Bloody Sunday: le «business as usual» des tueurs professionnels de l’armée britannique

Bloody Sunday: le «business as usual» des tueurs professionnels de l’armée britannique

Dimanche 30 janvier 1972 à
Derry, 14 manifestants pacifiques tombent sous les balles lors
d’une marche de l’Association des Droits Civiques
d’Irlande du Nord (NICRA). Ce mouvement demandait
l’égalité pour tous les citoyen·ne·s
nord-irlandais et la fin des pratiques discriminatoires envers les
catholiques au niveau politique, social et économique. Un
rapport officiel vient de contredire la version des faits
défendue jusqu’ici par le pouvoir britannique…

Après 12 ans de témoignages, 200 millions de livres de
frais et 5000 pages de transcriptions, l’enquête officielle
conduite par Lord Saville vient de rendre son verdict, en
déclarant coupable le régiment parachutiste
impliqué dans la tuerie à Derry en 1972.

    Cela ne fait que confirmer ce qui était clair
dès le lendemain de la fusillade : l’unité
d’élite de l’armée anglaise a
déclenché cette série de meurtres, non comme
riposte à des tirs dont elle aurait été la cible,
mais comme acte de répression brutale envers un mouvement de
masse pour les droits civiques.

Victimes blanchies

Néanmoins, alors que la reconnaissance de l’innocence des
victimes est évidemment bienvenue, la présentation du
rapport Saville a soigneusement préservé un mythe
central, selon lequel des évènements comme la tuerie de
Derry seraient exceptionnels.

    Cette conclusion est vitale au maintien du mensonge
selon lequel l’Etat britannique serait une entité
paisible, respectant les droits humains et bravement soutenu dans ce
sens par ses forces armées.

    Ce mythe est entretenu par les
représentations incessantes de militaires à la parade, au
son de fanfares et en tenues écarlates, assorties
d’histoires glorieuses où les britanniques sont toujours
les «bons», avec en prime les hommages rendus à la
liste – croissante – des soldats tués en service.

    Au moment où il reconnaissait officiellement
l’innocence des victimes, le nouveau Premier ministre britannique
Cameron a soigneusement maintenu son soutien aux militaires et le Daily
Mail de droite a choisi de rapporter les conclusions de cette
enquête en parallèle à l’annonce de deux
nouveaux soldats morts en Afghanistan, en mettant ceux-ci en avant
comme représentants de l’armée
« véritable ».

Le mythe du « dérapage »

Ainsi, on entretient la musique d’ambiance sur
l’air : des accidents comme Bloody Sunday sont très
regrettables, n’auraient pas dû se produire, mais sont
heureusement des exceptions et relèvent probablement de la
responsabilité de quelques individus isolés.

    Cette version a été mise en avant par
l’ancien chef de l’armée, Sir Mike Jackson, qui
était justement officier du régiment parachutiste lors du
Bloody Sunday, quand il déclara à la BBC que
c’était « une poignée de
soldats » qui avaient causé le problème.

    Mais l’Histoire montre que ce mythe
confortable d’une armée britannique comme essentiellement
une force disciplinée au service du bien commun,
occasionnellement salie par l’un ou l’autre
« mouton noir », ne saurait être pris
au sérieux.

    Il y a par exemple le cas, en Grande-­Bretagne
de l’infâme massacre de Peterloo en 1819 lors duquel les
troupes de la Cheshire Yeomanry et la cavalerie du 15e de Hussards ont
chargé un meeting pour la réforme du suffrage à
Manchester, faisant quinze mort·e·s et des milliers de
blessé·e·s.

    Ou il y a l’Inde, comme en 1919 à
Amritsar où les forces britanniques ont ouvert le feu sur une
manifestation de protestation contre l’arrestation de leaders
nationalistes, tuant 379 personnes et en en blessant des centaines.

Une histoire de crimes sanglants

Ce fait d’armes fut décrit aux Communes par Winston
Churchill, alors Ministre de la guerre. Il déclara que la foule
avait été « coincée dans un espace
étroit et presque sans issues, bien plus petit que Trafalgar
Square, et parquée ensemble de sorte qu’une seule balle
traversait trois ou quatre corps… Les gens affolés
couraient ici et là, quand le feu était dirigé
vers le centre ils couraient de côté. Le feu fut alors
dirigé sur les côtés, beaucoup se jetèrent
à terre, on tira alors à terre. Cela continua huit ou dix
minutes et ne cessa que faute de munitions.»

    L’officier commandant la manœuvre, le
général Edward Dyer, fut certes congédié,
mais il revint en Angleterre pour se voir salué par ses soutiens
impérialistes comme le « sauveur du
Pendjab », à qui on décerna une prime de
10 000 livres et une épée à la garde
incrustée de pierres précieuses.

    Aux quatre coins du globe et des pages de
l’Histoire, les exemples abondent dans la chronique de
l’Etat britannique, allant des Scots Guards accusés de
massacres en Malaisie en 1948, aux massacres de Cromwell à
Drogheda et Wexford en Irlande en 1649…

Au service des riches et des puissants

Ces dernières années l’armée britannique a
été impliquée dans des violations de droits
humains en Irak, y compris le tabassage et le maltraitement de suspects
allant jusqu’au meurtre. Et, là encore, on parle de
« moutons noirs » et les politiciens et
généraux feignent la surprise.

    Le fait est que derrière les tuniques
écarlates, le cérémonial et les flons-flons
glorieux, la Couronne maintient ses forces armées comme rouage
essentiel de sa machine de contrôle et de domination.

    Cette armée est ce que Lénine
décrivait comme une « bande d’hommes
armés », qui sont au service non de la paix et de
la démocratie, mais des riches et des puissants dont ils servent
les intérêts.

Ken Ferguson

Article du 16.6.10 publié sur le site du Scottish
Socialist Party (SSP), traduit par nos soins. Titre et inter­titres
de notre rédaction