Colombie : entretien avec la sénatrice Piedad Córdoba « La nécessité d’une solution politique négociée »

Colombie : entretien avec la sénatrice Piedad
Córdoba « La nécessité d’une
solution politique négociée »



Bien que détenant le record
mondial des meurtres de syndicalistes, la Colombie ne fait pas la une
des médias à ce titre. Présente à
Genève début avril, la sénatrice libérale
Piedad Córdoba a présenté la situation de son pays
et ses propositions pour une solution politique à un conflit
armé vieux de 60 ans. Mais le gouvernement
« paramilitaire » d’Álvaro Uribe
vient de faire ouvrir une procédure pénale contre Piedad
Córdoba1, dont nous publions les propos ci-dessous.

Quel est l’objectif principal de votre tournée en Europe ?

Faire reconnaître par la communauté internationale
l’existence d’un conflit armé en Colombie. Mais de
nombreux pays restent aveuglés par leur intérêt
économique ou ceux des multinationales.

    Nous venons présenter le thème des
droits humains, parler de la grave crise humanitaire actuelle et
souligner la nécessité d’une solution politique
négociée.

    Nous voulons aussi rendre public le travail
réalisé par les « Colombiens et Colombiennes
pour la paix » pour un échange humanitaire de
prisonniers et constituer un groupe « Européens
pour la paix en Colombie ».

    Enfin, nous avons créé avec
l’ex-président Ernesto Samper une
« Coordination pour l’échange
humanitaire », pour inciter la communauté
internationale à appuyer la négociation, alors que le
président Uribe bloquer l’échange des prisonniers.

Des porte-parole du gouvernement affirment qu’ils sont en faveur des négociations…

C’est un discours pour la galerie, qui ne correspond pas à
la réalité. Depuis deux ans, les Forces armées
révolutionnaires de Colombie (FARC) proposent
l’échange des prisonniers. La dernière
libération unilatérale aurait pu avoir lieu un an plus
tôt : ce retard incombe au gouvernement, qui
préfère une solution militaire.

Le président Uribe estime que sa ligne de
« sécurité
démocratique » est un succès
évident.

Il prend comme exemples l’« opération
Jacque » [libération d’Ingrid Betancour, juin
2009] ou l’incursion de l’armée colombienne en
Equateur [liquidation de Raul Reyes, dirigeant des FARC].

    Mais avec 5 millions de réfugiés, 5000
« faux positifs » [civils assassinés
par l’armée, et présentés comme des
guérilleros morts au combat], 200’000 disparus en 10 ans,
nous pouvons conclure à l’échec total d’une
politique sécuritaire (10 % du budget national).

Donc, un bilan négatif ?

Uribe enjolive la politique de guerre préventive (conçue
aux USA), qui favorise surtout certains intérêts
militaires et économiques.
    Le gouvernement dénonce les opposants comme
« terroristes ». C’est mon cas, bien
que membre d’un parti politique légal. Je n’ai
jamais pris les armes, ni appartenu à une organisation
armée.

Autres aspects de la crise humanitaire : la découverte
d’une fosse commune de 2000 personnes à Macarena;
l’indécence des conditions de détention et la
torture. Des chefs paramilitaires ont avoué l’existence de
fours crématoires, où leurs groupes brûlaient les
corps de leurs adversaires politiques. Enfin, il faut parler de la
situation sociale.

Que voulez-vous dire ?

Uribe Vélez laisse 18 millions de pauvres, 8 millions
d’indigents, un taux officiel de chômage de 16 %.

La libération unilatérale effectuée fin mars
par les FARC améliore-t-elle les chances d’échanges
humanitaires avant la fin du mandat de Uribe (août 2010) ?

Difficile à dire. Dans une guerre, l’échange de
prisonniers est un principe important. Les guérilleros
libérés ne doivent pas réintégrer la lutte
armée, une question discutée avec les FARC et la
société colombienne. Mais ni les FARC ni
nous-mêmes, comme médiateurs, n’allons travailler
sur d’autres propositions de libérations
unilatérales.
Il vaudrait mieux progresser sur ce thème important avant la fin
du mandat présidentiel. Le renvoyer après les
élections, alors que les candidats en présence ne veulent
pas aborder la thématique du conflit, équivaut à
faire traîner les choses.

Que pensez-vous des dernières élections législatives ?

J’ai été réélue, à ma grande
surprise, vu la campagne de dénigrement menée contre moi.
Mais avec tant d’irrégularités, de corruption, de
votes achetés, je voudrais que ces élections soient
refaites.

Votre avis sur les prochaines élections ?

Il n’y a pas grand espoir de changement : le candidat le
mieux placé est l’ex-ministre de la Défense. Or,
José Manuel Santos est responsable de la politique des
« faux positifs » et de nombreuses violations
des droits humains. Si cette tendance se confirme, cette politique de
« sécurité
démocratique », qui a pourtant
échoué, continuera.

Qu’attendez-vous concrètement de la communauté internationale ?

Nous ne voulons pas la charité, mais une aide pour une solution
négociée. L’engagement, la responsabilité et
la solidarité avec un pays qui vit une guerre cruelle. La
communauté internationale doit comprendre que la Colombie est le
fer de lance pour déstabiliser les autres pays de la
région et qu’il faut éviter un conflit
régional. Trois points essentiels : s’engager pour
résoudre la crise humanitaire; comprendre que le paramilitarisme
reste une réalité politique; faire cesser les assassinats
extrajudiciaires et les persécutions contre les
défenseurs des droits humains et les dirigeants des mouvements
sociaux et s’occuper de la situation concrète de tous les
prisonniers.

Propos recueillis par Sergio Ferrari et traduits par Hans-Peter Renk.


1. On peut signer un appel en solidarité avec Piedad Córdoba sur le site : http://ruedadeprensa.ning.com/profiles/blogs/invitacion-a-firmar-importante