Millénaire de la ville de Neuchâtel : polémique autour d’une œuvre d’art contemporain

Millénaire de la ville de Neuchâtel : polémique autour d’une œuvre d’art contemporain

La ville de Neuchâtel se
prépare à commémorer les mille ans des
premières traces écrites de l’existence de la ville
sous son nom « Neuchâtel » (1011).
Depuis trois mois, la polémique bat son plein dans la
république, non pas sur une controverse historique, mais au
sujet d’une œuvre d’art contemporain, le Cube noir de
Gregor Schneider.

Toute l’affaire a débuté au mois de mars quand
Daniel Burki (ancien président de la chambre du commerce et de
l’industrie) annonce sa démission de la présidence
de l’association de préparation du millénaire, pour
protester contre le projet du CAN, soutenu par la commune. Depuis, les
courriers des lecteurs-trices et les sites 
d’échanges électroniques régionaux sont
saturés de protestations où l’art abstrait et la
religion sont en ligne de mire. Pour mieux comprendre cette surprenante
effervescence, nous nous sommes entretenus avec Arthur de Pury,
directeur du CAN.

Pourquoi avoir choisi Gregor Schneider pour cette commémoration ?

Nous avons voulu poser la question de la place de l’art
contemporain dans les commémorations. Que peut-il dire
aujourd’hui par rapport à Neuchâtel et à son
histoire ? L’épisode de la réforme où
le prédicateur Guillaume Farel vide la collégiale de
l’ensemble de ses oeuvres, acte iconoclaste  majeur, est le
départ de notre réflexion. La statue de Farel
(érigée en 1876 sur l’esplanade de la
collégiale) porte en elle toute la complexité de notre
rapport à l’image. C’est une réflexion sur
icône, iconoclasme et art contemporain qui nous a amené
à Gregor Schneider. Le cube de Gregor Schneider a lui-même
deux sources d’inspiration: le Carré noir sur fond blanc
de Kasimir Malevitch (1915), emblème de l’art moderne,
et  la Kaaba à La Mecque. Le Cube n’est pas une
réplique ni une représentation de la Kaaba (il ne porte
aucune inscription), mais une œuvre d’art abstraite en
forme de cube (le cube joue un rôle prépondérant
dans l’art abstrait).

    Le projet du CAN, intitulé Abstract Protest
ne se résume pas au cube de Gregor Schneider sur la place du
port, c’est également une exposition collective dans les
locaux du CAN, des conférences, des débats et finalement
un livre. C’est une invitation à interroger notre
identité. Qui sommes-nous ? Et qui est l’Autre dans
nos sociétés ? Pourquoi, depuis plusieurs
années, cet Autre c’est le musulman ? Comment 
fonctionne ce mécanisme, comment se forme ce miroir, ces
images ? Autant de questions que nous aimerions aborder au
travers de l’art abstrait.

Faire appel à G. Schneider n’était-ce pas opter pour une forme de provocation ?

L’œuvre de Gregor Schneider n’est pas une attaque
à la religion ni une provocation. Mais pourquoi fait-il
peur ? Quelles questions soulève-t-il ? Où
en est le dialogue interculturel ? La polémique
suscitée par le Cube de Schneider pose la question de la place
de l’art contemporain – et donc du CAN – dans le
millénaire. Elle ne vise pas les musulmans. Une oeuvre
d’art n’a pas un sens unique et toutes les œuvres qui
ont créé des polémiques ont finalement
été acceptées, après 20 ou 30 ans.

Henri Vuilliomenet


Gregor
Schneider est à l’honneur du Centre d’art
Neuchâtel (CAN). Durant le millénaire, le CAN se propose
d’ériger sur la place du port de Neuchâtel le
« Cube Neuchâtel 2011 » du jeune
plasticien.

C’est en 2001 que Gregor Schneider apparaît pour la
première fois comme un artiste reconnu. A cette date, il
remporte le Lion d’Or pour la réalisation de Totes Haus
Ur, le pavillon allemand de la Biennale de Venise. Quatre ans plus
tard, la même Biennale censure l’une de ses
installation : un cube de
14 × 14 × 14 mètres,
destiné à être dressé au beau milieu de la
Place Saint Marc. Association voulue à la Kaaba (selon les mots
de l’artiste), l’œuvre est censurée, en 2006,
également à Berlin en raison de son caractère
politico-religieux. Entre mars et juin  2007, néanmoins, le
Cube sera présenté lors de l’exposition du Centre
artistique de Hambourg sur le thème de la peinture abstraite
sous le nom Cube Hambourg 2007.

    Les réactions parfois violentes, parfois
ironiques, souvent méprisantes que soulève le projet
d’exposer le Cube à Neuchâtel nous montre une
société peu sûre d’elle, inquiète.
Aujourd’hui, la commémoration du millénaire est
plus que jamais l’occasion de s’ouvrir au monde qui nous
entoure. La frilosité face à ce type
d’expérimentation artistique tend à dessiner les
contours d’une société refermée sur
elle-même, débordant d’autosatisfaction. On ne peut
forcer personne à apprécier l’art contemporain, on
peut comprendre le scepticisme et l’incompréhension que
parfois il génère, mais ce serait une erreur de se
détourner des questions qu’il soulève.

Qu’est-ce que le CAN ?
Association indépendante sans but lucratif, fondée en
1995, le Centre d’Art Neuchâtel est un lieu où
s’affiche l’art contemporain, qui questionne
l’esthétique, le bon goût, le sens immédiat.
Ce n’est pas un musée, mais un lieu où
s’exposent des installations parfois
éphémères – non vendables –  qui
ne trouvent pas place en galerie, et où les artistes peuvent
travailler en utilisant les particularités du lieu. Le CAN
organise cinq expositions par année, et collabore notamment avec
le festival du film fantastique.

Centre d’Art Neuchâtel
37 rue des Moulins
2000 Neuchâtel
www.can.ch
Ouvert de mercredi à dimanche de 14 h à 18 h, jeudi de 14 h à 20 h