Cuba : homophobie officielle du passé: autocritique et rectification

Cuba : homophobie officielle du passé: autocritique et rectification



Le 31 août 2010, dans un
entretien avec le quotidien mexicain «La Jornada», Fidel
Castro regrettait la persécution contre les homosexuels à
Cuba durant les décennies écoulées…

Le lendemain, à Neuchâtel, sa nièce, Mariela Castro
Espin – directrice du Centre national d’éducation
sexuelle (CENESEX), Cuba – expliquait à un public attentif
les activités de son centre pour modifier l’état
d’esprit et la législation cubaines sur les LGBT.

    Certes, Cuba revient de loin… En 1965, le
« beatnik » Allen Ginsberg avait
été expulsé de l’île pour sa critique
explicite de l’homophobie officielle. Après le
congrès culturel de La Havane (janvier 1968), Daniel
Guérin écrivait : « Un autre aspect, assez
étonnant, de la révolution cubaine, est son puritanisme.
[…] L’homosexualité est  bannie ou
persécutée de la façon la plus
révoltante.» (Pour un marxisme libertaire, Paris, R.
Laffont, 1969, pp. 227-228). A l’époque, les
homosexuels étaient incorporés dans des bataillons
disciplinaires, les UMAP, avec d’autres personnes
considérées comme « éléments
socialement douteux » – tels les séminaristes
catholiques (l’un d’entre eux, Jaime Ortega, est
aujourd’hui archevêque de La Havane…).

    Nous publions ci-dessous des extraits de
l’entretien de Fidel avec La Jornada, lequel fait
également le point sur la situation actuelle des LGBT à
Cuba.


H-P. Renk

Fidel Castro : « Je suis responsable de la persécution des homosexuels à Cuba »
    Même si rien ne dénote un quelconque
malaise, je crois que Fidel ne va pas aimer ce que je vais lui
dire : « Commandant,
tout l’enchantement de la révolution cubaine, la
reconnaissance et la solidarité d’une bonne partie des
intellectuels du monde, les grands succès du peuple contre le
blocus, tout cela s’est évaporé à cause de
la persécution contre les homosexuels à Cuba
 ».

    Fidel n’élude pas le thème, il
ne nie pas, ni rejette cette affirmation. Il demande seulement un peu
de temps pour rappeler comment et quand se produisit ce
préjudice dans les rangs de la révolution. Il y a 50 ans,
par homophobie, on a marginalisé les homosexuels à Cuba
et beaucoup d’entre eux furent envoyés dans des camps de
travail militaires-agricoles, comme
« contre-révolutionnaires ».

    « Oui, ce furent des moments de grande injustice », déclare Fidel. « Peu
importe qui les a commis. Mais c’est nous qui l’avons fait.
Je tente de définir ma responsabilité dans tout cela,
parce qu’après tout personnellement je n’ai pas ce
type de préjugés
 ».

    On sait que parmi ses meilleurs et plus anciens
amis, il y a des homosexuels. Mais alors, comment se forma cette haine
à la « différence » ?

Fidel pense que tout cela s’est produit comme une réaction
spontanée dans les rangs révolutionnaires, laquelle
venait des traditions. Dans l’ancien Cuba, on ne discriminait pas
seulement les Noirs, mais aussi les femmes et, ensuite, les
homosexuels…

    « Oui.
Mais pas dans le Cuba de la ‹ nouvelle
morale ›, dont les révolutionnaires d’ici et
d’ailleurs étaient si orgueilleux. Qui fut donc le
responsable, direct ou indirect, de n’avoir pas
arrêté ce qui se passait dans la société
cubaine ? Le Parti ? Parce que les statuts du Parti
communiste de Cuba ne prohibent pas explicitement la discrimination en
matière d’orientation sexuelle
 ».
    « Non, dit Fidel. Si
quelqu’un est responsable, c’est moi… Il est certain
qu’à ce moment je ne pouvais m’occuper de cette
question. J’étais impliqué principalement dans la
crise d’octobre [1962], la guerre, les questions
politiques…
»
    « Mais
c’est devenu un problème politique sérieux et
grave. […] Après tout cela, la défense de la
révolution à l’extérieur est devenue plus
difficile. Son image s’est détériorée pour
toujours dans certains secteurs, surtout en Europe
 ».

    Aujourd’hui, la situation a
changé : dans de nombreuses villes de Cuba, a
été célébrée récemment la 3e
journée cubaine à l’occasion du Jour mondial contre
l’homophobie, avec la consigne :
« L’homosexualité n’est pas un danger,
l’homophobie oui ». Gerardo Arreola (correspondant
de La Jornada à Cuba) relate le débat et la lutte en
cours dans l’île pour faire respecter les droits des
minorités sexuelles. Mariela Castro, sociologue
âgée de 47 ans – et fille du président cubain
Raúl Castro, dirige le Centre national d’éducation
sexuelle (CENESEX), une institution qui a amélioré
l’image de Cuba après la marginalisation des
années 60.

    « Nous
sommes ici, les Cubaines et les Cubains, pour continuer à lutter
pour l’intégration, pour mener la lutte de toutes et de
tous, pour le bien de toutes et de tous 
», a
déclaré Mariela Castro lors de l’inauguration de
cette journée, où elle était entourée de
transsexuels brandissant le drapeau cubain et le drapeau multicolore du
mouvement gay.

    Aujourd’hui à Cuba, les efforts en
faveur des homosexuels incluent le changement d’identité
des transsexuels ou les unions civiles entre personnes de même
sexe. Depuis les années 1990, l’homosexualité est
dépénalisée, même s’il existe toujours
des cas de harcèlement policier. Depuis 2008, les
opérations de changement de sexe sont gratuites.

Propos recueillis par Carmen Lira Saade. Paru dans « La Jornada » du 31.8.2010. Notre traduction