Recherche femmes blanches, hétéros et sexy : le monde étrange du don d’ovule

Recherche femmes blanches, hétéros et sexy : le monde étrange du don d’ovule

Nous publions ici des extraits
d’un témoignage de Rachel Rabbit White –
employée d’une agence de don d’ovules aux Etats-Unis
– paru pour la première fois en anglais sur le site
alternet.org.

Durant mon travail dans cette agence, j’ai souvent
été amenée à refuser des femmes parce
qu’elles ne correspondaient pas aux critères fixés
par la majorité des parents. La plupart des donneuses
d’ovules, attirées par les 7 000 dollars de
rémunération, sont des filles noires, d’une
vingtaine d’années, d’une éducation
limitée et vivant avec un revenu modeste. Le nombre de
candidates a d’ailleurs doublé depuis le début de
la crise économique. Lorsqu’elles appellent
l’agence, je leur pose les questions rituelles :
« quel âge avez-vous ? Quelle couleur de
peau, quel poids, quelle taille ? Quel niveau
d’éducation ? Avez-vous déjà souffert
de dépression ou d’anxiétés ? De
troubles alimentaires ? Gardez-vous des relations avec vos deux
parents ? »

    Le 80 % des filles au moins ne passent pas ce
premier tour des sélections. C’est que les futurs parents
veulent acheter des gènes, et ils les veulent blancs,
correspondant au pedigree des stars d’Hollywood et des
diplômés des grandes universités. Une
opération de remodelage des sourcils est d’ailleurs un
vrai atout pour une donneuse ! Être lesbienne est en
revanche un critère rédhibitoire ; la bisexualité
peut être à la limite admise, mais il y a alors de forts
risques pour que les femmes ne passent pas les tests psychologiques.

    Pour les parents, le prix de 20 000 dollars –
qui n’inclut ni les honoraires de la clinique, ni la garantie de
réussite pour l’implantation – ne semble pas être
dissuasif : en 1992, il y avait 1 800 donations aux Etats-Unis,
15 200 en 2004 (en fait, ce chiffre inclut aussi les donations
pour la recherche sur les cellules souches).

    Selon la Société américaine
pour la médecine reproductive, 49 % des parents en
quête d’ovules étaient blancs, dont 33 % qui
ne voulaient pas que leur futur enfant ait une autre couleur de
peau - contre 6 % d’Asiatiques, 4 %
de Noirs et 4 % d’Hispaniques. La majorité des
parents ont entre 35 et 45 ans. La plupart sont issus des classes
moyennes ou supérieures. Ces dernières années, des
centaines de blogs ont fleuri sur internet, rédigés par
ces mères à la recherche d’un ovule, ce qui traduit
peut-être les difficultés sociales de
l’infertilité.

    Lorsqu’une femme donneuse est acceptée
par l’agence, je lui fais le topo habituel : « vous
serez ajoutée à la base de données et quand des
parents vous auront choisie, nous vous appellerons. Vous aurez alors
une série de rendez-vous médicaux matinaux, on vous fera
une injection d’hormones dont les effets sont à peu
près similaires aux syndromes prémenstruels. Puis, au
bout d’un mois, on prendra l’ovule par extraction vaginale
et vous resterez un jour au repos complet. » Ce que mon
explication ne précise pas, c’est que le processus
implique des risques pour la santé, qui peuvent être
sérieux. Le médicament injecté pousse
l’ovaire à secréter plusieurs ovules
simultanément, plutôt qu’un seul par mois comme
c’est le cas normalement. Pas mal de donneuses éprouvent
alors les symptômes de la ménopause, telles que des
bouffées de chaleur. Cette ovulation stimulée
accroît aussi les risques de grossesse.

    Le Syndrome d’hyperstimulation ovarienne est
une complication rare, mais très sérieuse. Trente ovules
ou plus se développent en même temps et un liquide coule
dans l’abdomen et la poitrine. Cela peut entrainer une
insuffisance rénale aiguë, une coagulation du sang, ce qui
peut entraîner la mort de la donneuse.

    Certains soulignent d’autre part qu’on
ne sait pas ce que provoque une telle injection sur le long terme. Il
n’y a pas de suivi ultérieur des donneuses par les
agences. Le don d’ovule n’est pas limité à un
par femme : elle peut en donner jusqu’à six. Et si elle
est reconnue comme une « bonne » donneuse,
c’est-à-dire dont les ovules provoquent fréquemment
des grossesses, elle peut négocier son ovule à la hausse.

    Un jour, une femme en colère a
téléphoné à l’agence et m’a
dit : « Comment pouvez-vous faire ça ? Il y
a tellement d’enfants qui attendent une adoption ! »
J’ai essayé de la calmer, en ne lui disant pas bien
sûr que souvent, une adoption est même moins chère
qu’un don d’ovule. […].

 Aux Etats-Unis en 2006, 127 000 enfants attendaient
d’être adoptés. Parmi eux, 70 %
étaient dans un orphelinat depuis plus de deux ans, et
25 % depuis plus de cinq.

    Durant ma pause déjeuner, je me promenais
souvent dans le parc du quartier très huppé où
était située l’agence. De jolies mères aux
foyers y sortaient leurs enfants, dans des costumes ravissants, comme
à la parade. Elles restaient en fait suspendues au
téléphone, assez indifférentes à leurs
petits, même quand ils avaient besoin de quelque chose. A
l’agence, les parents doivent passer un test psychologique pour
vérifier qu’ils ne sont pas, selon les définitions
juridiques, fous. Mais en réalité, certains parmi ceux
qui passaient ces tests haut la main étaient pourtant bel et
bien fous. Certaines femmes nous appelaient dix fois par jour.
Déjà sur les nerfs, quand les choses n’allaient pas
comme elles voulaient, elles nous hurlaient dessus, folles de
colère. De futurs papas nous injuriaient et nous
menaçaient, tandis que leurs compagnes fondaient en larmes.

    Si je devais donner mes ovules, je ne pourrais pas
choisir les parents que je voudrais aider à avoir un enfant.
Vous ne savez rien de ceux qui vous ont choisie comme donneuse.
J’ai sans doute aidé des gens qui voulaient un enfant, qui
avaient l’argent pour cela, mais étaient-ils prêts
d’un point de vue psychologique, avaient-ils l’empathie
nécessaire ?

Rachel Rabbit White