Neuchâtel, un paradis fiscal pour actionnaires

Neuchâtel, un paradis fiscal pour actionnaires

L’idée
d’exonérer d’impôt les entreprises qui
viendraient s’installer dans le canton a pris naissance dans les
années 1970, au sein du parti socialiste. Jean-Pierre Ghelfi,
aujourd’hui président du Conseil d’administration de
la Banque cantonale, en a été l’un des promoteurs.

Le canton était atteint profondément par la crise des
années 70 qui avait vu des dizaines de milliers d’emplois
supprimés dans l’horlogerie. Sous la houlette des
conseillers d’Etat socialistes à la tête du
Département de l’industrie, d’abord René
Meylan, suivi de Pierre Dubois, puis Bernard Soguel, la
mécanique s’est mise en place : des entreprises,
majoritairement américaines, sont venues s’installer dans
le canton, au bénéfice d’une exonération
fiscale d’une durée de 10 ans; certaines sont reparties
à l’approche de la fin des exonérations (Xidex au
Locle, Silicon Graphics à Cortaillod…) en licenciant tout
leur personnel. D’autres sont toujours là, ou continuent
d’arriver. Les exonérations ont toujours été
confidentielles; les élu·e·s, même les
membres des commissions financières, n’avaient pas
accès aux informations. On sait bien qu’il y a toutes
sortes de moyens pour prolonger les exonérations fiscales, mais
tout ça reste secret sous le prétexte, toujours
invoqué, que les patrons n’aiment pas que l’on
déballe sur la voie publique les impôts qu’ils
paient ou ne paient pas. Argument qui a toujours satisfait la
majorité du parlement composée des socialistes, des
libéraux et des radicaux. Nous n’avons cessé de
combattre ces cadeaux aux privilégiés, mais rien
n’y a fait. Dans la durée, ces pratiques ont
commencé à poser quelques problèmes,
essentiellement de trois types :

les patrons locaux ont peu à peu exigé eux aussi des
exonérations. On en est ainsi arrivé, à une
certaine époque, à avoir deux promotions
économiques, l’une
« exogène » et l’autre
« endogène »; de plus en plus
d’entreprises bénéficiaient donc
d’exonérations, rendant le système encore plus
opaque et incompréhensible;

les gouvernements étrangers, en particulier l’Union
Européenne, ont réagi, car il était assez clair
que des multinationales ayant des entreprises dans de nombreux pays,
s’arrangeaient via des transferts de services, de produits ou de
prestations pour faire surgir des bénéfices à
Neuchâtel et ne pas avoir à en déclarer là
où ils auraient dû payer des impôts;

le système de péréquation entre cantons mis en
place par la Confédération a encore corsé le menu.
Pour Berne, le canton de Neuchâtel, au vu des
bénéfices déclarés, est un canton en bonne
situation financière qui devrait donc aider d’autres
cantons… Cette année, Neuchâtel a
échappé de justesse à l’obligation de payer
plusieurs dizaines de millions au pot commun fédéral,
mais ce n’est que partie remise si rien ne change.

La situation devenant intenable, le chef des finances, Jean Studer
(PS), prépare un projet qu’il a présenté
à la presse, ce qui nous a permis de prendre connaissance
d’informations qui avaient toujours été
refusées. Notamment celle-ci : « En 2007,
environ 6200 personnes morales ont payé 114 millions de francs
d’impôt cantonal sur le bénéfice et sur le
capital. Sur ces 6200 sociétés, à peine 122
bénéficient d’allègements. Pourtant, ces
dernières déclarent un milliard de francs de
bénéfice, contre 600 millions pour les 6000
sociétés n’ayant pas de rabais
fiscal ! » (L’Express et L’Impartial du
13 janvier). Un milliard de bénéfices qui
échappent à l’impôt dans un canton dont
l’ensemble des rentrées fiscales
s’élève à 800 millions, correspondant
à un revenu global (ménages, sociétés,
administration publique et assurances sociales) de 5 milliards !
Pas mal. Que le Conseil d’Etat ne vienne plus nous raconter que
Neuchâtel est un canton pauvre !

    En cette période de chômage et de
difficultés financières pour une partie croissante de la
population, on pourrait s’attendre à ce que le canton
propose d’appliquer la loi qui prévoit un impôt sur
le bénéfice de 6 à 10 %. Nenni. Jean Studer
nous annonce qu’on va supprimer les exonérations (bonne
nouvelle), mais baisser les impôts sur le bénéfice
pour toutes les entreprises, le but n’étant pas de mieux
garnir les caisses de l’Etat. Cela signifie que les coupes dans
les prestations et les dégradations des conditions de travail
vont se poursuivre. Que la population et les salarié-e-s se
débrouillent ! Depuis trente ans, le canton de
Neuchâtel est un paradis pour tout actionnaire multinational.
Pour le Conseil d’Etat, il doit le devenir pour tout actionnaire.
Solidarités appelle toutes les forces de gauche à
s’engager pour le maintien du taux d’imposition des
entreprises. Que les actionnaires et propriétaires
d’entreprises prennent leur part des difficultés
présentes !


Henri Vuilliomenet