Football africain: vuvuzela et transferts

Football africain: vuvuzela et transferts

La coupe du monde de football se
déroule pour la première fois en Afrique. Cet
événement médiatique est l’occasion de se
pencher sur la réalité du football africain, entre stars
du ballon rond et exclus du système.

Cette coupe du monde organisée en Afrique vient
concrétiser l’importance de plus en plus grande des
footballeurs africains. Après avoir brillé en France, les
joueurs africains sont désormais incontournables en Italie, en
Espagne et en Angleterre avec des stars comme le camerounais
Eto’o ou l’ivoirien Drogba. Mais le parcours de ces
derniers constitue une exception dans le flux constant de joueurs et
d’argent entre l’Afrique et l’Europe. Rappelons que
c’est par la colonisation que le football est introduit en
Afrique, le sport étant alors vu comme un moyen
d’inculquer ordre et discipline aux natifs. Néanmoins, il
faut noter qu’au-delà des écoles, le football
suscite très vite la passion des Africains, notamment dans les
banlieues pauvres. Ainsi, au moment des indépendances, il ne
sera pas banni mais au contraire utilisé comme instrument du
nationalisme, et des règles strictes seront mises en place pour
empêcher aux joueurs d’aller jouer en Europe ou pour
limiter le nombre d’émigrés dans la
sélection nationale.

    Aujourd’hui, ces règles ne sont plus
à l’ordre du jour et, comme partout, c’est
l’ultralibéralisme qui domine, que ce soit dans les
sélections ou dans le domaine des transferts. Ce dernier aspect
représente en fait le principal biais par lequel est
perçu le football africain. Depuis l’arrêt
« Bosman » (1995), qui supprime tout quota de
joueurs étrangers dans un club et l’accord de libre
circulation pour les sportifs Africains, le nombre de ces derniers en
Europe a explosé (ils sont aujourd’hui plus de 1000) et
commence à augmenter en Asie. Les mots ne trompent pas :
dans le milieu on considère l’Afrique comme
« un vivier » et la CAN (Coupe
d’Afrique des Nations) comme un « marché aux
bestiaux ». Si les médias s’arrêtent
sur les transferts juteux des stars dans les grands clubs
européens, la réalité pour la plupart des
footballeurs africains est bien moins rose. Leur coût est
très bas par rapport aux autres joueurs, à cause de leur
manque de formation, ce qui n’est pas le cas des joueurs
provenant d’Amérique du Sud, mais aussi à cause de
la position de force des clubs européens qui dictent leurs
conditions de transfert. Beaucoup de clubs spéculent aux
dépens des joueurs africains, les faisant venir très
jeunes pour tenter de les revendre plus cher. Ceci explique pourquoi
les championnats qui comportent les plus fortes proportions
d’Africains ne sont pas les plus prestigieux mais plutôt
ceux classés comme moyens par la FIFA. Si le joueur
importé ne réussit pas et que le club ne parvient pas
à le revendre, il arrive souvent qu’il soit
abandonné à son sort. Le taux d’éviction
pour cette filière demeure très élevé.

Une dépendance entretenue

Du côté du continent africain, le football est souvent
utilisé comme un moyen de contrôle par les dirigeants au
détriment des peuples et des sportifs africains. Ainsi
c’est presque devenu une habitude pour les présidents
africains que de profiter que la CAN se joue dans leur pays pour
modifier la constitution. Ce fut le cas en 2010 en Angola et en 2008 au
Cameroun. Plus généralement, les manifestations sportives
sont utilisées pour développer des infrastructures de
prestige comme des stades ou des hôtels sans prendre en compte
les besoins réels de la population. De plus, la construction des
stades est le plus souvent confiée à une entreprise
étrangère. Les dirigeants des différentes
fédérations entretiennent leur dépendance par
rapport aux championnats européens en encourageant les joueurs
à émigrer pour obtenir des joueurs mieux formés en
sélection nationale. Dans le même temps, rien n’est
fait pour améliorer la formation au pays.

    Néanmoins, il serait faux de diaboliser le
football en général. Celui-ci sert en effet de ciment
social et associatif pour la population africaine. Si les
académies de football oscillent entre formation et
commercialisation, elles peuvent jouer un rôle positif. Ainsi la
MYSA (Mathare Youth Sport Association) dans le bidonville de Mathare au
Kenya offre aux jeunes un équipement de football en contrepartie
de travaux collectifs utiles à la communauté comme le
nettoyage ou la prévention du sida. Cette association a fait des
émules et touche désormais 20 000 de jeunes dont
un quart de femmes.

Pierre Raboud

A lire : « Afrique contemporaine »
nº 233 : « L’Afrique, la
mondialisation et le ballon rond. »


3e mi-temps

Après le match Allemagne-Australie, on se disait que le Mondial
était enfin lancé, mais au-delà du score,
c’est en fait une lutte sociale qui commençait.
Malgré un contrôle de l’information important, un
nettoyage en règle autour des stades et surtout une connivence
générale autour de cet événement, des
dépêches annonçaient que quelques 400 stadiers
s’étaient mis en grève à la fin du match
pour protester contre les conditions de travail et la réduction
de leur salaire, passé de 40 euros par jour à seulement
20. Le mouvement concerne quasiment l’ensemble du personnel de
certains stades. Le gouvernement sud-­africain a choisi la force
pour réponse, en dispersant les manifestations à coup de
gaz lacrymogène et surtout en « prenant le
contrôle » de 4 des 10 stades de la
compétition, où désormais ce sont les policiers
qui ont remplacé les stadiers. Si les médias
tenteront de faire passer ces événements pour des
conséquences de la désorganisation africaine, la
responsabilité de la FIFA est indéniable,
l’employeur étant sous contrat avec elle. PR