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N° 169 (03/06/2010). A la une: Université de printemps: ce n'est qu'un début!
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Monde du travail
Commerce de détail: profits et exploitation
Dans quelques semaines, la majorité bourgeoise du Grand Conseil genevois votera une extension des heures d’ouverture des commerces pour répondre au désir de la grande distribution. Afin de préparer la lutte, il est urgent de démêler les mécanismes capitalistes en œuvre dans la réorganisation du commerce de détail.
Pour comprendre les logiques et intérêts capitalistes qui poussent actuellement à la libéralisation en continu des horaires des commerces, il faut se pencher sur l’évolution de ce secteur au cours des dernières décennies. En effet, qu’il s’agisse de l’exploitation intensive d’ouvrier·e·s agricoles hyper précarisés, de la mise sous pression de la petite paysannerie et de fournisseurs industriels, ou d’opérations de rationalisation du travail du personnel de la vente les mêmes intérêts sont en œuvre.
La réalité du commerce de détail n’a plus rien à voir avec celle d’il y a 50 ans. La réorganisation capitaliste de la branche, via des opérations de concentrations d’entreprises individuelles et isolées en passant par des rachats pour donner naissance à des géants de la distribution, est impressionnante.
Un monde réorganisé par le capitalisme
Aujourd’hui, la plus grande entreprise au monde n’est autre que Wal Mart avec près de 2,1 millions d’employé·e·s et un chiffre d’affaire de 450 milliards de francs. Carrefour, autre géant mondial de la grande distribution, n’est pas en reste avec quelques 500 000 employé·e·s et un chiffre d’affaire de 86 milliards de francs. En 50 ans, les entreprises de la grande distribution se sont concentrées sur des échelles nationales de telle sorte qu’elles figurent parmi les plus grands employeurs de la plupart des pays. C’est bien sûr le cas de Wal Mart pour les Etats-Unis et de Carrefour pour la France, mais c’est aussi celui de Migros pour la Suisse (avec 83 000 employé·e·s).Cependant si, jusqu’à présent, les stratégies de développement de la grande distribution ont touché essentiellement les aires géographiques nationales par le biais de fusion ou de rachat (comme dernièrement le rachat de Denner par Migros ou celui de Fust par COOP), depuis un peu plus d’une décennie, elles tendent vers une transnationalisation des activités de la grande distribution. Cette transnationalisation a évidemment commencé bien plus tôt s’agissant du recours toujours plus fréquent à des fournisseurs provenant de pays aux législations sociales lacunaires (Wal Mart s’est développé aux Etats-Unis avec des produits low cost fabriqués notamment en Chine, alors que les autres chaînes continuaient à se fournir sur le marché local ; dans les magasins Migros de Genève, 80 % des fruits sont importés ; la boucherie Bell – du groupe COOP – a ses propres usines de production en Hongrie). Aujourd’hui, la volonté de développer les réseaux de vente au-delà des frontières est plus que jamais au centre de l’agenda économique de la grande distribution.
Des profits colossaux
Au vu de ces phénomènes internationaux de concentration, il n’est guère étonnant que les patrons ou les détenteurs de ces groupes figurent parmi les personnes les plus riches de la planète. La famille Albrecht, qui contrôle Aldi, se partage 45 milliards de francs suisse, quant au patron de Zara, il possède la plus grande fortune d’Espagne avec 28,5 milliards de francs. La grande distribution suisse n’est pas en reste dans l’accaparement des richesses avec les 2-3 milliards de fortunes des familles Maus et Nordmann (Manor), le milliard de la famille Gaydoul (Denner) ou les 800 millions de la famille Baud (PAM) sans oublier les 100 à 200 millions de la famille Brunschwig (Bon Génie).Au-delà de leur forme coopérative particulière, les deux géants suisses de la grande distribution, COOP et Migros, ont aussi rigoureusement adapté leur fonctionnement au marché capitaliste. En témoigne l’accumulation des bénéfices de ces dernières années : un bénéfice cumulé de 2,3 milliards de francs pour COOP de 2003 à 2009 et de 4,8 milliards pour Migros pour la même période.
Intensification du travail et précariat
Les richesses accumulées par ces familles l’ont bien évidemment aussi été sur le dos du personnel. A Genève, le salaire médian des vendeuses et vendeurs progresse moins vite que l’indice des prix à la consommation de 2000 à 2008. Au niveau national, l’évolution est tout juste supérieure alors que la productivité horaire du personnel a augmenté de 2,4 % par an durant la même période (contre 0,8 % pour le reste de l’économie).L’intensification du travail est particulièrement visible chez COOP, qui a eu recours ces dix dernières années à un emploi massif de personnel payé à l’heure. Dans la présentation des résultats de 2009, le PDG de COOP se vantait du fait que la productivité horaire du personnel ait crû de 37 % depuis 2003 : « Ces chiffres reflètent la mise en oeuvre d’un vaste arsenal de mesures de rationalisation. »
Sous couvert d’augmenter le confort des consommateurs, une extension des heures d’ouverture des commerces ne fera qu’augmenter le chiffre d’affaire de ces groupes et la fortune de leur détenteur. Le tout au détriment des salarié·e·s du secteur. Nous avons affaire au même mécanisme de recours au consommateur·trice que pour la vente de produits industriels bas de gamme. Sous couvert d’offrir aux couches populaires les joies du consumérisme, la nourriture et les produits bas de gamme ne font que remplir les poches de milliardaire. On est loin d’une stratégie Win-Win…
Une opposition à l’extension des heures d’ouverture des commerces peut au contraire se concevoir comme une remise en cause du système de grande distribution privée qui s’est mis en place ces dernières décennies. Affaire à suivre.
Joël Varone
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