La Marche mondiale des femmes 2010

La Marche mondiale des femmes 2010

Afin de donner un aperçu des
principale actions locales, régionales et internationales
auxquelles appelle la Marche mondiale des femmes en 2010, dix ans
après le lancement du mouvement, Marianne Ebel s’est
entretenue avec Michèle Spieler, militante féministe
argovienne, membre de la coordination suisse et du comité
international de la MMF.

– Concrètement, comment cette marche va-t-elle se
dérouler ? Combien de pays se trouvent-ils
impliqués ?

MS : La troisième
action internationale de la Marche mondiale des femmes (MMF)
connaîtra deux moments forts en 2010. En mars des manifestations
auront lieu au niveau local dans environ cinquante pays, sous la forme
de marches à pied comme au Pakistan, de séminaires
thématiques comme au Soudan, ou d’actions de
sensibilisation comme à Cuba. Dans un premier temps, des
rencontres locales seront organisées dans de nombreux pays pour
définir les revendications propres aux quatre champs
d’action communs à toutes les femmes de la MMF. Dès
la mi-mars, de grandes manifestations nationales des femmes auront
lieu, comme en Suisse. Le deuxième point fort sera notre marche
finale au Sud Kiwu. Plus de 500 femmes, surtout dans la région
des Grands Lacs africains, mais avec une forte représentation de
déléguées du monde entier, se réuniront
pour dénoncer l’utilisation systématique du viol
des femmes et des enfants, et se solidariser avec
l’impressionnante résistance des femmes dans cette
région. Dans tous les pays qui enverront une ou plusieurs
déléguées en République démocratique
du Congo, les femmes se mobiliseront durant cette même semaine
pour expliquer quels sont les enjeux de cette terrible guerre de
destruction et pour faire connaître les revendications des femmes
du Sud Kiwu. Entre ces deux moments forts de mars et octobre,
différentes actions seront organisées à
l’échelle continentale, en mai aux Philippines, en juin
à Istanbul, en août en Colombie.

– La Marche mondiale des femmes fête cette année
ses dix ans. Quelle évolution vois-tu entre la marche 2010 et
les deux premières, celles de 2000 et 2005 ?

MS : Pour comprendre le
développement de la Marche mondiale des femmes, il faut la
replacer dans le contexte du développement mondial des dix
dernières années. Dès le début de la MMF,
la critique des politiques néolibérales se trouvait au
centre de nos analyses. Les crises financières,
économiques, environnementales et alimentaires,
développées depuis les années 90 sont en fait
l’expression de la crise d’un modèle de reproduction
sociale – dont l’impact se manifeste principalement dans la
vie des femmes – et qui est basé sur la marchandisation de
toutes les relations humaines, y compris de nos relations avec la
nature.

    J’aimerais relever encore deux autres points.
La pression sur les mouvements sociaux a sensiblement augmenté;
ainsi, depuis le 11 septembre, il n’est par exemple quasi plus
possible d’organiser des rencontres internationales dans des pays
du Nord, simplement parce que de nombreuses femmes se voient tout
bonnement refuser un visa leur permettant de voyager. Pour cette
raison, comme pour beaucoup d’autres encore, il n’est donc
pas simple du tout pour les femmes de se déplacer. Par contre,
ce qui facilite le travail et l’élaboration collective,
c’est le fait que depuis 2000, beaucoup plus de femmes ont
accès à internet. La communication s’est
simplifiée, quoique « la fracture
numérique » reste encore un gros problème.
L’échange des informations (photos et vidéos)
relatives à nos actions est facilité, de là aussi
un sentiment plus directement perceptible de l’existence
d’une véritable solidarité internationale.

    La MMF a aussi progressé su niveau des
analyses : le champ thématique s’est sensiblement
développé. Au cours de ces dix dernières
années, la Marche mondiale des femmes, de simple campagne
qu’elle était à sa création, est devenue un
mouvement international féministe et anticapitaliste,
irréversible et incontournable.

– En tant que déléguée européenne
au comité international, peux-tu nous dire comment la MMF
s’y prend pour impliquer des femmes de pays, de cultures
politiques et d’horizons si différents ?

MS : Le fait même
que la Marche mondiale des femmes existe depuis 10 ans prouve que les
convergences et point communs sont plus importants que les
différences. Malgré l’existence de cultures, de
modes de vies et de contextes différents, nous sommes unies dans
la lutte contre le système patriarcal et capitaliste. La MMF est
un réseau d’organisations de femmes de base, ce qui
signifie que le point de départ de nos analyses et de nos
actions, ce sont les réalités vécues par les
femmes et non les idéologies. A chaque rencontre avec les femmes
d’autres pays, nous apprenons des choses nouvelles sur ces
différents vécus. Et bien sûr, il y a de grandes
différences selon que cette rencontre a lieu à Kigali ou
à Montréal. Pour garantir une participation
équitable entre les différentes régions du globe,
nous veillons non seulement à organiser les rencontres
internationales sur chaque continent à tour de rôle, mais
déplaçons également tous les cinq ans le
secrétariat international d’un lieu à un autre.
Pour garantir une bonne communication entre nous, nous admettons trois
langues officielles dans les rencontres : le français,
l’espagnol et l’anglais.

– Comment procédez-vous en cas de divergences ?

MS : Toutes les grandes
options sont prises lors de rencontres internationales. Le but est de
prendre des décisions consensuelles, de trouver des solutions
que toutes puissent approuver. Lorsqu’on ne parvient pas à
un tel consensus, il y a différentes solutions. Nous recourons
p.ex. à un vote, mais exigeons des majorités de 2/3 et
veillons à ce qu’il n’y ait pas de divergences
à l’échelle d’une même région.
Il arrive parfois aussi que nous devions admettre qu’il y a entre
nous des divergences, voire même des contradictions. Mais nous le
vivons en toute transparence. Je pourrais citer ici deux
exemples : le droit des lesbiennes et le droit à
l’avortement. Dans certains pays ces droits ne peuvent pas
être ouvertement revendiqués sans que les femmes le payent
de leur vie. Ce serait absurde d’exiger dans ce cas que les
femmes participent dans leur pays à une campagne sur ces
thèmes pourtant fondamentaux pour la MMF.

– Pour sa 3e action internationale la MMF a choisi quatre
champs d’action, quels sont vos espoirs ? Y aura-t-il
à ton avis un point fort que vous pourrez faire valoir
internationalement ?

MS : Avec la
mobilisation internationale dans le Kivu et la manifestation
européenne à Istanbul, c’est le champ
d’action « Paix et
démilitarisation » qui sera au cœur de notre
action. Pour nous, il est clair qu’il y a d’importants
intérêts économiques en jeu dans ces conflits, qui
sont le contrôle des ressources minières et de la
biodiversité de cette région, et bien sûr aussi les
bénéfices colossaux de l’industrie de
l’armement et des entreprises de sécurité
privée. Nous voulons révéler les
intérêts cachés des pays du Nord. Nous
espérons montrer que la démilitarisation de la
région est possible, mais pas sans changer le paradigme actuel
selon lequel les missions militaires de l’ONU (appelées
missions de stabilisation) devraient être permanentes. Nous
voulons aussi clairement établir que le corps des femmes
n’est pas un champ de bataille. Nous voulons que cette barbarie
atroce cesse, comme doivent aussi cesser toutes les autres violences
à l’encontre des femmes. Mais les deux autres champs
d’action donneront également lieu à des actions que
nous espérons remarquables. En Suisse, en particulier, mais
aussi dans d’autres pays, un sujet important qu’il faudra
développer, c’est la souveraineté alimentaire,
notamment le développement d’une position
féministe, surtout pour les pays du Nord. Pour avancer sur cette
question, ainsi que sur d’autres comme l’autonomie
économique des femmes, nous voulons renforcer notre
collaboration avec des mouvements alliés.


Toutes et tous dans la rue le 13 mars à Berne…Plateforme de la manifestation des femmes

Du 8 au 17 octobre 2010 aura lieu la troisième action
internationale de la Marche mondiale des femmes. Partout dans le monde
des femmes s’engagent contre la pauvreté et contre les
violences envers les femmes. En mars auront lieu des actions locales,
le 30 juin une manifestation européen des femmes à
Istanbul, et le 17 octobre des femmes de toutes les régions du
monde se retrouveront au Sud-Kiwu (République
démocratique du Congo).
En Suisse nous appelons à une grande manifestation colorée:
Quand les femmes bougent, le monde bouge!

Paix et démilitarisation

La paix c’est bien plus que l’absence de guerre. La
violence armée et la militarisation menacent la
sécurité des femmes bien au-delà des guerres. Nous
luttons pour les droits des femmes vivant dans des régions de
conflits et contre le viol et l’esclavage comme arme et
stratégie de guerre. Nous protestons vivement contre
l’impunité des criminels de guerre, des groupes et des
Etats guerriers. Nous voulons que cessent la fabrication et le commerce
des armes. Nous exigeons que les femmes soient paritairement
associées aux négociations de paix et appelons à
la désobéissance civile en faveur d’une politique
citoyenne de paix.

Violences envers les femmes

Les violences envers les femmes sont structurelles et servent à
contrôler nos vies, nos corps et notre sexualité. Nous
luttons contre la marchandisation du corps des femmes et contre
l’utilisation de leur corps comme arme de guerre. Nous condamnons
toutes les formes de violences envers les femmes : le
féminicide, les mutilations génitales, les crimes
« d’honneur », les mariages
forcés, les violences au sein du couple et des familles, le
tourisme sexuel, le trafic des enfants et des femmes, mais aussi les
violences contre les lesbiennes et les actions punitives à
l’égard des militantes. Nous demandons une politique de
prévention et des subventions pour les structures
d’accueil des femmes. Nous voulons rendre visibles toutes les
formes de résistances au sexisme et aux violences.

Bien commun et services publics

Nous luttons contre la privatisation de la nature et des services
publics. L’eau, l’air, l’électricité,
la formation et la santé doivent être de qualité,
à disposition et accessibles pour toutes et tous. Les femmes
sont particulièrement concernées par le service
public : comme travailleuses, rémunérées ou
non, et comme usagères. Nous défendons aussi le principe
de la souveraineté alimentaire et nous nous engageons contre les
monocultures, pour une production de proximité d’aliments
sains et diversifiés. Nous voulons des énergies
renouvelables, et exigeons la fermeture des centrales nucléaires.

Travail des femmes et autonomie financière

Toutes les femmes doivent pouvoir disposer d’un revenu suffisant
indépendamment de leur nationalité, de leur état
civil, de leur âge et de leur forme de vie. Nous exigeons que les
richesses et le temps soient équitablement réparties et
que le principe de l’égalité salariale soit enfin
concrétisé. Nous nous engageons pour une véritable
sécurité sociale. C’est pourquoi nous nous opposons
en particulier à toute péjoration de l’AVS et de la
loi sur le chômage. Nous exigeons une diminution radicale du
temps de travail sans atteinte au salaire, une meilleure reconnaissance
du travail domestique, un véritable partage des tâches et
la mise à disposition gratuite d’infrastructures
permettant de concilier emploi et vie en famille.