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N° 175 (01/10/2010). A la une: Grèves en Europe: automne chaud?
p. 8
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International
Emeutes de la faim au Mozambique
L’été 2010 a connu des températures record un peu partout – au Japon tout comme en Floride ou à New York. Pendant ce temps, le Pakistan et le Niger ont été inondés et l’est des Etats-Unis essuyait le passage de l’ouragan Earl, tandis que la Russie était en feu.
Aucun de ces événements ne peut de manière isolée être strictement attribué au réchauffement climatique. Mais pour imaginer quelle direction prendra le climat au 21ème siècle, nul besoin de regarder la météo. On peut plutôt observer le nombre de morts dus aux émeutes de la faim au Mozambique pour comprendre ce qui se passe lorsque des phénomènes naturels extrêmes interagissent avec un système économique injuste.
Les causes immédiates des protestations qui ont eu lieu à Maputo, la capitale mozambicaine, ainsi qu’à Chimoio, à quelque 800 km au nord, résident dans la récente augmentation de 30 % du prix du pain, combinée à une forte augmentation de l’eau et de l’énergie. Quand les trois quarts du budget des ménages sont destinés à l’alimentation, il s’agit d’une hausse que seul un petit nombre de Mozambicains peut se permettre. Des raisons plus profondes à ces augmentations de prix peuvent être trouvées un continent plus loin. Les principales zones de production agricole de Russie ont été ravagées par les incendies. S’agissant du troisième exportateur mondial, le prix du blé est monté en flèche sur les marchés internationaux. Ces incendies ont quant à eux trouvé leur origine d’une part dans les mauvaises infrastructures russes de lutte contre les incendies, et d’autre part dans la pire vague de chaleur que le pays a connu au cours du dernier siècle. Par suite, Vladimir Poutine a temporairement interdit les exportations de céréales. Le Mozambique, important plus de 60 % des besoins en blé de la population, se trouve pris en otage par les marchés.
Une répétition de crises…
Cette situation présente un air de déjà vu. En 2008, les prix du pétrole, du blé, du maïs et du riz avaient atteint des sommets sur les marchés. De nombreux pays importateurs de nourriture avaient alors déjà connu des émeutes de la faim… Derrière celles-ci se cachaient des événements naturels tels qu’une sécheresse en Australie, des maladies affectant les récoltes en Asie centrale ou des inondations en Asie du sud-est. Leurs effets furent amplifiés par les contextes socio-économiques et les différentes politiques mises en place par les Etats. Par exemple, les prix exorbitants du pétrole ont impliqué des coûts de transport particulièrement élevés, tandis que le développement des agrocarburants a conduit à dévier la production céréalière des estomacs vers les réservoirs d’essence.Sommes-nous donc de retour à la situation de 2008 ? Le climat est de plus en plus déséquilibré, le prix de la viande atteint des pics, les provisions sont pillées et les gouvernements en appellent au calme. Du point de vue des denrées alimentaires, néanmoins, la situation n’est pas si alarmante qu’il y a deux ans. Le pétrole est relativement bon marché et les réserves de céréales sont bien stockées. Nous sommes en route pour la troisième meilleure récolte de blé de tous les temps, à en croire le Programme alimentaire mondial de l’ONU. Bien que cela soit vrai, il manque un point : pour la plupart des gens qui souffrent de malnutrition, 2008 n’est pas fini. Les évènements de 2007-2008 ont fait basculer plus de 100 millions de personnes dans la faim et la récession globale a contribué à les maintenir dans cette situation. En 2006, il y avait 854 millions de personnes souffrant de malnutrition, contre 1,02 milliard en 2009 – le plus haut niveau atteint depuis que ces tristes records sont documentés. Les femmes au foyer furent les plus touchées par ces pics, aussi bien aux Etats-Unis que dans le reste du monde.
… et de mobilisations
Les émeutes continuent donc. En Inde par exemple, la forte inflation qui a touché les prix des aliments a été suivie par des violentes manifestations fin 2009. Ces hausses de prix étaient, à nouveau, le résultat des importantes moussons de 2009 et la conséquence du désastreux filet de sécurité sociale qui était censé prévenir la faim. Des manifestations ont également eu lieu cette année en Serbie, en Egypte et au Pakistan.Bien que le prix des denrées ait chuté après 2008, le système alimentaire mondial est resté largement identique ces derniers vingt ans. Les spéculateurs continuent à traiter l’alimentation comme une quelconque marchandise, ce que le World Development Movement [ONG britannique pour un développement juste dans le Sud] a plus largement appelé « parier sur la faim sur les marchés financiers ». L’Europe n’a aucun mécanisme pour réguler ce genre de spéculations. L’agriculture dans le Sud est toujours assujettie au modèle du « consensus de Washington », dirigé par les marchés et les gouvernements soutenant le secteur privé.
Où souffle le vent ?
Bien entendu, ni les spéculations sur les céréales, ni la propension des pays à compter sur les marchés internationaux de l’alimentation, ni encore l’utilisation d’agrocarburants ne sont des phénomènes naturels. Il s’agit de décisions politiques, prises par un large éventail de « professionnels du développement » au niveau international. Leurs conséquences se ressentent chaque jour dans les pays du Sud, ce qui nous ramène au Mozambique.Les récentes manifestations ne mettent pas uniquement en cause la hausse du prix du pain, mais du coût de la vie en général. Il s’agit d’un acte plus large de rébellion. Les incendies en Russie et leur impact sur l’exportation de céréales n’ont fait qu’aggraver un contexte politique au sein duquel les citoyens sont toujours plus en colère face à leur gouvernement. Le coordinateur de l’Union nationale des paysans du Mozambique affirme : « Les manifestations vont s’estomper. Mais elles reviendront. C’est cela le cadeau que nous offre le modèle de développement que nous sommes en train de suivre. » Et comme beaucoup de Mozambicains, il ne sait que trop dans quelle direction souffle le vent…
Raj Patel
Cet article est paru pour la première fois en anglais dans « The Observer » du 5 sept. 2010. Traduction, adaptation et intertitres de Giulia Willig.
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