Villes en transition : vers une vie « post pétrole »

Villes en transition : vers une vie « post pétrole »

Le processus dit de transition est
issu, en 2005, de l’initiative d’un groupe
d’étudiant-e-s, sous la direction de Rob Hopkins,
enseignant à l’Université de Kinsale (Irlande),
spécialiste en permaculture, domaine du développement
soutenable en agriculture (« permanent
agriculture ») venant des expériences australiennes
sur les écosystèmes naturels. Il s’agit de
consommer le minimum d’énergie, de diversifier la
production, d’être autonome et de ne pas produire de
pollution en recyclant les déchets. David Holmgren a
redéfini le concept comme « permanent
culture ».

Totnes, ville du sud-ouest de l’Angleterre de 9000 habitants, est
le premier terrain d’expérimentation du mouvement
naissant. Comme le soulignent Luc Semal et Mathilde Szuba (Mouvements,
27.9.2010), le terreau était très favorable, car il
existait déjà à Totnes plusieurs réseaux
écologistes, liés à des activités
« bio ». Ces militant·e·s ont
lancé une campagne d’ «éveil des
consciences », sur la base d’une méthodologie
détaillée, comprenant le modèle de transition,
avec une base d’accord préalable pour une vision commune,
les 7 « mais », les 12 étapes de la
transition vers un « plan d’action de descente
énergétique » (PADE), le réseau
catalyseur, les 15 critères pour la mise en œuvre (Guide
des Initiatives de Transition).

Un optimisme pragmatique mais apolitique

L’originalité de ce mouvement tient à son optimisme
pragmatique, basé sur l’idée que la crise est
l’occasion de changement radicaux, et à sa dimension
collective, la communauté est le vecteur du changement. Les
limites sont liées à son apolitisme, à
l’évitement des conflits et confrontations, voire des
manifestations. Il définit une théorie psychologique
basée sur le traitement des addictions, et établit des
parallèles avec les mécanismes de déni et les
réactions dépressives et d’impuissance
provoquées par la première confrontation à la
réalité. Pour les
« transitioneurs·euses », la phase
d’éveil des consciences et de sensibilisation dure de six
mois à un an après le visionnement du documentaire de
propagande « Transition Towns ». Le groupe de
pilotage organise alors un moment de « grand
déchaînement » (Great Unleashing), pour
donner l’élan et l’énergie nécessaire
au mouvement local, et provoquer son élargissement.

Un mouvement « libre » en expansion

Le mouvement s’est  développé principalement
dans les pays anglophones, puis dans les régions 
francophones grâce à l’appui du groupe Objectif
Résilience, créé en 2008 ; les principales
Villes en Transition francophones sont Bruxelles, Grenoble,
Trièves, et Québec. Il s’étend actuellement
en Europe (Allemagne, Italie) et compte plus de 250 initiatives dans
les villes ou communautés d’une quinzaine de pays.

    D’autres organisations sont apparues pour
aider les municipalités à affronter le pic
pétrolier, comme Oil Depletion analysis Center (GB) ou
l’ONG Post Carbon Institut (USA), par exemple, qui visent
à soutenir les élu·e·s qui ont signé
le Protocole de Rimini (ou d’Uppsala) du géologue Colin
Campbell. Ce protocole vise la stabilité des prix du
pétrole sur la base d’un accord entre pays producteurs et
pays importateurs pour un taux de diminution annuelle de la production
mondiale.

    D’autres groupements proches, souvent amis et
partenaires, se sont développés unis par le paradigme de
la décroissance, et par la forte conviction de
l’impossibilité d’une croissance verte. Il faut
reconnaître que le cœur du Transition network, toujours
basé à Totnes, laisse une grande liberté
d’appréciation et de manœuvre pour le lancement et
la concrétisation d’initiatives différentes. Son
slogan « laisser le groupe évoluer comme il
l’entend » ne laisse aucun doute à ce sujet.
Il se défend ainsi de tout dogmatisme, se veut résolument
stimulant pour la mise en place de plateformes communes, cherchant
à réunir les acteurs·trices dans une dynamique
commune.

    Avec le projet de reconstruire la résilience
locale des communes, de favoriser les relocalisations dans une
variété de domaines (agricole, économique, etc),
le mouvement des villes en transition valorisent de multiples formes de
convivialité, de solidarité et d’autonomie.

Justice et émancipation sociales : une boussole nécessaire

La principale critique que nous pouvons formuler à
l’égard de ce mouvement réside dans l’absence
de prise en compte des différentes classes et catégories
sociales et de leurs intérêts divergents. En effet, pour
pouvoir réellement mettre en œuvre le changement radical
nécessaire, il faut dévoiler les dynamiques et les
contradictions du système capitaliste dans lequel nous vivons et
en proposer une critique radicale.

    A Genève, la Coordination Climat et Justice
sociale et l’association Ecoattitude ont organisé une
première rencontre pour évaluer les possibilités
de lancer un mouvement de transition dans la région. Plusieurs
démarches sont en cours. Les militant·e·s de
solidaritéS engagés dans ce processus, en particulier le
groupe « écosocialiste », ont
décidé de soutenir le projet au niveau régional,
dans la perspective d’un travail en commun avec les organisations
amies du Pays de Gex, de la Haute Savoie. L’objectif : une
agglomération et une région en transition. Une conscience
claire : justice et émancipation sociales devront
être au cœur du processus.

Gilles Godinat

Une ville en transition («Transition Town ») est une ville dans
laquelle se déroule une initiative de transition, c’est-à-dire un
processus impliquant la communauté visant à réduire le bilan carbone, à
renforcer la résilience face aux défis de la raréfaction du pétrole et
du dérèglement climatique (www.villesentransitions.net).