THE SOCIAL NETWORK

THE SOCIAL NETWORK



Déjà un film sur le
fondateur de facebook, un nouveau biopic pour nourrir la politique
d’hollywoodisation de la société

Faire une critique de The Social Network, c’est décevoir
les attentes. On ne va pas parler de facebook, le film lui-même
le mentionne à peine. On ne va pas non plus beaucoup parler du
film. Il n’est d’un intérêt que mineur, biopic
très classique, plutôt bien réalisé, qui
montre comment un nerd misanthrope finit par devenir un milliardaire
autiste, attisant les jalousies. Il est sûr que ce film est
réussi, du fait qu’il parvient à rendre prenant une
histoire basée essentiellement sur des dialogues. Mais ce qui
nous intéresse plus, c’est la façon dont ce film
questionne le rapport entre cinéma et réalité. Si
dès les tout débuts, le cinéma s’est cru
l’équivalent de la réalité (Guerre de Cuba
et explosion du Maine à La Havane), il a vite choisi la fiction
comme terrain de prédilection, se rapprochant souvent de la
peinture (L’Arrivée d’un train en gare de la Ciotat)
ou du roman (les films noirs, la science fiction, etc.). Des
événements historiques constituaient évidemment
souvent la trame de ces films. Dans les années 2000, un genre
s’est imposé : le biopic. Ces films racontant la
vie d’une personne finirent par devenir quasiment
hégémoniques. Si l’on prend la liste des oscars du
meilleur acteur entre 2005 et 2009, 4 acteurs sur 5 jouent le
rôle d’un personnage réel. Chez les femmes, elles
sont 3 sur 5. Parmi les plus connus, il s’agit surtout de
musiciens, mais des personnages politiques sont également
apparus, comme la reine d’Angleterre ou Idi Amin Dada. Ces
films-portraits ont cela de problématique qu’ils imposent
leur interprétation en la faisant passer pour neutre. Ce serait
une « histoire vraie ». Or
l’objectivité est absurde en cinéma, qui passe
toujours par le biais des images. Le cadrage est toujours moral, le
montage politique.

Storytelling et déréalisation

Ce qu’il y a de nouveau avec The Social Network, c’est
qu’il traite d’un individu vivant actuellement et
d’événements récents. Le biopic habituel
était ambivalent mais n’était qu’une forme
parmi d’autres de fixation de représentations historiques.
David Fincher fait un film sur Mark Zuckerberg, et il le fait de
manière acritique, essayant juste de raconter comment cela se
serait passé. Si vous questionnez autour de vous, les gens
prennent ce que le film montre pour acquis. Ce serait la
vérité. On est ici face à un storytelling
inquiétant qui laisse présager d’un monde où
pour s’informer sur un individu, une entreprise, on irait voir le
film qui en parle. De plus, cette imbrication de la fiction et de la
réalité fait éclater leurs frontières et
déréalise la réalité en la faisant passer
pour de la fiction (comment critiquer Mark Zuckerberg si c’est
une star de film ?) et en faisant passer la fiction pour de la
réalité. Percevoir la société comme une
mégaproduction hollywoodienne, c’est concevoir le peuple
comme simple spectateur.


Pierre Raboud