Turin, le procès de l’amiante: la responsabilité de Stephan Schmidheiny

Turin, le procès de l’amiante: la responsabilité de Stephan Schmidheiny

Depuis 1982, le Caova (Comité
d’aide et d’orientation des victimes de l’amiante) a
collecté des informations sur l’affaire Eternit et ses
victimes. Le 24 mai, François Iselin, son expert, a
été cité comme témoin par le
Ministère public italien au procès de Turin. Nous
publions un extrait des notes de son témoignage
détaillé (à consulter en totalité sur le
site http://caova.ch/) consacré à la désinvolture
criminelle avec laquelle Eternit a abandonné l’amiante.

L’arsenal de tromperies qui permettait à Eternit de
prolonger son commerce s’épuisant sous les coups des
scandales, le remplacement de l’amiante – nommée
pompeusement « Nouvelle Technologie » (NT)
– s’imposa. Face à la mobilisation des syndicats et
au battage des médias informés par quelques scientifiques
engagés, Eternit devait à tout prix sortir de
l’impasse.

Sa priorité a été de sauver sa
marque de fabrique, ses usines, ses centres de distribution et son
personnel. A cet effet, après avoir créé Amiantus
pour faire le ménage dans la production d’amiante-ciment,
elle fonda Amindus pour préparer sa substitution en
« fibres-ciment ». La nécessité
d’engager un processus de substitution fut décrite non pas
comme l’échec de l’amiante-ciment, mais comme la
volonté de l’entreprise d’innover pour mieux vendre.

De fait, cette prétendue NT était une
ancienne recette qu’Eternit avait jadis
discréditée. Des matériaux en fibres-ciment
constitués de ciment et de cellulose étaient
fabriqués en Suisse bien avant qu’ils ne soient
absorbés et supprimés par Eternit. De plus, des NT
existaient bien avant que Eternit ne veuille les remplacer : les
matériaux de couverture opaque ou transparente, les bacs, les
conduites en matière plastique légères et
recyclables, des feuilles métalliques ondulées ou
nervurées thermolaquées, les verres
émaillés détrônaient l’Eternit bien
avant qu’il ne fût « NT ».

Le marché d’Eternit se réduisait
non seulement parce que l’amiante l’avait
discrédité, mais parce que le ciment micro armé,
quelles qu’en soient les fibres, était
dépassé par les verres, les plastiques, les
métaux, tous recyclables, certains plus résistants, plus
légers, plus durables…

Il est fort probable que Stephan Schmidheiny ait
pris conscience du double échec de l’amiante et du ciment
micro armé. Ce sont probablement ces échecs qui le
décidèrent à démissionner de la
multinationale Eternit pour en fonder une nouvelle
« écologique », fondée sur des
ressources « prometteuses » autres que
l’amiante, tels l’eau, les forêts, les bois
exotiques, les produits agricoles, les énergies renouvelables,
les œuvres d’art…

Négliger les pollutions par l’amiante-ciment

En un siècle en Europe et pendant des décennies ailleurs,
Eternit a dispersé des montagnes d’amiante dans les villes
et les campagnes sous forme de plaques dures et de cartons friables. La
première mesure que devait prendre Eternit était de
« rappeler » ces produits aux usines pour
être retraités comme le fait tout fabricant d’un
produit dangereux ou défectueux. Une fraction des milliards
accumulés indûment par la famille Schmidheiny depuis les
années 50 devait être mise à profit pour financer
le démontage, évacuation et décontamination des
toitures et façades en amiante-ciment, le désamiantage
des constructions, le remplacement de l’Eternit, du Pical, du
Gea, etc., et l’élimination des déchets. Or non
seulement rien n’a été fait, mais Eternit continue
à laisser entendre que ses produits amiantés sont
inoffensifs !

Abandonner les contaminés, les malades et les morts…

La démission d’Eternit face à ses victimes a
été qualifiée de « non-assistance
à personne en danger ». Tous les travailleurs
d’Eternit dans le monde, y compris sa direction et Stephan
Schmidheiny lui-même, ont de l’amiante dans les voies
respiratoires. Ils sont par conséquent en danger et devaient
impérativement être informés des risques et suivis
médicalement. Or Eternit n’en a rien fait. Alors que la
multinationale détient les dossiers personnels et
médicaux de chacun de ses employés dans le monde, aucun
n’a été informé des risques, que ce soit
pendant son emploi ou après. Sa seule
« contribution » a été de
promettre une indemnisation en cas de maladie ou de
décès… à condition que la victime et ses
proches renoncent à saisir la justice.

Le rôle déterminant de Stéphan Schmidheiny

Directeur de la multinationale entre 1975 et 1990, il a joué un
rôle crucial au cours de la période comprise entre la
connaissance des risques de l’amiante et son abandon. Il
détenait toutes les informations et les moyens humains et
technologiques pour abandonner l’amiante dont il avoue
connaître les risques mortels depuis 1965.

Sous la direction de S. Schmidheiny, plus du tiers
de tout l’amiante importé est entré en Suisse. Les
flocages à l’amiante ayant cessé dès 1973,
il est plus que probable que ce tonnage l’a été
pour Eternit.

Pour se débarrasser de la mauvaise
publicité du mortel amiante-ciment, et de la sienne propre,
Stephan Schmidheiny a démissionné en 1990 et
« vendu » Eternit à son frère
Thomas qui l’a « revendue » à
son tour en 2003. Cela dit, quel que soit le nom de l’entreprise
et de son propriétaire, l’empire Eternit reste ce
qu’il a été depuis 1920 : mêmes
secrets, mêmes trucages, même cupidité.

Il n’en reste pas moins que même si
l’amiante des Schmidheiny avait été
éliminé de ses fabriques, de ses bâtiments, des
décharges sauvages, il demeure dans les poumons de dizaines de
milliers de personnes qui en mourront inévitablement.
C’est la raison pour laquelle la catastrophe provoquée par
Eternit est loin d’être dépassée.

Caova/DS