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N° 172 (19/08/2010). A la une: ISS aviation: une grève courageuse
p. 6
Lien direct: https://www.solidarites.ch/journal/d/article/4404
International
Dissidents et politique à Cuba
Suite à la libération de 52 dissidents par les autorités cubaines (juillet 2010), nous publions un texte de Rafael Hernández (directeur de la revue « Temas ») analysant la nature de cette dissidence, du moins son secteur le plus médiatisé. Nous reviendrons ultérieurement sur d’autres aspects de la situation politique à Cuba (H.-P. Renk).Les groupes de dissidents cubains ne sont pas fondamentalement différents des exilés. Les grandes organisations anticastristes de Miami ou du New-Jersey ne soutiennent plus les attentats ni la lutte armée. Dissidents et exilés divergent sur certains points (par exemple, le soutien au blocus) mais ils partagent des objectifs communs (remplacer le système par un modèle capitaliste), une idéologie commune (anticastrisme et antisocialisme) et des amis communs (les Etats-Unis, les gouvernements et partis anticommunistes d’Europe et d’ailleurs).
La nature politique de ces dissidents ne peut se résumer à l’étiquette « mercenaires », car ils ont probablement de véritables croyances idéologiques, même lorsqu’ils reçoivent de l’argent du gouvernement des Etats-Unis. Sous le nom collectif de « Convergencia Democratica », un large éventail d’intérêts, de personnalités et de tendances s’est rassemblé ; mais leur tendance politique générale se situe au centre-droite.
A l’inverse des organisations anticommunistes des années 60, qui avaient une base sociale et politique et une cohérence idéologique, les dissidents ne sont pas enracinés dans la société civile. Ils n’ont pas d’influence dans les organisations religieuses ou dans les classes populaires, comme en Pologne ; ils n’ont pas d’intellectuels prestigieux comme en Tchécoslovaquie ; ils n’ont pas un passé de lutte contre des régimes odieux et corrompus, comme en Roumanie. […]
Pourquoi les dissidents n’ont-ils pas plus d’influence ?
Premièrement, la majorité de leurs critiques envers le système cubain font l’objet de débats parmi les Cubain·e·s, socialistes ou pas. Suggérer que les dissidents seraient des voix solitaires héroïques qui osent dénoncer les erreurs et formuler des revendications auprès du gouvernement montre toute l’étendue de l’ignorance sur Cuba. Aujourd’hui, la dissidence se manifeste au sein même (et aussi à l’extérieur) des institutions, des mouvements intellectuels, des différents moyens de communication, des organisations sociales, religieuses et culturelles et même au sein des organisations politiques.Ensuite, les propositions des dissidents ne constituent pas un programme économique et politique cohérent, mais un catalogue de vagues slogans politiques (« réconciliation nationale », « renforcement de la société civile », « pluralisme ») accompagnés des clichés habituels sur le libéralisme économique que l’Amérique latine a bien connu ces vingt dernières années.
Enfin, il est très difficile pour les Cubain·e·s, simples sympathisants de Fidel et Raul Castro ou socialistes, d’accepter des groupes soutenus par les Etats-Unis, les partis européens et les forces exilées les plus puissantes dont la réputation dans le domaine de la liberté et de la démocratie laisse à désirer.
Relations de Cuba avec les USA et l’Europe
[…] Les dissidents sont revenus en première page avec la mort d’Orlando Zapata [en prison le 23 février dernier, à l’issue d’une grève de la faim de 85 jours, ndlr.] mais surtout, ils l’ont fait à un moment particulier pour l’île. Malgré les faibles progrès accomplis, le dialogue entre Washington et la Havane avait avancé en un an plus qu’il ne l’avait jamais fait au cours des dix dernières années : les conversations sur les accords migratoires et le service de courrier ont été renouées ; des groupes de travail semi-officiels explorent les possibilités de collaborer dans la lutte contre la drogue ; sans lever les restrictions imposées par Bush en 2005, les Etats-Unis ont recommencé à accorder des visas aux universitaires et artistes ; au Congrès US, on assiste à des initiatives pour lever l’interdiction faite aux citoyens étasuniens de voyager sur l’île. […]Le Parlement européen a exigé aussi « la libération immédiate et sans conditions des prisonniers politiques et prisonniers de conscience. » Quelle est la cohérence dans cette position ?
Prisonniers de conscience ?
D’abord, la poignée de prisonniers politiques parmi les dissidents n’ont pas été emprisonnés pour des raisons de « conscience » ou pour avoir « critiqué le gouvernement » mais pour avoir activement combattu le système en alliance avec les Etats-Unis, les exilés et les vieilles forces anticommunistes européennes. Ils n’ont pas d’armes mais ils ont beaucoup de ressources mises à leur disposition par des Etats et des organisations : des connexions internationales, des fonds versés par des institutions, des moyens de communication, dans la perspective de mener une guerre par d’autres moyens.[…] Aux côtés d’une démocratie rénovée et d’un secteur privé, le socialisme cubain du futur pourra-t-il s’accommoder d’une opposition loyale ? Cette question n’est pas l’affaire des membres du Congrès US ou des parlementaires européens, mais celle des Cubain-es qui vivent sur cette île.
Rafael Hernández
Source : www.legrandsoir.info/Dissidents-et-Politique-a-Cuba-Temas-la-Havane.html
A LIRE AUSSI SUR CUBA
• Yannick Bovy & Eric Toussaint (Dir.), « Le pas suspendu de la
Révolution : approche critique
de la réalité cubaine », Cuesmes, Ed. du Cerisier, 2001
• Manuel Vázquez Montalbán, « Et Dieu est entré dans
La Havane », Paris, Ed. du Seuil, 2001
• « Inprecor », 500 (déc. 2004), 509 (sept. 2005), 523/524(janv. 2007), 545/546 (jan-fév 2009) : http://orta.dynalias.org/inprecor
• Temas: http://www.temas.cult.cu
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