Emeutes de la faim au Mozambique

Emeutes de la faim au Mozambique

L’été 2010 a connu
des températures record un peu partout – au Japon tout
comme en Floride ou à New York. Pendant ce temps, le Pakistan et
le Niger ont été inondés et l’est des
Etats-Unis essuyait le passage de l’ouragan Earl, tandis que la
Russie était en feu.

Aucun de ces événements ne peut de manière
isolée être strictement attribué au
réchauffement climatique. Mais pour imaginer quelle direction
prendra le climat au 21ème siècle, nul besoin de regarder
la météo. On peut plutôt observer le nombre de
morts dus aux émeutes de la faim au Mozambique pour comprendre
ce qui se passe lorsque des phénomènes naturels
extrêmes interagissent avec un système économique
injuste.

    Les causes immédiates des protestations qui
ont eu lieu à Maputo, la capitale mozambicaine, ainsi
qu’à Chimoio, à quelque 800 km au nord,
résident dans la récente augmentation de 30 % du
prix du pain, combinée à une forte augmentation de
l’eau et de l’énergie. Quand les trois quarts du
budget des ménages sont destinés à
l’alimentation, il s’agit d’une hausse que seul un
petit nombre de Mozambicains peut se permettre. Des raisons plus
profondes à ces augmentations de prix peuvent être
trouvées un continent plus loin. Les principales zones de
production agricole de Russie ont été ravagées par
les incendies. S’agissant du troisième exportateur
mondial, le prix du blé est monté en flèche sur
les marchés internationaux. Ces incendies ont quant à eux
trouvé leur origine d’une part dans les mauvaises
infrastructures russes de lutte contre les incendies, et d’autre
part dans la pire vague de chaleur que le pays a connu au cours du
dernier siècle. Par suite, Vladimir Poutine a temporairement
interdit les exportations de céréales. Le Mozambique,
important plus de 60 % des besoins en blé de la
population, se trouve pris en otage par les marchés.

Une répétition de crises…

Cette situation présente un air de déjà vu. En
2008, les prix du pétrole, du blé, du maïs et du riz
avaient atteint des sommets sur les marchés. De nombreux pays
importateurs de nourriture avaient alors déjà connu des
émeutes de la faim… Derrière celles-ci se
cachaient des événements naturels tels qu’une
sécheresse en Australie, des maladies affectant les
récoltes en Asie centrale ou des inondations en Asie du sud-est.
Leurs effets furent amplifiés par les contextes
socio-économiques et les différentes politiques mises en
place par les Etats. Par exemple, les prix exorbitants du
pétrole ont impliqué des coûts de transport
particulièrement élevés, tandis que le
développement des agrocarburants a conduit à
dévier la production céréalière des
estomacs vers les réservoirs d’essence.

    Sommes-nous donc de retour à la situation de
2008 ? Le climat est de plus en plus
déséquilibré, le prix de la viande atteint des
pics, les provisions sont pillées et les gouvernements en
appellent au calme. Du point de vue des denrées alimentaires,
néanmoins, la situation n’est pas si alarmante qu’il
y a deux ans. Le pétrole est relativement bon marché et
les réserves de céréales sont bien
stockées. Nous sommes en route pour la troisième
meilleure récolte de blé de tous les temps, à en
croire le Programme alimentaire mondial de l’ONU. Bien que cela
soit vrai, il manque un point : pour la plupart des gens qui
souffrent de malnutrition, 2008 n’est pas fini. Les
évènements de 2007-2008 ont fait basculer plus de 100
millions de personnes dans la faim et la récession globale a
contribué à les maintenir dans cette situation. En 2006,
il y avait 854 millions de personnes souffrant de malnutrition, contre
1,02 milliard en 2009 – le plus haut niveau atteint depuis que
ces tristes records sont documentés. Les femmes au foyer furent
les plus touchées par ces pics, aussi bien aux Etats-Unis que
dans le reste du monde.

… et de mobilisations

Les émeutes continuent donc. En Inde par exemple, la forte
inflation qui a touché les prix des aliments a été
suivie par des violentes manifestations fin 2009. Ces hausses de prix
étaient, à nouveau, le résultat des importantes
moussons de 2009 et la conséquence du désastreux filet de
sécurité sociale qui était censé
prévenir la faim. Des manifestations ont également eu
lieu cette année en Serbie, en Egypte et au Pakistan.

    Bien que le prix des denrées ait chuté
après 2008, le système alimentaire mondial est
resté largement identique ces derniers vingt ans. Les
spéculateurs continuent à traiter l’alimentation
comme une quelconque marchandise, ce que le World Development Movement
[ONG britannique pour un développement juste dans le Sud] a plus
largement appelé « parier sur la faim sur les
marchés financiers ». L’Europe n’a
aucun mécanisme pour réguler ce genre de
spéculations. L’agriculture dans le Sud est toujours
assujettie au modèle du « consensus de
Washington », dirigé par les marchés et les
gouvernements soutenant le secteur privé.

Où souffle le vent ?

Bien entendu, ni les spéculations sur les
céréales, ni la propension des pays à compter sur
les marchés internationaux de l’alimentation, ni encore
l’utilisation d’agrocarburants ne sont des
phénomènes naturels. Il s’agit de décisions
politiques, prises par un large éventail de
« professionnels du développement » au
niveau international. Leurs conséquences se ressentent chaque
jour dans les pays du Sud, ce qui nous ramène au Mozambique.

    Les récentes manifestations ne mettent pas
uniquement en cause la hausse du prix du pain, mais du coût de la
vie en général. Il s’agit d’un acte plus
large de rébellion. Les incendies en Russie et leur impact sur
l’exportation de céréales n’ont fait
qu’aggraver un contexte politique au sein duquel les citoyens
sont toujours plus en colère face à leur gouvernement. Le
coordinateur de l’Union nationale des paysans du Mozambique
affirme : « Les manifestations vont
s’estomper. Mais elles reviendront. C’est cela le cadeau
que nous offre le modèle de développement que nous sommes
en train de suivre. » Et comme beaucoup de Mozambicains,
il ne sait que trop dans quelle direction souffle le vent… 

Raj Patel

Cet article est paru pour la première fois en
anglais dans « The Observer » du 5 sept.
2010. Traduction, adaptation et intertitres de Giulia Willig.