Constituante genevoise: la droite balaie les droits sociaux

Constituante genevoise: la droite balaie les droits sociaux

Après un an de travail intense
en commissions, dans un climat correct et aboutissant à des
propositions souvent présentables, les choses sérieuses
ont commencé pour la droite, soit le vote de thèses en
plénière de la Constituante. Et là, elle a
montré son vrai visage: haro sur les droits sociaux et tout ce
qui serait un peu progressiste.

Il a ainsi suffi de deux séances, les 20 et 25 mai, pour que la droite :

• Refuse que Genève
soit non seulement « un Etat de droit démocratique,
fondé sur la liberté, la justice, la
responsabilité et la solidarité », mais
également sur l’égalité (amendement de
solidaritéS refusé)

• Supprime, entre autres, parmi les buts de l’Etat :

— la protection sociale, la santé et la formation ;
— l’égalité des chances, le respect des minorités et la cohésion sociale ;
— la protection de la nature et de l’environnement ;
— le respect, la protection et la réalisation des droits fondamentaux ;

• Supprime l’affirmation que « Nul ne doit subir de discrimination »

• Supprime celle selon laquelle « La femme et l’homme sont égaux en droit ».

• Supprime en un amendement 14 thèses d’un coup, dont :

— le droit à l’aide sociale garantissant les moyens
indispensables pour mener une existence conforme à la
dignité humaine ;
— le droit au logement, qui est pourtant garanti dans la Constitution actuelle ;
— le droit aux allocations familiales ;
— le droit à l’éducation, à une
formation initiale gratuite et à la formation continue ;
— la formation obligatoire jusqu’à l’âge de la majorité ;
— l’égal accès de toutes et tous aux établissements de formation ;
— les bourses pour la formation ;
— le droit de chaque travailleur et travailleuse à un
salaire équitable qui lui assure un niveau de vie décent
et à des conditions de travail qui respectent sa santé,
sa sécurité et son intégrité physique et
psychique.

Cette liste est impressionnante, et ce n’est qu’un
début ! Devant cette démolition par la droite des
droits sociaux, les représentant·e·s de la
« gauche élargie » (Associatifs,
AVIVO, socialistes, solidaritéS et Verts) ont
décidé de ne pas participer à la séance du
soir, bloquant ainsi la suite des travaux, la droite seule ne
rassemblant pas le quorum. Cette réaction forte et rompant avec
les habitudes parlementaires a été unanimement
considérée comme la seule réponse possible pour
trois raisons essentielles :

Elle proteste contre un contenu inacceptable

Pas de refus des discriminations, pas d’égalité
hommes-femmes, ni de travail égal, salaire égal, pas de
droit au logement, etc. C’est trop et cela vide de sens la
continuation d’une discussion sur cette nouvelle constitution.

Elle sanctionne le mépris du travail pendant un an en commissions

La majorité des thèses balayées avaient
été acceptées en commissions à
l’unanimité ou à une large majorité. Or il
est vrai qu’on a le droit de changer d’avis, mais quand
tous les repré­sen­tant·e·s de la droite
tournent leur veste au même moment et de manière
concertée, cela signifie deux choses :

• D’une part, une reprise en main de ses troupes par la
droite unifiée, gommant toute différence entre les
soi-disant centristes du PDC, le MCG prétendument social mais
profondément xéno­phobe et l’UDC qu’il
n’est plus nécessaire de qualifier, tout cela sous la
conduite des radicaux-libéraux. Pas une seule voix discordante
ne leur a manqué pour chaque vote ;

• D’autre part, cette facilité de tourner sa veste
entre commissions et plenum pose forcément la question :
est-ce que la droite a délibérément choisi en
commissions d’être relativement ouverte, d’accepter
un débat assez correct et des compromis, sachant que tout cela
ne comptait guère et que les choses sérieuses
commençaient avec les plénières? Si elle pensait
ainsi nous endormir, eh bien c’est raté, elle s’est
surtout décrédibilisée et a renforcé notre
colère.

Elle stigmatise un fonctionnement anti-démocratique.

Concernant l’amendement présenté par le MCG et
supprimant 14 thèses définissant pour l’essentiel
des droits sociaux, chaque représentant des groupes de droite a
déclaré en séance le soutien de son groupe
à celui-ci. En d’autres termes, cet amendement avait
été débattu entre tous les groupes de droite,
leurs caucus (réunions des groupes préparant les
plénières) avaient approuvé cette alliance, et
tout cela quelques jours avant la plénière, ce
d’autant plus que cette dernière avait lieu le mardi
suivant le week-end de Pentecôte, et que la droite n’aime
pas sacrifier ses week-ends.

    Ceci signifie que non seulement il y a eu accord sur
le contenu, mais aussi sur le choix de déposer cet amendement en
dernière minute. Il a ainsi été découvert
par tous les constituant·e·s en début de
séance. Cacher jusqu’au dernier moment ses intentions sur
une question aussi importante que la suppression de 14 thèses et
empêcher littéralement jusqu’au débat public
de celles-ci relève d’une conception douteuse de la
démocratie.

Et la suite ?

Il faut rappeler que nous n’étions pas convaincus de la
nécessité d’écrire une nouvelle constitution
« à froid », craignant que le rapport
de force actuel favorise plutôt des régressions que des
progrès. Les derniers événements semblent
malheureusement nous donner raison. Toutefois, une Constituante
étant décidée et élue, le groupe
solidaritéS s’y est engagé pour défendre des
avancées des droits politiques, sociaux et environnementaux.

    On pouvait s’attendre à ce que la
droite ne nous suive guère sur ce terrain, cependant sa pratique
récente ne peut que conduire à un surprenant sabordage du
projet de nouvelle Constitution et à un vote populaire
négatif auquel nous appellerions évidemment. On peut en
effet vivre avec la Constitution actuelle en se battant pour
l’amender par voie d’initiative populaire.

    Pour que la poursuite des travaux de la Constituante
garde un sens quelconque, il faut que la droite accepte le respect des
travaux de commission, la tenue effective d’un débat
public et démocratique sur ces thèses et qu’elle
respecte les besoins fondamentaux de la population.

Michel Ducommun