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N° 164 (05/03/2010). A la une: Ils ciblent l'IVG et l'assurance maladie. Passons à la contre-offensive!
p. 18
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Culture
Bach rencontre Buxtehude, le dernier film de Daniel Kunzi
Le dernier film de Daniel Kunzi, « Bach rencontre Buxtehude », sort en salle en Suisse romande au moment où nous mettons sous presse. Un événement à ne pas rater ! Nous avons demandé à l’auteur de nous en dire un peu plus…
– Peux-tu nous présenter le scénario de ton dernier film : « Bach rencontre Buxtehude » ? Si tout le monde connaît Jean-Sébastien Bach, qui était Dietrich Buxtehude ?
Buxtehude (1637 ?-1707) était l’un des plus grands musiciens de l’Europe du 17e siècle. Il a écrit une quantité de compositions de tous genres. Hélas, une part importante de son œuvre a été perdue, car seules quelques pièces furent éditées. Cependant, tout au long des trois siècles qui nous séparent de lui, les organistes ont toujours inscrit ses œuvres à leur répertoire.– Quelle est d’après toi l’importance de la rencontre de Lübeck (1705) entre le jeune Bach et le vieux Buxtehude, pour l’avenir de la musique allemande et européenne ? Quelle métamorphose a-t-elle opéré chez Bach ?
Décisive ! Bach, né en 1685 à Arnstadt, dans le sud de l’Allemagne, était orphelin de père et mère. Sa formation musicale a été abrégée, parce qu’il a du gagner sa vie très vite. A vingt ans, il entreprit un voyage pour Lübeck afin d’étudier avec Buxtehude. Il avait demandé un congé d’un mois au consistoire… mais à lui seul, ce voyage de 450 km à pied lui prit deux semaines. Il resta donc trois fois plus longtemps que prévu… A son retour, les paroissiens ne le reconnaissaient plus; ils étaient effrayés de l’entendre jouer des « sons étranges » à l’orgue et estimaient qu’il préludait trop longuement ! Je prétends que Bach a été influencé à tel point par son vieux maître, qu’il n’a pu se mettre au diapason des courants musicaux du 18e siècle : les opéras, les concertos, etc.– Comment Daniel Kunzi a-t-il rencontré Francesco Tristano Schlimé, le formidable virtuose de 29 ans qui interprète Bach dans ton film ? Quels sont les apports de Marthe Keller et de Julie Nicolet ?
Si j’ai entrepris de produire ce film, c’est que Buxtehude est fascinant. Surtout, il n’avait jamais été interprété au piano : une lacune inexplicable ! Pendant des années, j’ai cherché un musicien capable de restituer de manière vivante cette musique sublime. Je l’ai trouvé avec Schlimé. Il compose, joue des concertos avec de grands orchestres symphoniques… son interprétation de l’œuvre de Luciano Berio est mondialement connue, etc. Il est actuellement en tournée au Japon, où il interprète du jazz, improvise, etc. Par ailleurs, le film avait besoin d’une comédienne avec un léger accent pour conter l’histoire de cette rencontre : comme Marthe Keller partage avec moi une passion pour la musique, la chose était entendue. Julie Nicolet joue le rôle d’une des filles de Buxtehude et donne vie à la rencontre en découvrant un manuscrit fictif...– Pourquoi t’es-tu aventuré sur ce terrain assez déroutant par rapport à tes autres créations ?
Mon deuxième film, Une violoniste genevoise déportée en Sibérie, Yvonne Bovard, était irrigué de musique ! Un art qui ne me quitte jamais. Mes documentaires témoignent d’un passé occulté ou des luttes présentes. Ce film cherche à restituer une musique parmi les plus belles que l’on ait jamais composée. Et comme le soulignait Léon Trotski dans Littérature et révolution : « L’homme exprime dans l’art l’exigence de l’harmonie et de la plénitude de l’existence - c’est-à-dire les biens les plus précieux dont la société de classe le prive. C’est pourquoi tout œuvre d’art authentique porte toujours en elle une protestation contre la réalité, protestation consciente ou inconsciente, passive ou active, optimiste ou pessimiste ».– Tu as dû résoudre des problèmes matériels considérables pour réaliser ce film ? Comment t’y es-tu pris ?
Evidemment, faire un film pour restituer des œuvres d’un compositeur méconnu, bien que les spécialistes ne l’ignorent pas, est un projet qui n’intéresse pas les « décideurs ». Toutes les TV sont obsédées par l’audimat : Buxtehude joué par un jeune artiste au piano, pas question ! J’ai pu mesurer à quel point le conservatisme et l’ignorance tiennent les cordons de la bourse (Ville de Genève, Office fédéral de la culture, etc.). Il y a trente ans, le grand musicien Nikolaus Harnoncourt relevait déjà ce conservatisme : le public des concerts classiques ressemble à de grands enfants qui veulent toujours entendre la même chose, chaque spectacle, ou presque, comportera son Beethoven, Mozart, etc. J’ajoute que l’interprète devra être archi-reconnu! Ainsi, aucun risque commercial n’est encouru. Les TV font évidemment de même…– Quels enseignements en tires-tu sur les conditions de l’aide publique à la création indépendante à Genève et en Suisse ?
La censure pointe son nez. On apprend ainsi que des parlementaires critiquent Pro Helvetia parce qu’elle aide à financer une exposition qui leur déplaît en Autriche… Le Conseil national lui avait déjà supprimé un million pour son soutien à Hirschhorn à Paris. Mes films sont ainsi souvent rejetés par les commissions de sélection, une censure déguisée. Il ne me reste que le marché du film… Qu’on le veuille ou non, on a une culture d’Etat. Les artistes sont obligés de passer sous ses fourches caudines (beaucoup partagent sa vision du monde et ne s’en rendent pas compte). Un Conseiller fédéral à Berne ou un magistrat à Genève nomme ses évaluateurs... Pour abolir le statut d’artiste-courtisan, il faut séparer la culture de l’Etat. A Arnstadt, le salaire de Bach était versé en partie par l’Eglise, mais aussi et en partie par une taxe perçue sur la bière. Ne pourrait-on pas imaginer aujourd’hui, qu’une fraction de la taxe sur les alcools soit gérée directement par les artistes ? Ils gagneraient en liberté et le public en sortirait vivifié.* Propos recueillis par Jean Batou
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