Mais où donc le Panda a-t-il mis sa tête ?


Mais où donc le Panda a-t-il sa tête ?

Dans un communiqué du 22 janvier, le WWF Suisse, à la veille de décisions syndicales importantes à ce sujet, comme celle de l’USS, a tenté – sans succès – de jeter son poids dans la balance contre le référendum et en soutien à la LME.


par Pierre Vanek


Cette position négative du WWF Suisse n’a pas manqué de susciter embarras et interrogations du côté de sections de celui-ci et de nombre de membres, en Suisse romande mais aussi outre-Sarine. En effet, ces derniers n’ont guère été consultés et ont le plus souvent découvert la position de leur association par les médias, position souvent en porte-à-faux avec celles défendues dans le cadre d’un travail de terrain, comme c’est le cas à Genève, à travers le rôle central que joue la section locale du WFF dans le la Coordination Energie avec ContrAtom et nombre d’autres associations et militant-e-s du secteur.


FMI contre art. 160C
de la Constitution genevoise


Cette activité genevoise – certes locale – vise à faire appliquer de manière conséquente l’art 160C de la Constitution cantonale, article antinucléaire et écologique qui exige par ex. la mise en oeuvre d’une politique électrique sur le plan tarifaire, sur le plan des investissements, etc. qui soit conforme aux exigences antinucléaires exprimées par les citoyen-ne-s genevois. Or nombre de ces dispositions deviendront simplement caduques, échouées et contournées, par le «droit supérieur» de la LME.
Signalons que les régulations cantonales, ainsi que l’appareil législatif qui en découle, sont la cible d’un autre «Fond» international qui soutient aussi la LME et une «libéralisation accélérée du secteur électrique» …il s’agit du FMI !1 Celui-ci voit dans la LME la promesse de prix plus bas et s’en prend, dans son rapport annuel sur la Suisse, publié peu après le communiqué du WWF, au «maquis de régulations, particulièrement à l’échelle cantonale» qui devra être éliminé s’il «accroît le coût de faire des affaires».


Parlez vous Swiss …Ré ?


En Suisse romande, les membres du WFF qui ne liraient pas l’allemand n’ont pas pu prendre connaissance du communiqué en question, qui n’existe officiellement que dans cette langue là2. Au delà de la langue, le langage est celui de la nouvelle directrice du WFF Mme Carole Franklin, venue l’an dernier des sphères dirigeantes d’une multinationale (Suisse de Ré) et inspiratrice d’une orientation qui s’en ressent.


La position sommaire du WFF Suisse n’apporte aucun élément nouveau au débat. Le communiqué se place de manière acritique sous le signe de la «modernité» à la sauce néolibérale. «Les structures vieillies du marché de l’électricité ne doivent pas être conservées» affirme-t-il d’emblée sans se poser la question – essentielle dans ce débat – de savoir si c’est en termes de marché ou d’électricité vue comme une marchandise qu’une politique énergétique écologique et durable pourra être développée.


«La consommation d’ensemble d’énergie doit être réduite de manière continue» est-il certes écrit en tête du communiqué, mais sans se poser la question de savoir comment diable une loi dont les promoteurs affirment qu’elle amènera une baisse des prix de l’électricité pour les gros consommateurs n’apporterait pas sa pierre …à l’augmentation «continue» de la consommation électrique. A signaler dans le même sens que la libéralisation radicale en Allemagne à conduit à des facturations électriques «forfaitaires». Moins écologique tu meurs !


Des économies d’énergie ?
Pas avec la LME !


A ce propos d’ailleurs, le WWF Suisse admet que «Dans la LME ne se trouve aucune incitation à une consommation d’énergie économe» et de réclamer des «mesures complémentaires d’accompagnement» sans lesquelles selon lui «la consommation d’énergie croîtra encore»! Comment se battre pour obtenir des «mesures complémentaires» alors qu’on combat le référendum et qu’on soutient la LME de manière acritique? Mystère!


En tous cas, les arguments du WWF pour soutenir la loi sont ailleurs. Le premier relève d’un réalo-fatalisme douteux: «L’ouverture du marché de l’électricité est aujourd’hui pleinement en cours» il faudrait donc fixer «des conditions cadres nécessaires» rendant possible une «ouverture ordonnée du marché du courant». Outre qu’on cautionne ainsi – plutôt que de la dénoncer – l’anticipation spéculative et antidémocratique d’une dérégulation néolibérale annoncée, qui conduit en effet à une «ouverture en cours» permettant à des gros clients d’avoir des contrats plus avantageux, l’argument est absurde.


Dans cette logique pourquoi ne pas soutenir la nouvelle loi sur l’énergie atomique (LENu) sous prétexte que le fonctionnement des réacteurs nucléaires est «aujourd’hui pleinement en cours» et qu’il faut assurer des conditions cadres pour que ça se passe «de manière ordonnée». L’important à propos de la LENu de M. Leuenberger c’est d’affirmer qu’on est pour une décision politique de sortie du nucléaire et d’y travailler. L’important à propos de cette loi électrique c’est de savoir si on veut une régulation marchande «axée sur la concurrence» et garantissant «le renforcement de la compétitivité internationale de l’industrie suisse de l’électricité»3 ou si on veut faire primer des considérations écologiques et sociales, exprimées démocratiquement plutôt que par la pseudo «démocratie du portefeuille» où chacun-e pèse le poids de sa facture électrique.


Une chance pour Chancy ?


Le deuxième argument du WWF Suisse est que la LME permettrait de «donner une impulsion aux énergies renouvelables». Ce point est plus que contestable. On peut à ce propos prendre à Genève un cas concret. Le barrage de Chancy-Pougny vieux de 80 ans, amorti de longue date, situé sur le Rhône à la frontière franco-genevoise, a besoin qu’on y investisse de l’ordre de 150 mios de francs pour le rénover et augmenter sa production hydroélectrique, indigène, renouvelable.


Une réalisation sans impact écologique supplémentaire, si ce n’est la réalisation d’une passe à poissons manquant à l’ouvrage initial. L’ensemble de l’opération pourrait conduire à une nette augmentation de puissance (on passerait de 37 à 50 MW, soit plus un tiers) et à une production d’énergie également accrue et réduisant d’autant la dépendance genevoise du nucléaire.
Or cet investissement est en suspens depuis longtemps, alors que ce projet fait partie du concept cantonal de l’énergie voté par le parlement genevois. La raison? C’est l’ombre portée de libéralisation et les prévisions du prix du courant au lendemain de celle-ci qui font de l’investissement, en termes de marché, une opération commercialement sujette à caution. Même si on produit du kWh à 8 ou 9 ct. (dix fois moins que du solaire et tout aussi «vert») le cadre du «marché» issu de la LME et le mettant en concurrence avec de l’électricité 3 fois moins chère provenant par ex. d’un dumping d’EDF, ne présente guère d’avantages pour le dit renouvelable.


Courant vert à coups de pub?


Quant aux sources de «nouvelles énergies renouvelables» que met en avant le WWF suisse: éoliennes, photovoltaïque, bois… leurs «avantages concurrentiels» issus de la LME relèvent du mythe. Sauf à compenser leur handicap en recherchant un marché de niche et en vendant du courant de luxe «vraiment vert» aux seuls consommateurs attirés par le marketing d’enfer que prévoient les spécialistes dans la branche électrique et qui pourrait absorber paraît-il le 15 % du chiffre d’affaire de celle-ci!4 Evidemment, socialement et écologiquement, il faudrait consacrer ce 15% à investir directement dans une production renouvelable ou dans les économies d’énergie plutôt que de chercher à vendre à grands coups de pub de l’électricité plus verte que celle du voisin…


Ce d’autant que nous avons déjà plus de 60% d’énergie renouvelable dans ce pays. Et qu’à Genève, mais ailleurs également, les consommateurs peuvent aujourd’hui, avant la LME, acheter au S.I. du courant solaire! Le problème c’est bien sûr surtout l’élimination et la substitution de la part du nucléaire. Or à propos de nucléaire le communiqué du WWF est muet. Quant à nous, nous partageons la crainte de voir la pression concurrentielle exercée sur les centrales atomiques conduire à cette dégradation de la sécurité – constatée aux USA par ex. – que le nouveau patron de la Division de sécurité des installations nucléaires (DSN) évoque comme préoccupation première dans l’avant propos à son dernier rapport annuel.5


En outre, le WWF Suisse, comme tous les partisans de la loi, escamote le fait que nombre de miettes prévues dans la LME et «avantageant» soi-disant les renouvelables sont des clauses «à bien plaire» dépendant de la seule volonté du Conseil fédéral. Un exemple de cette présentation pour le moins partiale: le communiqué dit que « Dans la LME une obligation de marquage de l’électricité est prévue, ce qui représente une base importante pour un marché de l’électricité transparent». Outre ce leitmotiv de la «transparence» qui revient comme si le fait essentiel du marché électrique suisse (40% de nucléaire !) n’était pas assez visible, et le fait que personne ne sait comment réaliser sérieusement un tel «marquage» ce que dit, en fait, la loi c’est que: «Le Conseil fédéral peut promulguer des prescriptions sur des marques distinctives… »


Mais d’où viennent ces idées fausses?


Bref si le communiqué de presse n’émanait pas du WWF Suisse, on pourrait l’écarter du revers de la main, constatant que c’est un couper-coller plus ou moins adroit des thèses défendues par exemple par Rüdi Rechsteiner conseiller national du PSS.6


Mais il s’agit du WWF, un organisation ayant un crédit non négligeable …mais en passe d’en perdre un bout avec ce genre d’exercice. D’où vient donc cette lubie et cet engouement pour les thèses de la droite patronale?
Nous avons évoqué l’hypothèse qu’il s’agissait de l’influence discutable de Mme Carole Franklin. Une allégation qui demande à être étayée. Voici donc quelques faits, chacun en fera la lecture qu’il juge bon:


Le groupe Swiss Ré (Suisse de réassurance) est un multinationale de grande envergure. Pour la situer, disons qu’elle est membre de ce club des 1000 premières multinationales globales que s’enorgueillit d’être le World Economic Forum (WEF).
Madame Franklin directrice du WWF, avant d’arriver à ce poste le 1er mars 1999, a travaillé pendant 20 ans pour cette multinationale, y terminant sa carrière comme membre de la direction de la division européenne de celle-ci, elle n’a pas renoncé aujourd’hui à siéger dans des conseils d’administration de société privées7 et annonce son retour au privé après cind ans de WWF.


Lors de son engagement elle présente son travail au WWF comme étant dans la continuité de celui à la Swiss Ré, ceci dans nombre d’interviews. Elle est convaincue que «Seule des firmes qui travaillent bien sur le plan écologique survivront.» En d’autres termes, le capitalisme s’autorégule sur le plan écologique. Elle affirme sa politique de «coopérer avec les entreprises» plutôt que de les critiquer8. «La Suisse Ré garantit contre les dommages pécuniaires, et le WWF essaye de les éviter.» Les deux sont complémentaires et «vendent de la sécurité pour l’avenir» dira-t-elle également.9


En novembre 1998, trois mois avant le passage de Mme Franklin au WWF en provenance de Swiss Ré, cette société éditait une brochure qu’on trouve sur le net. Son sujet «Le génie génétique». En épigraphe le propos délirant suivant: «Pour déterminer le profil du risque du génie génétique, peu importe que le danger soit ou non réel, ce qui compte c’est la façon dont le danger est perçu. Ainsi les industriels et les assureurs doivent assumer une responsabilité commune et accompagner cette évolution des valeurs sociales». Dans la présentation de la brochure on lit plus crûment encore que «Suisse Ré croit qu’industriels et assureurs doivent modeler les valeurs changeante de la société» !
C’est feu David de Pury qui se plaignait que les managers des multinationales n’aient pas le courage de s’engager en politique, sur le terrain, pour «vendre» les mérites du néolibéralisme et de la dérégulation.10 En la personne de Madame Carole Franklin on trouve quelqu’un qui a contrario lui aurait fait plaisir et qui s’engage, peu importe que le danger de la LME soit ou non réel, pour «accompagner» le nouveau credo capitaliste et contribuer à «modeler les valeurs changeantes» …du WWF pour commencer. Dans le bon sens? C’est aux membres de celui-ci à en juger!


  1. FMI, Mission concluding statement Switzerland -2001, Berne 29.1.01
  2. Nous nous sommes permis de traduire le communiqué du WFF en question. Cette version – évidemment, non officielle, est disponible sur notre site www.solidarites.ch
  3. LME Art 1 But
  4. Un article de la NZZ du 9.2.01 évoquait ce montant et posait la question «Les baisses de prix issues de la libéralisation seront-elles dévorées par les frais de marketing ?» et évoquait la multiplication par 10 des frais de pub de la branche de 1996 à 1999 en Allemagne, selon l’avis d’un spécialiste.
  5. DSN rapport annuel 1999, avant-propos de W. Jeschki
  6. V. à ce propos notre dernier numéro «Electroshopping contre vache folle nucléaire»
  7. Elle a par ex accédé courant 1999 à celui de la compagnie d’assurance Hiscox PLC alors qu’elle était déjà directrice du WWF (renseignement glané sur uk.invest.com)
  8. Interview à la SonntagsZeitung du 11.6.00
  9. Interview in Basler Zeitung du 15.9.00
  10. V. art. de De Pury dans notre N° 119.