Le Conseil d’Etat s’engage en faveur d’une « fiscalité attractive pour les entreprises »

Le Conseil d’Etat s’engage en faveur d’une
« fiscalité attractive pour les
entreprises »

Le Conseil d’Etat propose, dans
un projet de loi qui sera prochainement soumis au Grand Conseil, une
baisse massive de l’imposition du capital, qui s’inscrit
parfaitement dans la tendance mondiale néo-libérale
où chacun tente d’attirer ou de retenir les entreprises
qui délocalisent sièges et production pour
« optimiser » leur rentabilité.

Mais que signifie « fiscalité
attractive » en langage néo-libéral? La
réforme se résume à quatre mesures :

  • réduire de moitié l’impôt sur le
    bénéfice des entreprises, de 10 à 5 %,
    d’ici 2016
  • réduire l’impôt sur les sociétés
    holdings de 0, 5 pour mille à 0, 005 pour mille (cent fois moins)
  • l’impôt sur le capital pourra être contourné
  • réduction de l’imposition des dividendes
    perçues par les actionnaires détenant plus de 10 %
    du capital de l’entreprise

Comment en est-on arrivé là, dans un canton où la
gauche est majoritaire au Grand Conseil et où l’homme fort
du gouvernement, ministre des finances et concepteur-défenseur
du projet, est le socialiste Jean Studer ? Depuis les
années 70, le canton de Neuchâtel, sous l’impulsion
du Parti socialiste, a introduit une politique de
« promotion de l’économie » dont
le point fort a été l’exonération fiscale
des entreprises. Inégalités de traitements insoutenables,
pressions internationales et péréquation
financière fédérale ont peu à peu rendu la
poursuite de cette voie impossible.

    ATTAC, les syndicats (USCN, UNIA, SSP), mais aussi
les groupes PopVertsSol et  PS du Grand Conseil ont, au cours des
dernières années, déposé une série
de propositions pour une équité fiscale, sous la forme de
motions et d’initiatives populaires (toutes mises en veilleuse
par le Conseil d’Etat, dans l’attente de sa proposition de
réforme). Qu’en a retenu le Conseil d’Etat ?
Rien.

Eldorado…

Sa proposition s’inscrit dans un contexte international de baisse
de l’imposition du capital, vecteur fondamental du creusement des
inégalités observées partout. Suivant la voie de
la Suisse qui modifie régulièrement sa législation
en faveur du capital, le canton de Neuchâtel cherche à se
positionner comme un paradis fiscal pour entreprises. Ainsi que le
relève Bilan (24.10.2007), « La Suisse se profile
depuis plusieurs années comme un véritable eldorado pour
multinationales. Colgate Palmolive, Polo Ralph Lauren, Kraft Foods,
General Motors, Google, eBay, Hewlett-Packard, John Deere… La liste
s’allonge sur plusieurs pages. Des entreprises, pour la plupart
américaines, qui ont quitté Londres ou Paris pour
installer leurs quartiers généraux à Zurich ou
à Genève. Celles qui étaient déjà
sur place depuis longtemps, comme Philip Morris ou Procter &
Gamble, ont transféré de nouvelles activités
depuis leur siège américain ». Le Conseil
d’Etat neuchâtelois, en suivant une même politique,
emboîte gaillardement le pas de ceux qui ne craignent pas de
creuser les inégalités sociales.

… au profit des patrons.

Quand on parle d’entreprises, n’oublions pas qu’il y
a toujours finalement des personnes pour encaisser dividendes et
valorisation des actions.Que ce soit celles d’un patron
propriétaire ou d’un actionnaire, baisser les impôts
des entreprises, c’est toujours, en définitive, remplir
les poches des possédants. La direction des entreprises se
servira au passage, mais nous n’avons encore jamais vu un patron
déclarer à ses employés :
« nos impôts ont baissé, nous allons partager
équitablement ce cadeau que nous font les
contribuables ». Dans le canton de Neuchâtel, comme
partout ailleurs, les bénéfices sont
réalisés surtout par les grandes entreprises; c’est
elles qui payent l’essentiel des impôts des personnes
morales : dans le canton de Neuchâtel 
« 92,11 % (5747) des entreprises paient
3,42 % de l’impôt, soit en moyenne 559 francs par
entreprise, alors qu’à l’autre
extrémité, 4 % (253) des personnes morales
assument 92 % de l’impôt, soit en moyenne plus de
342 000 francs par entreprise » (Rapport du Conseil
d’Etat 26.4.2010). Ce sont ces grandes entreprises qui
bénéficieront en premier lieu du projet du Conseil
d’Etat.

Il est temps de changer, mais pas dans la direction indiquée par le Conseil d’Etat

Depuis trente ans, quelle que soit leur couleur politique, les
gouvernements dans le monde dit riche ont tous abaissé la
fiscalité du capital. La crise ne fait
qu’accélérer ce phénomène.
C’est une politique suicidaire, mais chacun espère que
c’est son voisin qui plongera le premier. Pour mieux faire passer
la pilule, le Conseil d’Etat prétend qu’en divisant
l’impôt sur le capital par deux, il augmentera les
rentrées fiscales puisque, argumente-t-il, avec la nouvelle loi,
tout le monde payera. Affirmation hautement discutable, mais qui met
bien en évidence le rôle de Cheval de Troie qu’ont
joué les exonérations fiscales pour aboutir à une
baisse d’impôt pour tous les patrons.

    Une chose est certaine : si le projet du
Conseil d’Etat passe, Neuchâtel va se profiler comme un des
cantons avec la plus basse imposition des personnes morales de Suisse,
en compagnie de Zoug et Schwytz (qui, parions-le, ne resteront pas sans
réagir, à la baisse bien sûr). Le canton pousse le
feu de la concurrence fiscale en faveur des plus riches. Qui se frotte
les mains ?

    Le Parti socialiste suisse a déposé en
2007 une initiative fédérale s’intitulant
« Stop aux abus de la concurrence fiscale »
qui vise à empêcher la baisse de l’imposition des
personnes physiques les plus riches dans les cantons. Ce qui est
valable pour les personnes physiques ne l’est-il pas pour les
personnes morales? La Suisse participe pleinement à cette course
au moins d’impôts pour les possédants; le canton de
Neuchâtel y apporte sa contribution. Nous ne buvons pas de cette
eau-là et appelons toute la gauche à s’unir
contre ce projet inique du Conseil d’Etat. 

Marianne Ebel