, une grande
manifestation paysanne aura lieu le 7 décembre.

Daniel Süri