La bulle universitaire

La bulle universitaire

Italien d’origine, Libero Zuppiroli rêve. Et quand il
rêve, c’est à Bologne. Non pas à la ville des
accords dont il explique crûment que « le vrai but
de cette opération universitaire est à terme la baisse du
salaire des diplômés » ; mais bien la
cité où naquit, en 1230, la deuxième
université du monde après Paris. Une université
autonome, gratuite, aux structures démocratiques.

    Mais ce rêveur est aussi un critique
drôle et acerbe du Swiss Institute of Technology, comprenez de
l’EPFL et de son Président (la majuscule est de rigueur).
Ingénieur et physicien, professeur de sciences des
matériaux et de mécanique quantique dans cette
école, il en dénonce l’américanisation et sa
soumission croissante aux impératifs des grandes entreprises. De
brefs chapitres permettent de portraiturer le star-system de la
recherche et ses faux-semblants, comme le célèbre
ranking, classement mondial des universités. Le Times en publie
un où « une bonne université
d’après le classement QS est un établissement
où l’on trouve beaucoup de personnes parlant
l’américain, où l’on appointe beaucoup de
professeurs pour peu d’étudiants et où l’on
fait de la bonne recherche à la mode, et surtout de la bonne
publicité propre à attirer l’attention des experts
universitaires et industriels. » Dans celui de
Shanghaï, dont on dit qu’il sert de baromètre
à Sarkozy, « on sélectionne ainsi les
universités d’après l’argent dont elles
disposent et la visibilité internationale de ses chercheurs.
Aucune référence n’est faite à
l’enseignement ». Le résultat est on ne peut
plus convaincant. Si l’on prend le secteur
ingénierie/technologie de l’information, le classement de
Shanghaï place, en 2009, l’EPFL au 15e rang et l’EPFZ
au 41e ; même domaine, même année, mais
d’après le classement QS : l’EPFL
rétrograde à la 44e place et l’EPFZ bondit à
la 10e. Le ranking est une science au doigt mouillé…

    Pour ceux et celles q’intéresse le
délire scientifico-technique de maîtrise complète
du monde et de l’humanité au service du rendement
économique, nous recommandons la lecture des extraits du rapport
de la National Science Foundation des Etats-Unis, publié en 2002
et intitulé « Nanotechnologies, biotechnologies,
technologies de l’information et sciences cognitives, des
technologies convergentes pour améliorer les performances
humaines ». On en reste littéralement
sidéré.

    Humaniste, soucieux de démocratie et
d’égalité sociale, Libero Zuppiroli a écrit
là un ouvrage au format de poche, plaisant à lire, qui
cherche à tendre vers « une école qui
émancipe plutôt que vers une école qui
asservit. » 

Daniel Süri

Libero Zuppiroli, La bulle universitaire. Faut-il poursuivre le rêve américain ? Lausanne, Editions
d’En bas, 2010, 156 p.