Réduction du temps de travail: inégalité entre femmes et hommes

Réduction du temps de travail

Inégalité entre femmes et hommes

Depuis les années 1970, de nombreuses féministes réclament la diminution du temps de travail pour parvenir à un partage plus équitable du travail domestique et rémunéré entre les sexes, sans pour autant en faire l´articulation centrale de leur discours. L´emploi féminin ne doit dépendre ni de la conjoncture économique ni être subordonné aux activités domestiques.



Aujourd´hui, en Suisse, les femmes passent en moyenne deux fois plus de temps que les hommes à des tâches familiales et ménagères1. Cette inégale division du travail domestique n´est pas sans conséquences sur leur situation professionnelle et leur rapport au temps. Près de 54% des femmes actives travaillent à temps partiel contre moins d´un homme actif sur dix. Et plus de 80% des postes à temps partiel sont occupés par des femmes. On le sait, l´emploi à temps partiel peut être synonyme de conditions d´emploi précaires, d´une couverture sociale insuffisante (LPP), d´obstacle à la formation continue et à la promotion professionnelle. Une véritable réduction du temps de travail permettrait de lutter contre le développement du travail à temps partiel et le cortège d´inégalités et de discriminations qui l´accompagnent. La diminution du temps de travail favoriserait une meilleure répartition du travail domestique, non seulement entre femmes et hommes, mais aussi entre femmes d´origine sociale différente. Pensons à la multiplication des employées de maison au service des couples bi-actifs qui exercent des métiers qualifiés et/ou une fonction dirigeante. Le débat est donc nécessaire et urgent.

Durée et rythme du travail


Mais les discours neutres sur les bienfaits du partage du travail et le temps libre comme ceux que tiennent les partisan-e-s de cette initiative laissent toutefois dans l´ombre la question des logiques sociales et des formes de partage au sein des couples, ainsi que celle des rapports de force entre (représentant-e-s des) salarié-e-s et patrons. Dans le texte de l´initiative, tout se passe comme s´il était simple d´échanger durée et rythmes de travail, tout se passe comme si la réduction de la durée du travail compensait les contraintes de la modulation des horaires. En outre, l´idéologie du temps libre qui nourrit implicitement le débat sur la réduction du temps de travail s´appuie sur une conception du temps qui nie l´hétérogénéité des populations, qui passe sous silence les rapports sociaux de sexe, de nationalité et d´âge, ainsi que l´importance sociale et personnelle des rythmes biographiques. D´une manière générale, le discours sur le partage du travail fait l´impasse sur la division du travail entre femmes et hommes. On le sait, l´usage du temps diffère sensiblement selon le sexe. Pour de nombreuses femmes, temps de travail professionnel et temps de travail domestique se co-déterminent dans l´organisation concrète des journées. Compte tenu du nombre insuffisant de crèches et de garderies et des charges familiales qui pèsent sur elles, nombre de femmes actives, mères de famille, diminuent le temps de travail ou se retirent du marché du travail salarié au moment de la naissance des enfants. La grande majorité des hommes travaillent à plein temps, et la paternité n´as pas d´impact sur leur participation au marché du travail. En 2000, 4 femmes actives sur 5 qui ont des enfants de moins de 15 ans travaillent essentiellement à temps partiel; 13% des femmes sont définies comme «femmes au foyer», les hommes ne sont que 0,2% à être dans ce cas.

«L´annualisation est une tendance forte dans la mise en
œuvre de la Loi Aubry. Dans le textile, l´habillement et la vente
par correspondance, elle se traduit d´abord par une répartition
très différente des temps de travail selon les périodes de
l´année; les femmes ont été contraintes d´adapter les solutions
en matière de transport et de garde des enfants en fonction
des temporalités de l´entreprise, et non des aspirations
personnelles. En ce sens, on peut bien parler de perte de maîtrise
de temps. Dans la grande distribution, la modulation
renforce dans certains cas, l´irrégularité des horaires de travail;
la gestion des temps s´appuie sur l´appel à un «volontariat
obligé» reposant sur la disponibilité quasi-permanente
des salariés et sur l´individualisation des horaires de travail,
sans possibilité de maîtrise du temps.»2

Division sexuelle du temps libéré


Faute d´expériences de réduction du temps de travail en Suisse, il n´est pas possible d´évaluer les conséquences de cette mesure sur la maîtrise des temps chez les femmes salariées, mais on peut se poser la question des difficultés d´articulation de la vie professionnelle et de la vie familiale que pourraient entraîner l´allongement de certaines semaines ou journées de travail, la répartition des horaires sur des plages étendues dans la journée ou dans la semaine (fins de journées plus tardives, travail du samedi ou dimanche…) et leur imprévisibilité. Compte tenu de leur concentration dans certains secteurs d´activité (vente, nettoyage, hôtellerie, social, etc.) et dans des emplois peu ou pas qualifiés, les femmes apparaissent plus exposées que les hommes aux fortes modulations d´horaires. En outre, compte tenu de la division sexuelle du travail domestique, les adaptations d´horaires de travail rémunéré peuvent avoir des conséquences plus lourdes pour elles.



Aussi longtemps que l´éducation des enfants et le ménage sont considérés comme une «affaire de femmes», aussi longtemps que celles-ci sont considérées avant tout comme des mères, des ménagères, des épouses (ou compagnes) ou des objets sexuels, on est en droit de penser que la réduction du temps de travail ne favorisera pas un meilleur partage du travail entre les sexes. La réduction du temps de travail peut prendre des modalités très différentes selon qu´il s´agit d´un homme ou d´une femme, d´une mère de famille ou d´une femme sans enfant, d´une personne qualifiée ou non qualifiée, d´un secteur d´activité féminisé ou non, selon le rapport de force entre syndicat et direction est fort ou faible.



Selon des recherches sur la réduction du temps de travail menées en France et en Suède, cette mesure semble avoir un impact très limité sur la division sexuelle du travail. De manière générale, le temps libéré semble renforcer les modèles sexués d´utilisation du temps. Chez les femmes, le temps libre est en effet consacré aux activités domestiques et familiales, alors qu´il permet à certains hommes de renforcer leur participation à des activités sportives ou sociales initiées antérieurement. Chez les couples ayant des jeunes enfants, on observe cependant l´apparition de pratiques plus égalitaires.



Magdalena ROSENDE

  1. «Du travail mais pas de salaire», OFS, Neuchâtel, 1999.
  2. Nicole Gadrey, Travail et genre. Approches croisées. Paris, l´Harmattan, pp. 214-215.