Pour une Suisse sans police fouineuse !

Pour une Suisse sans police fouineuse !

Le nouveau scandale des fiches, révélé fin
juin 2010 par le Rapport de la Délégation des Commissions
de gestion des Chambres fédérales, fait suite à
l’enquête ouverte après la découverte en 2008
du fichage de députés d’origine kurde au parlement
du canton de Bâle-Ville. Les données recueillies et
conservées par le Service d’analyse et de
prévention (SAP) concerneraient 200’000 personnes, dont
11 % habitent en Suisse et 3 à 4 % seraient en
possession d’un passeport suisse, ainsi que 10’000 noms
d’institutions.

Cette seconde affaire des fiches a le parfum
nauséabond de la chasse aux étrangers : les
candidat·e·s à la naturalisation, les
étrangers-ères et leurs associations, les
requérant·e·s d’asile sont fichés
tout particulièrement! L’air du temps est au racisme
d’Etat décomplexé… Le scandale des fiches
mis à jour en 1989 avait, lui, plutôt le goût de
l’anticommunisme et de la chasse à l’ennemi
intérieur. Il s’agissait de contrôler des citoyens
et citoyennes aux idées « non
conformes », une surveillance qui avait commencé
bien avant la période de guerre froide et qui s’est
poursuivie bien après, avec la mise en place d’une
armée secrète (la P26) et d’un service de
renseignements (P27), qui agissaient sans aucun contrôle
politique ni aucune base légale.

Ce nouveau scandale pourrait donner matière
à un nouveau chapitre dans l’ouvrage collectif
publié en 1992 par de nombreux historiens, dont Hans Ulrich Jost
et Marc Vuilleumier sous l’égide de l’Association
pour l’étude de l’histoire du mouvement ouvrier
(AEHMO), « Cent ans de police politique en
Suisse ». Elle met en évidence la continuité
de l’intervention policière, sous toutes ses formes,
à l’encontre de celles et ceux qui agissent et pensent
différemment, depuis les premières coalitions
ouvrières du XIXe siècle jusqu’au mouvement
altermondialiste en passant par la contestation de Mai 68.

Chaque fois que le peuple a été
consulté « démocratiquement »,
il s’est pourtant opposé à l’accroissement de
la protection préventive et policière de
l’Etat : refus des deux Lex Haeberlin en 1923 et en 1934
ou rejet de la police fédérale de sécurité
proposée par Kurt Furgler en 1978. Et si l’initiative
fédérale populaire « SOS — pour une
Suisse sans police fouineuse » — lancée
à la suite du premier scandale des fiches dans la foulée
d’une manifestation en avril 1990 rassemblant plus de
30 000 personnes à Berne — a été
rejetée en 1998, c’est que le Conseil
fédéral et tout l’establishment politique avaient
alors juré leurs grands dieux que toutes les garanties
étaient réunies pour qu’une telle surveillance
préventive ne se reproduise plus.

Le résultat est là ! Le
principe fixé dans la Loi fédérale instituant des
mesures visant au maintien de la sûreté intérieure
(LMSI), selon lequel les organes de sûreté de la
Confédération et des cantons ne peuvent pas traiter des
informations relatives à l’engagement politique ou
à l’exercice des droits découlant de la
liberté d’opinion, d’association et de
réunion, a été allègrement bafoué.
L’exception est devenue la règle : recueillir de
telles informations ne devait se faire qu’en cas de
présomption sérieuse permettant de soupçonner une
organisation, ou des personnes qui en font partie, de se servir de
l’exercice des droits politiques ou des droits fondamentaux pour
dissimuler la préparation ou l’exécution
d’actes relevants du terrorisme, du service de renseignements ou
de l’extrémisme violent. Aucun contrôle réel
n’a véritablement été exercé. Plus de
la moitié des enregistrements effectués dans le
système d’information ISIS n’ont même pas
été vérifiés selon les procédures en
vigueur. La machine de l’Etat policier a continué à
tourner.

Tout fichage, à titre préventif, des
opinions et de l’exercice des droits démocratiques est
inacceptable du point de vue du respect des droits fondamentaux. Il
conduit inévitablement à la criminalisation de celles et
ceux qui contestent l’ordre existant. Qui détermine
qu’un tel soupçon existe ? Sur quelle base et selon
quels critères ? La Loi fédérale sur la
protection des données (LPD) interdit la constitution de
fichiers sur des données sensibles comme les opinions politiques
et syndicales. Elle donne en principe un droit de rectification, voire
de destruction, des données aux personnes concernées.

L’article 18 de la LMSI permet
également à chacun-e de demander au Préposé
fédéral à la protection des données si des
données le concernant sont traitées dans le
système informatique relatif à la protection de
l’Etat. Force est de constater que, par définition, toute
la surveillance s’exerce bien entendu à l’insu des
personnes concernées qui n’ont dès lors aucun moyen
de faire corriger les erreurs. Elles n’ont pas accès
à leur fiche, dont elles ne connaissent du reste même pas
l’existence! La protection des données est un alibi,
c’est l’abolition de la police politique qui est plus que
jamais à l’ordre du jour !

Jean-Michel Dolivo