Les vendeuses aussi ont droit au repos: non aux nocturnes

Les vendeuses aussi ont droit au repos


Non aux nocturnes!


Nous publions le rapport de notre camarade Rémy Pagani concernant la nouvelle loi genevoise
modifiant l’heure de fermeture des magasins. Un débat à l’ordre du jour de la séance du Grand
Conseil genevois des 29 et 30 novembre. L’ADG est le seul groupe à s’opposer à ce projet…1


Rémy Pagani


Nous sommes opposés à toute
déréglementation du travail dans la mesure
où cette flexibilisation détériore les
conditions de vie et d’emploi des salarié-
e-s. Nous estimons que le travail audelà
de 18h est malsain, tant du point de
vue social que pour des raisons psychiques
et physiques. Pour imposer aux
travailleuses/eurs une activité dans cette
partie de la journée, seuls doivent être
pris en considération les besoins reconnus
socialement comme vitaux notamment
la prise en charge médicale. En
considération de quoi, nous nous sommes
régulièrement opposés à l’extension
du régime des ouvertures de magasin
en nocturne, considérant que cette
activité n’était pas prioritaire.


Dans nos rangs de nombreuses personnes
affirmaient déjà ce principe en
1988 lors de la campagne référendaire
contre la modification de la Loi sur les
heures de fermetures des magasins
(LHFM) qui proposait alors une ouverture
hebdomadaire jusqu’à 22 heures.
Projet balayé en votation populaire à
près de deux contre un.


En 1994, lors de la campagne référendaire
menée contre l’ouverture nocturne
une fois par semaine jusqu’à 20h, nous
avions déjà prédit la prochaine étape qui
consisterait à prolonger cette ouverture à
21h puis 22h et l’extension des horaires
du samedi jusqu’à 18h. Le présent projet
réussit le tour de force de rendre possible
cette extension, d’une part grâce à la
prolongation de l’horaire jusqu’à 21h et
d’autre part en ne fixant plus d’heure butoir
à laquelle le personnel devra impérativement
être libéré. Sur ce dernier
point, s’il est vrai que les portes des magasins
devront être fermées à 21h, il restera
toujours possible de servir la clientèle
présente au-delà de cette limite. Gageons
que le personnel ne sera pas libéré
avant que ses clients n’aient quitté effectivement
le magasin notamment dans les
grandes surfaces. Si l’on met en relation
cette possibilité avec le fait que celles/
ceux qui seront amenés à travailler lors
de ces nocturnes ne toucheront aucune
majoration salariale en compensation de
ces heures travaillées la nuit, on comprend
mieux l’ampleur de la dégradation
des conditions de travail proposée.
Non seulement le personnel devra subir
l’ouverture jusqu’à 21h une fois par semaine
mais il n’aura pas d’assurance de
pouvoir être à son domicile avant 22h et
ce pour un salaire horaire identique.


Une déréglementation
pour mieux réglementer?


Les syndicats de la branche nous présentent
le fruit de leurs négociations
comme une avancée décisive pour sauvegarder
une convention collective qui
reste, selon eux, une des meilleures de
Suisse. Gênés aux entournures, ils reconnaissent
toutefois avoir mis de l’eau
dans leur vin puisqu’ils n’ont pas obtenu
l’extension de cette convention collective
du non alimentaire à tous les commerces
de la place mais c’est une convention
croupion – dite «cadre» – qu’ils
ont dû signer. […]


De plus, resteront sur le carreau plus
de cinq mille vendeuses/eurs salariés
dans des magasins de 5 employés et
moins sur les 18 300 employés de la
branche répertoriés en 2000. En effet,
les entreprises de 5 personnes et moins,
non compris l’employeur et les apprentie-
s, ne seront pas soumises au régime
conventionnel de cette fameuse convention
cadre. On peut même imaginer que
ces cinq mille personnes verront leurs
conditions de travail se détériorer dans
la mesure où leur employeur pourra les
faire travailler 50 heures par semaine
(voir Loi sur le Travail), en prolongeant,
une fois par semaine, leur horaire jusqu’à
21h30 voire 22h. En effet, les derniers
clients quittant le magasin après
l’heure de fermeture officielle, il faudra
bien que quelqu’un range la boutique et
compte l’argent des caisses.


Pour compléter ce tableau de
l’«accompagnement» de la déréglementation,
ose-t-on encore parler des fameux
salaires minimums qui sont
aujourd’hui considérés par les partenaires
sociaux comme pierre angulaire de
leur accord? Pour comprendre cette problématique,
il faut se référer aux salaires
minimum pratiqués par exemple au
début des années 1990, qui se situaient
légèrement en dessous des 3000 F mensuels
pour le personnel sans CFC, majoritaire
dans la branche. Aujour d’hui, on
nous présente le salaire minimum de
3145 Fr/mois comme une avancée syndicale
significative, d’au tant plus
qu’une indexation automatique y est attachée.
Or, ce qu’on oublie de dire, c’est
que l’inflation durant cette période a été
de 25% soit une perte de pouvoir
d’achat d’un quart. Ce fameux salaire de
3145 Fr ne vaut en fait plus que 2358 Fr! Une avancée sociale décisive?


Des enquêtes parlantes


Comme par hasard, à la Commission
de l’économie lors de l’étude de ce projet
de loi, personne n’a fait référence aux
enquêtes réalisées concernant ce domaine
d’activités. Les partenaires sociaux
se sont gardés d’entrer sur ce terrain
dans la mesure où il leur est totalement
défavorable. En effet, la dernière
enquête d’envergure, réalisée entre décembre
1993 et janvier 1994 auprès du
personnel de vente recueillant l’avis de
844 vendeuses/eurs, relevait que 86%
des personnes ayant répondu étaient
contre une ouverture hebdomadaire jusqu’à
20h et 87% étaient contre une
ouverture nocturne jusqu’à 21h. De
même en ce qui concerne l’argument
des habitudes d’achats en France voisine,
toutes les enquêtes relèvent que la
motivation principale du déplacement
des consommateurs réside non dans le
régime d’ouverture des magasins mais
surtout dans l’écart des prix.


Sans nier les difficultés du travail syndical,
en particulier dans cette branche
de la vente, nous ne pouvons nous limiter
à enregistrer le résultat de négociations
de CCT. Notre rôle politique est
d’orienter l’ensemble de la population
par des propositions politiques claires et
sans opportunisme. Pour nous, le temps
du repas commun, les horaires scolaires,
la vie culturelle suivent un horaire commun
peu mobile, c’est une réalité incontournable.
Les efforts pour adapter des
horaires atypiques à ce cadre général
sont source de stress supplémentaire qui
se paie par des atteintes à la santé individuelle
et un coût social général.2 C’est
pourquoi du point de vue de l’économie
globale, en termes de santé publique
comme du point de vue des conditions
d’emploi dans cette branche d’activité
nous sommes opposés à toute déréglementation
dans le régime des heures
d’ouverture des magasins.





  1. V. solidaritéS N° 113 (31.8.00): Nouvelle CCT dans la vente et ouvertures noctures (art. du SIT) et N°114 (21.9.00): Edito + Entre l’enjeu syndical et le prétexte d’un faux besoin social + ZH : Non à la «Loi Rambo»

  2. Enquête sur le stress, Groupement de psychologie appliquée de l’Uni. de Neuchâtel et Ergo-rama à Genève, Dép. fédéral de l’économie, 12.9.00.