Dissidents et politique à Cuba
Dissidents et politique à Cuba
Suite à la libération de
52 dissidents par les autorités cubaines (juillet 2010), nous
publions un texte de Rafael Hernández (directeur de la revue
« Temas ») analysant la nature de cette
dissidence, du moins son secteur le plus médiatisé. Nous
reviendrons ultérieurement sur dautres aspects de la
situation politique à Cuba (H.-P. Renk).
Les groupes de dissidents cubains ne sont pas fondamentalement
différents des exilés. Les grandes organisations
anticastristes de Miami ou du New-Jersey ne soutiennent plus les
attentats ni la lutte armée. Dissidents et exilés
divergent sur certains points (par exemple, le soutien au blocus) mais
ils partagent des objectifs communs (remplacer le système par un
modèle capitaliste), une idéologie commune (anticastrisme
et antisocialisme) et des amis communs (les Etats-Unis, les
gouvernements et partis anticommunistes dEurope et
dailleurs).
La nature politique de ces dissidents ne peut se
résumer à létiquette
« mercenaires », car ils ont probablement de
véritables croyances idéologiques, même
lorsquils reçoivent de largent du gouvernement des
Etats-Unis. Sous le nom collectif de « Convergencia
Democratica », un large éventail
dintérêts, de personnalités et de tendances
sest rassemblé ; mais leur tendance politique
générale se situe au centre-droite.
A linverse des organisations anticommunistes
des années 60, qui avaient une base sociale et politique et une
cohérence idéologique, les dissidents ne sont pas
enracinés dans la société civile. Ils nont
pas dinfluence dans les organisations religieuses ou dans les
classes populaires, comme en Pologne ; ils nont pas
dintellectuels prestigieux comme en Tchécoslovaquie ; ils
nont pas un passé de lutte contre des régimes
odieux et corrompus, comme en Roumanie. [
]
Pourquoi les dissidents nont-ils pas plus dinfluence ?
Premièrement, la majorité de leurs critiques envers le
système cubain font lobjet de débats parmi les
Cubain·e·s, socialistes ou pas. Suggérer que les
dissidents seraient des voix solitaires héroïques qui osent
dénoncer les erreurs et formuler des revendications
auprès du gouvernement montre toute létendue de
lignorance sur Cuba. Aujourdhui, la dissidence se
manifeste au sein même (et aussi à
lextérieur) des institutions, des mouvements
intellectuels, des différents moyens de communication, des
organisations sociales, religieuses et culturelles et même au
sein des organisations politiques.
Ensuite, les propositions des dissidents ne
constituent pas un programme économique et politique
cohérent, mais un catalogue de vagues slogans politiques
(« réconciliation nationale »,
« renforcement de la société
civile », « pluralisme »)
accompagnés des clichés habituels sur le
libéralisme économique que lAmérique latine
a bien connu ces vingt dernières années.
Enfin, il est très difficile pour les
Cubain·e·s, simples sympathisants de Fidel et Raul Castro
ou socialistes, daccepter des groupes soutenus par les
Etats-Unis, les partis européens et les forces exilées
les plus puissantes dont la réputation dans le domaine de la
liberté et de la démocratie laisse à
désirer.
Relations de Cuba avec les USA et lEurope
[
] Les dissidents sont revenus en première page avec la
mort dOrlando Zapata [en prison le 23 février
dernier, à lissue dune grève de la faim de
85 jours, ndlr.] mais surtout, ils lont fait à un moment
particulier pour lîle. Malgré les faibles
progrès accomplis, le dialogue entre Washington et la Havane
avait avancé en un an plus quil ne lavait jamais
fait au cours des dix dernières années : les
conversations sur les accords migratoires et le service de courrier ont
été renouées ; des groupes de travail
semi-officiels explorent les possibilités de collaborer dans la
lutte contre la drogue ; sans lever les restrictions imposées
par Bush en 2005, les Etats-Unis ont recommencé à
accorder des visas aux universitaires et artistes ; au Congrès
US, on assiste à des initiatives pour lever linterdiction
faite aux citoyens étasuniens de voyager sur lîle.
[
]
Le Parlement européen a exigé aussi
« la libération immédiate et sans conditions
des prisonniers politiques et prisonniers de conscience. » Quelle
est la cohérence dans cette position ?
Prisonniers de conscience ?
Dabord, la poignée de prisonniers politiques parmi les
dissidents nont pas été emprisonnés pour
des raisons de « conscience » ou pour avoir
« critiqué le gouvernement » mais pour
avoir activement combattu le système en alliance avec les
Etats-Unis, les exilés et les vieilles forces anticommunistes
européennes. Ils nont pas darmes mais ils ont
beaucoup de ressources mises à leur disposition par des Etats et
des organisations : des connexions internationales, des fonds
versés par des institutions, des moyens de communication, dans
la perspective de mener une guerre par dautres moyens.
[
] Aux côtés dune
démocratie rénovée et dun secteur
privé, le socialisme cubain du futur pourra-t-il
saccommoder dune opposition loyale ? Cette
question nest pas laffaire des membres du Congrès
US ou des parlementaires européens, mais celle des Cubain-es qui
vivent sur cette île.
Rafael Hernández
Source : www.legrandsoir.info/Dissidents-et-Politique-a-Cuba-Temas-la-Havane.html
A LIRE AUSSI SUR CUBA
Yannick Bovy & Eric Toussaint (Dir.), « Le pas suspendu de la
Révolution : approche critique
de la réalité cubaine », Cuesmes, Ed. du Cerisier, 2001
Manuel Vázquez Montalbán, « Et Dieu est entré dans
La Havane », Paris, Ed. du Seuil, 2001
« Inprecor », 500 (déc.
2004), 509 (sept. 2005), 523/524(janv. 2007), 545/546 (jan-fév
2009) : http://orta.dynalias.org/inprecor
Temas: http://www.temas.cult.cu