Nigeria

La marée noire à flots continus

La marée noire dans le golfe du Mexique a braqué les projecteurs sur BP, devenue la cible de la campagne de dénonciation des communicants écologistes de Greenpeace. Au risque d’oublier les autres multinationales de la branche, ravies de pouvoir montrer du doigt le seul mouton noir du secteur. Pourtant, du Nigeria à l’Alaska, celles-ci ne font pas mieux.

Delta du Niger détruit par les fuites de pétrole de Shell
En 2008, deux déversement de pétrole de Shell oil ont complètement détruit la communauté de pêcheurs de Bodo.

40% du pétrole brut importé aux Etats-Unis proviennent du delta du Niger et de ses champs pétrolifères, face auxquels on trouve les puits de gaz naturel en pleine mer. Depuis les années 60, le pétrole aurait rapporté près de 600 milliards de dollars d’après certaines estimations. Pourtant le pays est l’un des plus pauvres et des plus corrompus d’Afrique.

Pour le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la région souffre «de la négligence administrative, d’infrastructures et de services sociaux en train de s’effondrer, d’un fort taux de chômage, de la misère sociale, d’une pauvreté abjecte, d’une crasse repoussante et d’un conflit endémique». (Rapport de 2006, cité par Amnesty International dans sa brochure Pétrole, pollution et pauvreté dans le delta du Niger.)

En 2006 encore, trois organisations indépendantes, le WWF du Royaume-Uni, l’Union internationale pour la conservation de la nature et la Nigerian Conservation Foundation estimaient que durant le demi-siècle écoulé, 1,5 million de tonnes de brut – soit l’équivalent de cinquante fois la catastrophe de l’Exxon-Valdez s’était écoulé dans le delta. Et le rapport du PNUD désignait clairement le principal coupable: «Les compagnies pétrolières, Shell Petroleum en particulier, opèrent depuis plus de trente ans sans véritables contrôle ni réglementation régissant leurs activités dans le domaine de l’environnement».

L’entreprise anglo-néerlandaise n’est pas la seule à opérer dans la région: Chevron, Exxon, Mobil, Total et Agip sont aussi actives. Mais la présence de Shell est la plus imposante, avec près de 31000 kilomètres carrés réservés à ses activités.

Mis à part l’invraisemblable quantité de pétrole déversée dans le delta, ses eaux, ses mangroves et ses terres, rien ne semble avoir été réglé dans le pays depuis la guerre du Biafra (1966-1967) où l’affrontement de puissants intérêts pétroliers avait servi de toile de fond à une guerre civile meurtrière (entre un et deux millions de victimes).

Ce qui explique l’étonnement des militants écologistes nigérians devant l’action de Barak Obama face à la marée noire du golfe du Mexique. Ainsi, dans le Guardian du 3 juin, l’écrivain Ben Ikari explique: «Si la même mésaventure était survenue au Nigéria, ni le gouvernement ni l’entreprise ne s’en seraient beaucoup préoccupés. Cela se passe en permanence dans le delta! Les compagnies pétrolières n’en tiennent absolument pas compte, généralement. Les politiques s’en moquent et la population doit vivre au quotidien avec la pollution. La situation est pire qu’il y a trente ans.»

Et le représentant de l’organisation écologique des «Amis de la Terre» ajoute: «Nous voyons avec quelle énergie on tente de combattre la marée noire aux Etats-Unis. Mais au Nigéria, les compagnies pétrolières éludent le problème et détruisent les moyens de subsistance des gens et l’environnement. La marée noire du golfe du Mexique est comme une métaphore pour ce qui se passe chaque jour dans les champs pétrolifères du Nigeria et ailleurs en Afrique. Voilà cinquante ans que ça dure!»

Daniel Süri

Quelques agissements d’autres multinationales

Chevron (USA)

  • Mise en accusation par les populations locales, les militant·e·s des droits humains et écologistes pour la nocivité sociale et environnementale de ses activités économiques en Angola, Australie, Equateur, Birmanie, au Kazakhstan et au Nigeria.
  • Pollution majeure de l’Amazonie équatorienne par l’entreprise Texaco, rachetée par Chevron. A la suite de cette pollution, deux tribus nomades ont été décimées par la faim et la maladie.
  • Des projets de coentreprise (joint venture), comme celui du champ gazier Browse Basin en Australie, sont potentiellement destructeurs pour les espèces en voie de disparition et les coraux.
  • Investit dans l’extraction du pétrole des sables bitumeux. C’est le pétrole le plus «sale», qui entraîne cinq fois plus d’émission de CO2 que le pétrole «normal».

Total (France)

  • Naufrage du pétrolier «Erika» en 1999 devant les côtes bretonnes. La marée noire de 20’000 tonnes qu’il produit souille 400 km de côtes, provoquant la mort de dizaines de milliers d’oiseaux et d’animaux marins.
  • Extraction du pétrole dans les sables bitumeux canadiens ayant pour effet la pollution du réseau hydraulique régional, la destruction de vastes forêts, la surexploitation du milieu et l’émission massive de CO2.

Exxon Mobil (USA)

  • Responsable de la marée noire due au naufrage de l’«Exxon Valdez» en 1989 en Alaska, devenue le symbole de la catastrophe écologique majeure.
  • Condamnée à 150 millions de dollars d’amende lors de pollution de la nappe phréatique de Jacksonville au USA en 2006.
  • En 2010, la collision de deux supertankers entraîne la fuite de 1,7 million de litres de pétrole dans la Sabine River à Port Arthur, près du golfe du Mexique.

BP et la santé au travail

L’explosion de la plateforme pétrolière de BP a entraîné sur le champ la mort de 11 travailleurs. On en a peu parlé. On n’a pas parlé beaucoup non plus des 186 accidents et 80 maladies professionnelles que les six premières semaines d’opérations ont causés. La majorité de ces cas concernent des travailleurs précaires engagés par des entreprises sous-traitantes, dont la formation a été négligée, selon le responsable de l’Agence fédérale pour la santé et la sécurité au travail, qui dénonce «l’incapacité systémique de BP d’assurer la santé et la sécurité de ceux qui affrontent le désastre».

Une incapacité (ou une rapacité?) que l’on retrouve en matière de sécurité en général, puisque l’entreprise avait refusé d’équiper sa plateforme pétrolière d’un dispositif de mise à l’arrêt à distance, jugeant que la probabilité d’un accident était trop faible et l’investissement trop onéreux.