Nouvelle affaire des fiches: quand les Pieds Nickelés jouent à Big Brother
Nouvelle affaire des fiches: quand les Pieds Nickelés jouent à Big Brother
Le traitement de données non
pertinentes ou fausses nest pas en soi une
« atteinte grave à la
personnalité » et il faut arrêter de
considérer le fait de figurer dans un fichier
« comme une tare ». Ce flic qui vous fiche
pour votre bien, cest Jürg Bühler, chef
suppléant du SAP, la police politique helvétique. Un des
artisans de la nouvelle affaire des fiches.
A la suite de la première affaire en 1989, qui avait mis en
évidence le fichage de 900 000 personnes en Suisse,
essentiellement au nom de lanticommunisme et de la lutte contre
« lennemi intérieur »,
lEtat helvétique sétait juré
quon ne ly reprendrait plus. Il fallait, dune
part, réorienter la surveillance en fonction de la nouvelle
donne internationale (lAxe du Mal, le terrorisme, les demandeurs
dasile, etc.) et dautre part changer les méthodes,
quelquefois surannées. Le tout en cultivant une
discrétion de passe-muraille.
Cest raté ! Lobstination des dirigeants du
SAP (le Service danalyse et de prévention, chargé
de la gestion du système dinformation ISIS) à
ratisser un maximum dinformations, même (surtout ?)
fausses, incontrôlables ou illégales a fini par avoir
raison de la patience de lorgane de contrôle, la
Délégation des Commissions de gestion des Chambres
fédérales (DélCdG), qui a craché le
morceau. Ce ratage de la transition vers la modernité a ses
côtés loufoques. On est ravi dapprendre ainsi que
les barbouzes se surveillent entre elles : lancien chef du
renseignement extérieur, le divisionnaire Peter Regli, figure
dans les fiches du SAP pour ses liens avec les services secrets
sud-africains du temps de lapartheid. Là où cela
devient moins drôle, cest lorsquà force
damalgamer des données erronées, le
système construit des suspects à la demande.
Les nouvelles technologies se mettent alors au service de la
très vieille technique policière de lamalgame. Le
résultat est cauchemardesque.
Le cas Anni Lanz
En 2004, lUniversité de Bâle décerne un
doctorat honoris causa à la sociologue et militante des droits
humains Anni Lanz. La sexagénaire sest fait
connaître pour son engagement dans la politique féministe
et pour le droit dasile. Depuis 1995, elle est secrétaire
politique de Solidarité sans frontières.
Son numéro de téléphone figure dans des
enquêtes menées par des services de renseignements
étrangers à propos de deux personnes nord-africaines
« pouvant appartenir » à la mouvance
islamiste extrémiste. Un service dun pays voisin se
renseigne à ce propos auprès du SAP. Celui-ci demande
alors une enquête à la sûreté du canton de
Bâle. Doù Anni Lanz ressort blanchie, jugée
« bonne et généreuse » et sans
aucune inclination criminelle. Le service étranger est
informé en conséquence. Mais la réponse du SAP et
lenquête de la sûreté bâloise sont
classées dans ISIS, où Anni Lanz et son mari figurent
dès lors comme « tiers ». Le tiers est
une personne susceptible dêtre en lien avec un
« objet » (une autre personne ou une voiture,
un appartement, p. ex.) intéressant la protection de
lEtat. Dès quun tiers apparaît dans deux
communications, il devient lui-même une personne menaçant
la sûreté de lEtat.
Or Anni Lenz est mentionnée dans une liste que la
sûreté bâloise remet au SAP en 2002. Elle y est au
titre de laltermondialisme, des personnes voulant se rendre au
sommet du G8 à Gênes le 19 juillet 2001 ayant passé
par Bâle. Dans la colonne « délits
violents », la liste mentionne
« dénonciation pour émeute et entrave
à laccomplissement dun acte
officiel ». Une pure invention. La liste rappelle
quAnni Lenz est déjà enregistrée dans ISIS
comme tiers. Du coup, elle passe au statut de personne revêtant
en propre une importance du point de vue de la protection de
lEtat. Pour faire bon poids, son enregistrement précise
quelle est soupçonnée dappartenir au
« black block » ! La DélCdG
constate donc que « le système prévoit
manifestement que deux communications de la sûreté
cantonale en lespace de quatre ans et une dénonciation
non vérifiée pour émeute et entrave à
laction officielle remplissent les conditions pour classer A. L.
comme activiste de catégorie B (
) ». En
fonction de leur dangerosité supposée, les activistes
sont en effet classés en catégorie A, B et C. Et
voilà comment lon fabrique de nouveaux suspects de
violence contre lEtat…
Le SAP, franc comme un âne qui recule
Ce cas illustre bien la manière dont le système du SAP
fonctionne sans aucun respect des règles légales sur le
contrôle et la « qualité » des
données, sans parler de leur véracité. La presse a
beaucoup évoqué des questions de manque de personnel
qualifié et de mauvais choix des priorités dans le
traitement de la masse des informations. En fait, le rapport de la
délégation le montre, cest une véritable
conception politique que le SAP et ses chefs ont défendue, pas
à pas, à travers une véritable guérilla
administrative, nhésitant pas à falsifier les
enregistrements lorsque cétait nécessaire. Cette
conception considère quISIS nest pas un
« répertoire de suspects, mais une banque de
données visant à documenter lactivité
déployée par le SAP pour la protection de
lEtat ». Or, comme le fera remarquer un rapport
dun organe interne de contrôle, la Surveillance des
services de renseignements, cette conception suggère
« quen fin de compte tout un chacun pourrait
figurer dans la banque de données. »
Surveiller toute la population : le rêve récurrent de toute police politique.
D. Süri
Nhésitez pas : demandez, par lettre
recommandée, à voir votre fiche au Préposé
fédéral à la protection des données,
Hanspeter Thür, Feldeggweg 1, 3003 Bern. Un modèle de
lettre se trouve sur le site :http://grundrechte.ch/index_f.shtml