Cleveland contre Wall Street : le procès du libéralisme

Cleveland contre Wall Street : le procès du libéralisme



En 2008, la ville de Cleveland,
ravagée par les dégâts de la crise des subprimes,
échoue dans sa tentative d’intenter un procès aux
banques de Wall Street. Une occasion ratée de filmer la
confrontation directe entre le libéralisme et ses
victimes ? Pas pour Jean-Stéphane Bron.

Le réalisateur suisse décide simplement de mettre en
scène le « faux » procès du
véritable crime économique dont ont été
victimes les habitants de Cleveland. L’implication de
travailleurs et de citoyens réellement victimes des banques
garantit au docu-fiction un réalisme prenant.
L’originalité narrative du film résulte de ce choix
audacieux.
    Les interrogatoires rythmés entre avocats et
témoins forment ainsi la grande majorité du film tout en
parvenant sans problème à tenir en haleine le spectateur.
Bron peut de cette manière reconstituer pièce par
pièce l’arnaque des fameux subprimes de manière
hautement pédagogique ; tous les maillons de la
chaîne, du travailleur au trader, passent à la barre des
témoins et donnent une vue d’ensemble à la crise.
Il en ressort évidemment que, derrière l’apparente
complexité des mécanismes financiers et au-delà de
la question de la responsabilité, se tapissent les dogmes
libéraux qui ont mené à l’expulsion de
milliers de foyers et au désastre socioéconomique dont
témoignent les victimes.

L’idéologie libérale face à ses dégâts

Sur cette réalité vient se coller le discours –
d’autant plus terrifiant d’absurdité et
d’inhumanité – des défenseurs de Wall Street,
dont un grand idéologue reaganien qui en appelle à la
Main Invisible pour justifier les expulsions. L’avocat des
banques cherche lui à prouver l’irresponsabilité
des débiteurs, alors que leurs témoignages
démontrent qu’ils ont été prisonniers du
cercle vicieux de la précarité et du consumérisme.

    En confrontant ainsi l’idéologie
libérale à la réalité
socioéconomique que vivent les expulsés, le film prend
tout son intérêt politique, sans même devoir
recourir à un militantisme explicite. Le spectateur, en
même temps que certains participants au procès,
réalise que cette idéologie ne vise au bout du compte
qu’à justifier d’injustifiables
inégalités sociales de la société
capitaliste.

«Mes malheurs ont payé leurs bonus»

Car comme le dit une intervenante, tout cette histoire se résume
à ce qu’au final, les travailleurs et les faibles ont
enrichi, grâce aux subprimes, les capitalistes et les
puissants : « mes malheurs ont payé leurs
bonus ». Un exemple, parmi d’autres au long du film,
de l’expression d’une certaine « conscience de
classe » dans les quartiers populaires américains
et d’une volonté forte de changement et de
résistance. Mais en terminant son film sur une promesse
électorale nontenue de Barack Obama faite à cette
même intervenante, Bron nous rappelle la difficulté, voire
l’impossibilité actuelle à traduire politiquement
cette colère.

    Si le cas de la crise immobilière de
Cleveland illustre la marchandisation du logement, au fond, le
véritable accusé du procès, c’est donc bien
le système capitaliste, et l’idéologie qui le
défend. Les délibérations finales du jury
populaire comportent d’ailleurs quelques accents
révolutionnaires, même si son verdict a de quoi
surprendre. Ce docu-fiction donne donc au grand public de nombreux
éléments de critique du libéralisme et du
capitalisme. En ce sens, le film de Jean-Stéphane Bron
mérite d’être vu par tout un chacun. 7

Ludovic Jaccard