Capitalisme: une crise sans issue ?

Capitalisme: une crise sans issue ?

Dans un éditorial d’avril
2009, j’avais cité les historiens économistes
Michael O’Rourke et Barry Eichengreen, qui pointaient les
similitudes entre la crise actuelle du capitalisme et celle des
années 30 (www.voxeu.org). Qu’en est-il aujourd’hui?

Pendant les neuf premiers mois de la Grande Dépression, de
juillet 1929 à avril 1930, la production industrielle mondiale
avait chuté de 10 %, contre 12,5 % de mai 2008
à février 2009 ; le commerce avait reculé de
5 %, contre 17,5 % ; quant aux indices boursiers, ils
avaient perdu 10%, contre 17,5 %. Le démarrage de la
crise s’annonçait donc plus brutal en 2008 qu’en
1929 (solidaritéS nº 146).

    Cependant, depuis le printemps 2009, la production
industrielle, mais aussi le commerce et la bourse (jusqu’à
fin avril 2010), ont amorcé une reprise partielle. En même
temps, les taux de chômage officiels demeurent extrêmement
élevés (de l’ordre de 10 % aux Etats-Unis et
dans la zone euro) et la demande privée est toujours
insuffisante pour prendre le relais des plans de relance massifs des
Etats. L’avenir reste donc sombre.

L’austérité avant tout

Dans ce contexte, l’OCDE préconise de réduire les
dépenses publiques, non seulement par
l’austérité (mise en cause des systèmes de
retraites, etc.), mais en supprimant les « mesures
exceptionnelles de soutien budgétaire » et les
« mesures fiscales d’aide à la
consommation » (Perspectives économiques nº
87, mai 2010). En effet, les investisseurs privés qui
détiennent l’essentiel de la dette publique entendent
prévenir le défaut de certains débiteurs
(Grèce, Espagne, etc.) et éviter une poussée
inflationniste.

    Willem Buiter, chef économiste de Citigroup,
l’explique ainsi : « En 2010, tous les Etats
industriels avancés d’une certaine taille auront
certainement adopté une politique de resserrement
budgétaire […] Les marchés vont le
demander » (bel euphémisme !). Celle-ci va
provoquer une compression de la demande supérieure aux
prévisions, laquelle aurait été de toute
façon imposée par la hausse des taux
d’intérêt sur la dette publique (c’est
déjà le cas en Europe du Sud, mais aussi en Angleterre)
et sur l’ensemble des marchés financiers (26 avril 2010,
zerohedge.com).

Entre le marteau et l’enclume

Le capital financier veut que les Etats réduisent leur
endettement. Mais pourquoi la tempête se lève-t-elle en
Europe ? Pas tant en raison des déficits de la
Grèce, de l’Espagne, etc., que de la faiblesse
institutionnelle de la zone euro (absence de fiscalité et de
budget communs), qui est l’expression de la fragilité
relative du projet politique intégré des bourgeoisies
européennes. Pour preuve, le déficit primaire de la
Grèce – abstraction faite du service de sa lourde dette,
dont les taux ne cessent d’être révisés
à la hausse – se monte à 6 % de son
PIB, contre 6,8 % au Royaume-Uni et 7,5 % aux Etats-Unis
(l’Allemagne, comme la Suisse, a un excédent primaire de
0,3 % !) (Fortune, 14 mai 2010).

    Pourtant, les politiques de rigueur annoncées
risquent d’étrangler une demande globale
déjà structurellement insuffisante. David Kern, chef
économiste de La Chambre du commerce britannique, estime ainsi
qu’un resserrement budgétaire allant au-delà des
mesures limitées annoncées par le chancelier conservateur
George Osborne (6 milliards de £), avant que la reprise ne soit
vraiment confirmée, pourrait précipiter une
récession « à double creux »
(rechute plus profonde après une reprise avortée) (The
Guardian, 30 mai 2010).

Vers une récession bis ?

Le 21 mai dernier sur CNBC (chaîne de TV financière US),
Nouriel Roubini, fameux pour avoir été l’un des
premiers économistes bourgeois à prévoir la crise
des subprimes, jugeait qu’un retour à la récession
se précisait pour l’Europe et le Japon, avec au mieux la
perspective d’une stagnation aux Etats-Unis et d’un
ralentissement de la croissance en Chine. Avec l’historien
économiste Stephen Mihm, il vient tout juste de publier un livre
au titre évocateur : Crisis Economics. A Crash Course in
the Future of Finance (Economie de la crise. Le cours accidenté
du futur de la finance).

    Stephen Mihm est un admirateur d’Hyman Minsky
(1919-1996), un économiste hétérodoxe formé
au contact de Schumpeter et de Leontief, fils de deux militants
socialistes juifs de Chicago, qui décrivait le capitalisme comme
un système instable, dont la finance permettait de
différer les crises en les rendant plus catastrophiques. Face
aux risques de dépression, il voulait certes que la Banque
centrale soit le prêteur de dernier ressort, mais surtout que
l’Etat devienne l’employeur de dernier ressort (programme
de plein emploi). Cette seconde exigence n’est évidemment
jamais rappelée aujourd’hui.

Changer de système

Comme système, le capitalisme est prisonnier d’une tension
insoluble entre la nécessité de garantir à la fois
des taux de profit suffisants et des débouchés solvables
pour les biens et services produits. Si les Trente Glorieuses
(1945-1974) ont permis l’expansion des marchés grâce
à la hausse des salaires réels et des investissements
productifs, cela a fini par provoquer une détérioration
des marges de profits. Au contraire, le modèle
néolibéral a suscité une hausse des profits par la
compression des salaires, mais en vendant de plus en plus à
crédit et en détournant une part croissante des
investissements vers des activités spéculatives.

    Hyman Minsky, qui défendait une vision
« tragique » (sans alternative) du
capitalisme, ne concevait pas de solution durable à une telle
contradiction, hormis la gestion politique acrobatique des
déséquilibres : un constat amplement
confirmé par l’histoire de ces deux derniers
siècles. Aujourd’hui, les coûts sociaux et
écologiques d’une telle impasse menacent la civilisation
humaine. C’est pourquoi, il est urgent de passer d’une
production généralisée de marchandises à
une production de biens et services socialement utiles,
décidée démocratiquement, dans le respect des
équilibres naturels. Il n’y a pas
d’alternative : il faut sortir du capitalisme !


Jean Batou