Sommaire
Envoi d'une référence d'article par mail
N° 162 (28/01/2010). A la une: Haïti: de désastre en occupation?
p. 10
Lien direct: https://www.solidarites.ch/journal/d/article/4180
Ecosocialisme
Quand le capitalisme s’empare du vivant
Dans la livraison de la revue « Les autres voix de la planète » d’octobre 2009, Hélène Baillot dresse le tableau de la bataille silencieuse, mais centrale qui se livre autour des changements intervenus dans la pratique du brevetage. Pendant longtemps, l’exclusion du vivant des brevets était une croyance incorporée, une sorte de tabou.
Mais depuis une trentaine d’années, ce tabou sur le vivant ne cesse d’être transgressé. La mise au point des techniques du génie génétique constitue un tournant majeur en permettant d’identifier, de spécifier, et de modifier la matière vivante, grâce à la molécule d’ADN. C’est ainsi qu’en 1982, la firme General Electric parvient à faire breveter un micro-organisme génétiquement modifié, la bactérie Chakrabarty. Le brevet concerne non seulement le procédé ayant permis d’obtenir la bactérie, mais aussi la bactérie elle-même.
La distinction entre choses brevetables et non brevetables ne passe plus entre les choses vivantes et les choses inanimées, mais entre les produits de la nature, vivants ou non, et les inventions produites par l’activité humaine, y compris vivantes. […]
Brevets et biopiraterie
Aujourd’hui, l’immense majorité des brevets (environ 97 %) sont accordés dans des pays industrialisés, alors même que l’immense majorité des ressources génétiques provient des pays intertropicaux ; on estime que le Nord dépend du Sud jusqu’à 95 % en ce qui concerne la matière première génétique de ses produits les plus importants. L’essor des biotechnologies a transformé les pays du Sud en un gigantesque terrain de prospection. Cette appropriation du vivant est considérée comme un acte de biopiraterie par les populations autochtones du Sud car elle conduit au pillage de leurs ressources naturelles et de leurs savoirs « traditionnels ». Elles se retrouvent aussi dans l’obligation de s’acquitter de redevances pour des produits qu’elles utilisent depuis des générations.Le développement des brevets favorise en outre la création de plantes OGM dont l’utilisation constitue une menace. C’est bien la richesse de la biodiversité du Sud qui pâtit actuellement de ce système, ce qui nous renvoie à la question d’une dette écologique due par le Nord – ce qui ne veut pas dire que les États du Sud sont davantage préoccupés par la conservation de leur biodiversité, souvent mise en balance avec le « développement ».
Les cas de biopiraterie sont nombreux. En 2006, l’Institut Edmonds, aux États-Unis en a répertorié 36 000 touchant des pays africains ; et les Nations Unies calculent que celle-ci rapporte quelque 12 000 millions d’euros par an aux firmes pharmaceutiques. Un exemple : en 1995, l’université du Wisconsin a déposé quatre brevets sur la brazzein, une protéine au pouvoir sucrant deux mille fois supérieur au saccharose. Elle provient de la baie d’une plante poussant au Gabon. Depuis, plusieurs licences ont été accordées à des sociétés biotechnologiques dont l’objectif est d’introduire dans des fruits et des légumes un gène produisant la brazzein afin d’obtenir des aliments au goût sucré, mais moins riches en calories.
De gros bénéfices sont à la clé pour les entreprises du Nord, mais pas pour les paysans gabonais. Pourtant, ceux-ci connaissent les propriétés de cette baie de longue date et ont contribué à l’entretenir de génération en génération. Ce cas n’a rien d’exceptionnel : l’ayahuasca, le quinoa et le sangre de drago, qui poussent dans les forêts d’Amérique du Sud ; le kava, dans le Pacifique ; le curcuma et le melon amer, en Asie, ont d’ores et déjà été brevetés.
Contre le brevetage du vivant
Théoriquement, les brevets peuvent être contestés et annulés. Mais dans la pratique, cela n’a rien d’évident. Il appartient en effet à celui qui s’oppose au brevet de prouver l’antériorité de son utilisation, c’est l’inversion de la charge de la preuve. De plus, la contestation des brevets coûte cher (200 000 dollars aux États-Unis) et nécessite de longues années de procédures et d’expertise juridique. Certains brevets ont certes été rejetés : par exemple, celui de Ricetec sur le riz Basmati, un brevet sur une variété de quinoa, un autre sur la poudre du curcuma (turmeric), une plante médicinale indienne. Une autre affaire remonte à 1994, lorsque Larry Proctor, dirigeant d’une entreprise semencière aux Etats-Unis, en vacances au Mexique, découvre une variété de haricots jaunes très prisée des Mexicains. Il en rapporte alors un sac aux États-Unis, prétend en avoir fait une sélection, et dès 1999 obtient un brevet sur tout haricot de couleur jaune, bloquant alors les exportations mexicaines. Ce brevet lui a été retiré l’an passé.Malgré ces quelques victoires, les pays du Sud restent les grands perdants de ce système ; certains, comme Vandana Shiva, voient alors dans les brevets un instrument de conquête néocoloniale, « prolongeant les privilèges accordés à Christophe Colomb ». Mais plus que « le Nord », ce sont surtout les grandes firmes appartenant aux domaines de la biotechnologie et de la pharmacie qui en sont les principales bénéficiaires.
Les risques de voir émerger des monopoles dans des secteurs tels que la santé et l’alimentation sont alarmants d’autant plus que l’on constate une forte augmentation des demandes de brevet touchant à des plantes conventionnelles.
En 2008, ce sont près de 500 candidatures qui ont été déposées, représentant 25 % de la totalité des dossiers déposés cette année-là, contre 5 % seulement en 2002. La question des brevets renvoie ainsi à des enjeux fondamentaux : biodiversité, développement, santé et alimentation. Plus que la gestion des brevets à l’échelle internationale, ce sont les brevets eux-mêmes qui sont aujourd’hui à remettre en cause lorsqu’ils touchent au vivant.
Hélène Baillot
(coupures et intertitres de la rédaction; article original et notes : www.cadtm.org/Les-autres-voix-de-la-planete-no44)
Au même sujet | Des mêmes auteurs |
---|---|
Ecosocialisme | Hélène BAILLOT |
Agriculture | |
Économie |