Sri Lanka: des élections précipitées après la guerre

Sri Lanka: des élections précipitées après la guerre

Dès son élection en 2005, Mahinda Rajapaksa s’est
engagé dans une guerre sans merci contre les LTTE, les
« Tigres » de libération de
l’Eelam tamoule. Niant les origines ethniques du conflit, il a
prétendu mener une lutte « contre le
terrorisme » et a cherché à anéantir
militairement les « Tigres ».

    Durant l’ultime offensive de
l’armée sri lankaise, entre janvier et mai de
l’année passée, 20 000 civils tamouls ont
perdu la vie sous les bombardements incessants de l’armée
régulière. […]

    Depuis la fin la guerre, environ 300 000 civils
ont été retenus captifs dans des camps
d’internement, sans possibilités de mouvement, ni
même de regroupement familial. Ces détentions arbitraires
avaient pour objectif de repérer et de capturer des membres et
soutiens supposés des LTTE au sein de la population civile des
camps.
    
Après huit mois de guerre, la situation a sensiblement
évolué du fait de la décision du président
Rajapaksa d’anticiper les élections présidentielles.

Capitaliser la victoire militaire

Les élections présidentielles se tiendront le 26 janvier
2010, deux ans avant la date prévue. Mahinda Rajapksa
espère sans doute capitaliser sa victoire militaire contre les
« Tigres ». Mais surtout, en cette
période de crise économique globale, les lendemains de
guerre pourraient s’avérer assez difficiles d’un
point de vue économique pour l’île.
D’où l’intérêt de ne pas trop attendre
pour retourner aux urnes.

    Depuis l’annonce des élections, les
camps ont été ouverts et les 30’0000 Tamouls
internés ont obtenu la liberté de mouvement. Ils sont
maintenant autorisés à retourner dans les zones
qu’ils habitaient précédemment y compris dans le
Nord durement touché par les combats. Le couvre-feu
imposé à la ville de Jaffna depuis plusieurs
années a été levé et la route Ag y
conduisant a été rouverte au trafic civil. Les ouvriers
agricoles tamouls du sud n’ont plus besoin d’autorisation
pour sortir des plantations dans lesquelles ils travaillent et se
rendre à Colombo. Une plus grande liberté de la presse se
fait sentir même si l’autocensure des journalistes et des
militants reste très forte. Le gouvernement n’a pas
supprimé la loi de prévention du terrorisme (Terrorism
Prevention Act) et il continue à l’utiliser contre ses
opposants politiques. […]

    Or, la guerre a cessé il y a plus de 8 mois
maintenant, mais les problèmes politiques qui ont conduit
à ce long conflit armé demeurent inchangés. Le
gouvernement n’a entamé aucune réforme politique
pour répondre aux attentes des minorités ethniques. Il ne
semble pas décidé à favoriser l’autonomie
dans les régions à majorité non cinghalaise.

Une candidature qui bouleverse la donne

Le principal opposant à la candidature de Mahinda Rajapaksa
n’est autre que le général Sarath Fonseka, ancien
commandant en chef des armées, qui a assuré la victoire
militaire contre les « Tigres » tamouls en
mai dernier. Fonseka n’a jamais hésité à
recourir à la rhétorique nationaliste chauvine la plus
virulente pour s’assurer la popularité de la
majorité cinghalaise. On lui doit d’avoir
déclaré : « je crois fortement que ce
pays appartient aux cinghalais; mais il y a des minorités et
nous les traitons comme les nôtres… Ils peuvent vivre dans ce
pays avec nous, mais ils ne doivent pas essayer, sous le
prétexte d’être une minorité, de demander des
choses indues ».

    Les deux candidatures, de Fonseka et de Rajapaksa,
laissent craindre une accentuation de la militarisation de la
société et le renforcement du nationalisme chauvin
cinghalais-bouddhiste. L’augmentation, l’été
dernier, du budget de l’armée de 20 %, lui faisant
atteindre un record de 1,6 milliard de dollars, alors que la guerre
était terminée en est un signe.

    La candidature de Fonseka divise
l’électorat cinghalais et rend l’issue de la
campagne électorale incertaine. Fonseka est soutenue par les
deux principaux partis cinghalais d’opposition, le Parti
d’union nationale (UNP) et le Front de libération du
peuple.

    C’est une alliance inattendue tant Fonseka a
combattu politiquement l’UNP durant toute la dernière
phase militaire. L’actuel dirigeant de l’UNP aurait
été cependant bien en peine de concurrencer la
popularité réelle de Rajapaksa.

    Dans ce contexte, le vote des Tamouls a pris une
certaine importance. Les deux candidats, Rajapaksa et Fonseka ayant
tous les deux beaucoup de sang tamoul sur les mains et étant de
fervents partisans de la suprématie cinghalaise, il est pour le
moins surprenant que Fonseka ait obtenu le soutien de la direction de
l’Alliance nationale tamoule (TNA), considérée
jusqu’à présent comme très proche des
« Tigres ». La TNA a combattu la politique
guerrière du tandem Rajapkasa-Fonseka et appelé durant
plusieurs mois à un cessez-le-feu. Il semble que le seul
dénominateur commun de cette coalition soit
d’empêcher Rajapaksa de faire un second mandat.

    Le soutien accordé à Fonseka a quand
même conduit l’un des 22 parlementaires de la TNA,
M. K. Sivajilingam, à présenter sa propre
candidature aux élections du 26 janvier.

Grain de sable

Ses voltes faces politiques et les marchandages qui les sous-tendent ne
vont sans doute pas encourager les Sri-lankais à aller voter.
Avec le coût de la vie, la corruption est apparue comme un
thème majeur de la campagne. Mais dans la communauté
tamoule, la principale préoccupation reste la question du
retour. Moins de 10 % des 30’0000 personnes
déplacées se sont inscrits sur les listes
électorales et seront donc en mesure de voter. Fort
heureusement, la campagne présidentielle ne se résume pas
à l’affrontement entre deux candidats de la bourgeoisie,
tous deux nationalistes chauvins. Le Front de Gauche, constitué
par le NSSP, section sri-lankaise de la 4e Internationale, le Parti
Communiste Ceylanais (maoïste), le Parti Uni des travailleurs, a
présenté son propre candidat, Wrickamabahu Karunarathne,
dit Bahu. Cette candidature permettra que soient relayées les
revendications des travailleurs quelle que soit leur origine ethnique.
Bahu est aussi bien connu pour son engagement de longue date aux
côtés des Tamouls.

Danielle Sabai

« Asie en lutte » nº 3