Grande-Bretagne: les jeunes entrent en résistance

Grande-Bretagne: les jeunes entrent en résistance

Rage et indignation étaient
à l’ordre du jour la semaine dernière à
Londres. Plus de 50 000 manifestant·e·s :
jeunes, étudiant·e·s en masse,
lycéen·ne·s très nombreux et profs bien
présents, manifestaient en effet mercredi 10 novembre face
au Parlement à Westminster contre les projets du gouvernement de
sabrer les bourses d’études et de tripler les taxes
universitaires.

Ces nouvelles taxes, que le parlement britannique doit en principe
voter avant Noël, passeraient de 3290 à 9000 livres par an,
sonnant le glas définitif de l’accès à
l’enseignement supérieur pour toute une
génération de jeunes ne faisant pas partie des milieux
les plus favorisés. Aujourd’hui déjà, nombre
d’étu­diant·e·s quittent les
universités avec des dettes écrasantes, plus de
20 000 livres étant un montant courant,
qu’ils-elles mettent des années à rembourser.

Manif massive et radicale

Ce fut la plus importante manifestation d’opposition depuis
l’entrée de David Cameron au 10 Downing Street.
Rassemblés à l’appel du Syndicat national des
étudiants (NUS), les manifestant·e·s, deux fois
plus nombreux que prévu et très déterminés,
ont été durement réprimés par la police
lorsque des centaines d’entre-eux, portés par des milliers
d’autres, ont spontanément envahi et occupé le
siège central du Parti conservateur au 30 Millbank, un
bâtiment symbole d’une politique toute entière
tournée vers le primat du profit pour le capital sur les besoins
sociaux de la majorité des gens.

    Les affrontements ont été d’une
ampleur qui n’avait pas été vue dans la capitale
britannique depuis plus 20 ans et auraient fait 14
blessé·e·s, dont 7 policiers et conduit à
de nombreuses arrestations.

    L’occupation du siège des
« tories » a été le moment fort
de cette mobilisation ayant surpris tous les médias tant par son
ampleur que par sa radicalité. A l’intérieur du
bâtiment occupé, plusieurs permanents du parti
conservateur ont été contraints de se barricader dans
leurs bureaux, avec parmi eux la présidente du parti, la baronne
Warsi, réduite à rester en contact
téléphonique avec la police à
l’extérieur.

    Des slogans ont été peints sur les
murs, des vitres ont volé en éclats et du mobilier est
passé par les fenêtres, aux cris de Tory scum (racaille de
conservateurs) et de « We’re young !
We’re poor ! We won’t pay
anymore ! » (« On est jeunes, on est
pauvres, on veut plus payer ! »)

    La police semble avoir été totalement
surprise par cette éruption. Elle a été un moment
débordée et forcée de reculer face à la
détermination des étudiant·e·s,
portés par la vague d’indignation et par le sentiment de
trahison de toute une génération.

QG conservateur occupé

Comme l’écrivait notamment Laurie Penny, qui y
était, sur le site du New Statesman : «…la
violence qui s’est allumée autour du QG des Tories
n’est pas attribuable à ‹ un petit groupe
d’anarchistes qui gâchent tout › mais
elle est au contraire largement le fruit d’un consensus, ceux qui
sont devant étant portés par la vague de fond
émanant de la foule…» A ce sujet, elle cite un
manifestant: «On a bien vu ce qui s’est passé dans
les manifs anti-guerre de 2003… Il ne s’est rien
passé… on est venus bien gentiment, on a écouté
des discours… on est rentré chez nous. Alors quel autre choix
avons-nous?»

    Nina Power, dans le Guardian, va dans le même
sens en écrivant : « Il est difficile de
présenter cette violence comme étant le produit
d’une petite minorité. C’est au contraire
l’expression authentique de la frustration contre le petit nombre
de ceux qui façonnent un avenir de misère pour la
majorité.»

    Sur place, un groupe
d’étudiant·e·s a diffusé une
déclaration disant : « Nous occupons le
siège du parti conservateur en opposition à la
marchandisation de l’enseignement approuvée par le
gouvernement de coalition et à sa volonté d’aider
les riches pour s’attaquer aux pauvres. Nous appelons à
l’action directe pour s’opposer à
l’austérité. Ceci n’est que le début
de la résistance ».

Trahison des libéraux

Le président du NUS a – de manière
prévisible, mais discutable et discutée –
condamné les « actions violentes » de
manifestant·e·s, tout en prévenant les
députés libéraux qu’ils seront
expulsés du parlement s’ils votent en faveur de
l’augmentation des taxes universitaires. Pendant la
dernière campagne électorale pour les
législatives, les libéraux-démocrates avaient en
effet solennellement promis qu’ils n’augmenteraient pas les
taxes universitaires, augmentation qu’ils défendent
aujourd’hui afin de compenser les coupes – à hauteur
de 40 % – dans le financement public des postes
d’enseignement universitaire, coupes décidées dans
le cadre du plan d’austérité
particulièrement drastique et antisocial institué par le
gouvernement de coalition avec les conservateur auquel ils participent.

    Un plan d’austérité dont les
victimes, sans-logis, patients qu’on ne soignera plus ou moins
bien, jeunes privés d’avenir et d’espoir,
sans-emplois… souffriront une violence systémique et
systématique à côté de laquelle les quelques
vitres brisées chez la baronne Warsi ne pèsent pas bien
lourd.

    Après la Grèce et la France, cette
manif du 10 novembre pourrait être le signal du réveil de
la jeunesse et de la classe ouvrière anglaise, jusqu’ici
relativement passives face à ces mesures
d’austérité sans précédent prises par
le gouvernement de James Cameron, qui se vantait il n’y a pas si
longtemps de parvenir à un large
« consensus » autour de ses politiques
antisociales.

Pierre Vanek