Le mythe d’Orphée revisité dans un opéra folk déroutant

Le mythe d’Orphée revisité dans un opéra folk déroutant

Anaïs Mitchell est une jeune artiste attachante. Le 26 octobre
2008, à la Cigale à Paris, elle est apparue sur
scène après Hamell on Trial et avant Ani DiFranco pour un
court moment suspendu hors du temps. Une vague de douceur et une
troublante fragilité ont su capter et saisir
instantanément une salle préalablement chauffée
par un Hamell rugueux et particulièrement délirant ce
soir-là. Du haut de ses 26 ans, Anaïs (prononcez
Ah-NAY-iss) en imposait dans un registre folk dépouillé.

C’est dans un univers improbable, fait de littérature et
de musiques semblant sorties tout droit de l’âge beatnik
dans une ferme isolée qu’Anaïs Mitchell a grandi et
ensuite commencé à écrire et composer ses
chansons. Difficile dès lors de définir sa musique et ses
textes, dans lesquels on peut tout autant trouver des influences de la
famille Carter que de Randy Newman, mais aussi déceler quelque
chose qui fait furieusement penser à l’écrivaine
Anaïs Nin et ressentir cette atmosphère typique des
pièces de Brecht.

Dans la grande famille du folk, son second album The Brightness
(Righteousbabe records, 2007), enregistré dans une vielle
minoterie de l’Etat du Vermont avait à
l’époque fait sensation, confirmant les espoirs
suscités par Hymns for the Exiled en 2004. Le 9 mars 2010,
Anaïs revient avec un album aussi original
qu’étonnant : Hadestown, un opéra folk
revisitant la sombre légende de la mythologie grèque
d’Orphée, qui a déjà inspiré un grand
nombre d’œuvres, dont celles de Haydn, Liszt, Stravinsky ou
encore Pierre Henry.

Rejoindre le monde des vivants

Dans les mains d’Anaïs Mitchell, la légende
d’Orphée est une critique aussi puissante que
poétique de la société américaine actuelle,
où les gens se cachent derrière les murs d’une
forteresse souterraine, Hadestown sur laquelle règne le dieu
Hadès, pour tenter de préserver leur
« liberté » et leurs richesses.
Eurydice, désespérée par la pauvreté qui
règne à la surface de la terre et séduite par
Hadès, rejoint Hadestown et ne tarde pas à se lamenter de
sa décision. Orphée, parti à la recherche de sa
femme, parvient par ses chants enchanteurs à ouvrir une
brèche dans cette société souterraine, où
un soulèvement commence, et dans le cœur de Hadès,
qui accepte qu’Orphée reparte avec Eurydice, à
condition qu’elle le suive sans qu’il ne se retourne avant
d’avoir quitté l’enfer et rejoint le monde des
vivants.

Entourée de nombreux amis, notamment Ani DiFranco, Greg Brown et
Justin Vernon, Anaïs Mitchell nous livre un chef
d’œuvre surprenant qui sort des sentiers battus. Un
opéra folk critique et poétique, percutant et
séduisant. Hadès n’a qu’à bien se
tenir.


Erik Grobet

Anaïs Mitchell, Hadestown, Righteousbabe records, 2010