Luttons contre le racisme, il est temps

Luttons contre le racisme, il est temps

Confronté à la confusion
et à l’indifférence, ce fléau ne cesse de
creuser son lit en Suisse comme ailleurs. Ne serait-il pas temps
d’examiner avec sérieux la possibilité de lutter
vraiment contre le racisme?

Souvenez-vous, en octobre 2009, seules quelques villes comme Lausanne
refusent l’affiche raciste anti-minarets. Consultée, la
Commission fédérale contre le racisme estime que ces
exécutifs municipaux « se (conforment) à
l’obligation de non-discrimination inscrite à
l’article 8, alinéa 2 de la Constitution et à celle
de prévention figurant à l’article 2 de la
Convention internationale sur toutes les formes de discrimination
raciale ». Une série de municipalités se
sont alors indignées ; seul acte politique de résistance
d’un automne de votation qui s’est conclu, comme on le
sait, par l’adjonction d’un article raciste à la
constitution suisse. En 1893, la Suisse avait contribué à
l’essor européen de l’antisémitisme avec une
disposition constitutionnelle interdisant l’abattage rituel.
A nouveau, la voilà en tête du peloton. Dans
l’Europe entière, l’islamophobie progresse avec la
multiplication de lois contre la burqa. L’appétit vient en
mangeant !

Deux poids, deux mesures ?

En octobre 2009, la Ville de Genève estime
« qu’une interdiction [de l’affiche
anti-minarets] renforcerait davantage la position des initiants par la
publicité que cela leur offrirait et le rôle de victimes
qu’ils pourraient endosser ». Quelques semaines plus
tard, elle refuse pourtant la salle de l’Alhambra à
Dieudonné. Deux poids, deux mesures ? Ou l’erreur
n’est-elle pas de limiter la lutte contre le racisme au
légal et d’ignorer la mobilisation de la volonté
politique?

    Les 27 et 28 mai 2010, Dieudonné s’est
produit à la Cité universitaire de Genève. Avec
l’appui de la CICAD (Coordination intercommunautaire contre
l’antisémitisme et la diffamation), l’ADEIG
(Association des Etudiants Israélites de Genève) et la
SUJS (Swiss Union of Jewish Students) ont justement manifesté
devant la salle où cet agitateur raciste
« véhiculait son message écœurant et
haineux ».

    Ces organisations ont reproché à la
Cité Bleue de ne pas avoir empêché ce spectacle
comme l’avait fait en son temps la Ville de Genève. Au
même moment, le Tribunal administratif du canton du bout du lac
donne raison au recours contre cette décision du producteur des
spectacles de Dieudonné pour la Suisse romande, Djily Diagne ;
ce dernier disant « (comprendre) tout à fait que la
Ville tienne à lutter contre le racisme ».
Engagé (lui-même) dans ce combat, poursuit-il,
« il lui paraît impensable de le faire en sortant du
chemin de la légalité, cela serait contre-productif avec
le but recherché » (Le Courrier, 26 mai 2010).

Dieudonné, vrai antisémite

Nul n’est besoin d’insister ici sur le message
antisémite véhiculé par Dieudonné, dont on
trouve un florilège dans Le Dieudo Illu­stré, journal
rédigé par l’ADEIG en collaboration avec la SUJS et
l’appui de la CICAD, en mai 2010; quelques citations
suffisent : les juifs sont pour lui « Un peuple qui a
bradé l’Holocauste, qui a vendu la souffrance et la mort,
pour monter un pays et gagner de l’argent » (2002),
des « négriers reconvertis dans la banque, le
spectacle et l’action terroriste », qui auraient
« fondé des empires et des fortunes sur la traite
des noirs et l’esclavage » (2004).

    Depuis novembre 2006, Dieudonné entretient
des liens avec le Front national. Le 26 décembre 2008, devant
Jean-Marie Le Pen et 5000 spectateurs·trices, il invite sur la
scène du Zénith à Paris le négationniste
Robert Faurisson pour lui remettre « le prix de
l’infréquentabilité et de
l’insolence ». Depuis, le message n’a pas
changé. Le 16 avril 2010, Dieudonné affirme :
« Les gros escrocs de la planète sont tous des
juifs », et le 17, « Il faut être juif pour
avoir la liberté d’expression en France ».

Réactions identitaires

Raciste, Dieudonné n’est pas seulement antisémite.
Son communautarisme n’est pas animé par
l’émancipation de tous les
opprimé·e·s, mais par la manipulation victimaire
des souffrances réelles que le racisme inflige dans
l’Europe d’aujourd’hui.

    Le Pen utilise les mêmes accents victimaires.
En le fréquentant, Dieudonné ne fait pas de la
« provocation » comme certains le croient,
mais dit son appartenance à la galaxie identitaire.

    La lutte contre l’antisémitisme
reposait sur les valeurs universelles des droits de l’homme,
celles de la résistance à l’oppression et à
l’exploitation. Son axe s’est hélas
déplacé et l’affaiblissement de la gauche a
facilité cette dérive. L’alliance avec Israël
contre l’islam décrété antisémite
justifie l’alliance occidentale pour le contrôle du
pétrole oriental. L’invocation de la démocratie,
des droits de «la femme», de la lutte contre le terrorisme
justifie les guerres en Irak, en Afghanistan, en Palestine. Et, une
fois de plus, à Gaza où l’armée
israélienne vient de massacrer une flottille humanitaire qui
tentait de desserrer l’étau autour de ce ghetto.

    Lutter contre le racisme à coups des seuls
moyens légaux qu’offrent les procédures
pénales est voué à l’échec.
    Seules l’action, la volonté politique
permettront la relance de la lutte contre le racisme. Pour
l’émancipation de toutes et de tous, il faut vouloir
l’application universelle de l’ensemble des droits humains.

Karl Grünberg

ACOR SOS Racisme