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N° 168 (20/05/2010). A la une: Les banques siphonnent le budget des états
p. 10
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Monde du travail
Mots et maux d’apprenti·e·s en rupture
Près de deux tiers des jeunes Suisses optent pour une formation professionnelle de type dual (combinant entreprise et école professionnelle) au sortir de l’école obligatoire. Néanmoins, tous ne l’achèvent pas.
Les décrochages qui surviennent au cours de la période de formation ont fait l’objet d’une étude universitaire qualitative réalisée entre 2006 et 2009 auprès de jeunes ayant arrêtés leur formation dans le canton de Vaud. Les auteurs de cette dernière brossent le tableau d’un système de formation, largement soumis aux exigences du marché de l’emploi, qui présente des faiblesses.
L’évolution de la formation professionnelle liée à celle du marché du travail
La formation professionnelle a connu au cours des dernières décennies des mutations profondes tant structurelles que conjoncturelles, semblables à celles qui touchent la situation du marché du travail. La tertiarisation massive, les innovations technologiques ou encore les nouvelles formes managériales de gestion sont notamment à la base de ces transformations qui ont reconfiguré l’apprentissage. En outre, « de nouvelles professions issues du regroupement des professions existantes, elles aussi plus exigeantes, ont remplacé certains métiers traditionnels. Elles répondent aux besoins de polyvalence et de flexibilité d’une économie ayant choisi de nouveaux modes de production. »Par ailleurs, la quête d’une place d’apprentissage s’apparente dans de nombreux cas à un réel parcours du combattant, qui est souvent l’occasion d’une première expérience du chômage, et du recours à des structures de transition, avec tout ce que cela entraîne en termes de précarisation et de découragement, à une période charnière. Fin 2005, plus de 22 500 jeunes étaient ainsi en recherche d’une place d’apprentissage.
Une construction identitaire fragilisée
L’entrée dans la vie active représente un passage important, censé mener à une plus grande autonomie. Dans le cas des apprentissages, cette transition intervient tôt dans le processus de construction, et joue un rôle clé, dans la mesure où elle voit converger différents processus de formations identitaires, « celui du professionnel, du métier et de l’apprenti·e », et que les jeunes évoluent alors dans deux mondes différents, celui de l’école et celui de l’entreprise. En ce sens, le décrochage représente une double rupture du contrat, alors même que les raisons invoquées ne concernent souvent qu’une des deux sphères impliquées.Ces différents enjeux interviennent souvent en fin d’adolescence, lieu de cristallisation de l’identité individuelle. Et une rupture peut intervenir dans ce processus comme un événement dont les répercussions psychiques sont importantes.
Des nouvelles formes de pression
Les auteurs de cette étude ont été confrontés aux diverses formes de souffrances évoquées par les apprentis en décrochage, qu’elles soient physiques, mentales ou éthiques, alors même que ceux ci amorcent leur parcours dans la vie active. « Ces nouvelles formes sont à mettre en étroite relation avec les nouvelles normes et contraintes de production, qui mettent de plus en plus les salarié·es sous pression, augmentant ainsi le stress, les risques d’accident, mais également l’épuisement professionnel. De plus, dans un tel contexte, de nouvelles pratiques de management (telle l’évaluation individualisée) accroissent les risques de dérapages, tel le harcèlement moral ou mobbing. »À cela s’ajoute le statut singulier du jeune en formation, souvent isolé du reste de l’équipe et sans accès aux moyens de défense collectifs. À ce titre, les auteurs observent que « les solidarités et les stratégies collectives ont été affaiblies par les nouvelles normes de travail et de management, les personnes ont peur, souffrent et ce d’autant plus qu’elles sont isolées. »
Les raisons du décrochage
Les raisons invoquées par les jeunes au cours de cette étude sont de différents ordres et peuvent concerner « des problèmes rencontrés au niveau des interactions et des relations au travail, des difficultés liées à l’apprentissage du métier, des difficultés dans la transition entre école obligatoire et formation professionnelle, des problèmes rattachés au monde du travail et des raisons motivées par des contingences externes ». Les mauvaises conditions de travail et les souffrances qui en découlent font partie des raisons citées par les jeunes.Ces derniers, lors de l’arrêt de l’apprentissage considèrent celui-ci comme un soulagement ou comme un échec. Si les projets à courts et moyens termes sont régulièrement formulés, il semble qu’il leur est difficile de se projeter à long terme dans une nouvelle activité professionnelle. La tendance peut alors être de se diriger vers des activités ponctuelles, mais non qualifiantes.
Quelles améliorations ?
Si la rupture d’un contrat d’apprentissage est le fait de facteurs multiples, psychologiques, familiaux, individuels, sociaux, économiques, il convient de souligner que ces décrochages sont symptomatiques d’un durcissement du marché du travail, qui placent les salariés, même les plus jeunes, en proie à des angoisses inédites et des formes de souffrance qui, si elles ne sont pas complètement nouvelles, semblent aujourd’hui exacerbées. Or, si les difficultés mises en lumières par cette étude favorisent la marginalisation, le découragement et l’absence de toute sécurité chez les jeunes dès leur entrée dans la vie professionnelle, cela est un signe alarmant.Aussi est-il nécessaire de renforcer la collectivisation des expériences l’encadrement et le suivi des jeunes en formation, le système de bourses pour les apprentis ainsi qu’un aménagement des conditions de travail et de formation. Enfin, il s’agit de lutter activement contre l’existence de toute forme de souffrance au travail : à cet égard, le renforcement de la présence syndicale sur les lieux d’apprentissage apparaît décisive.
Maïla Kocher
Nadia Lamamra, Jonas Masdonati, « Arrêter une formation professionnelle, mots et maux d’apprenti·e·s », Lausanne, Editions Antipodes, 2009, 311 p.
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