Haiti: une catastrophe annoncée

Haiti: une catastrophe annoncée

La faille dont la rupture a provoqué le tremblement de terre
traverse l’île d’est en ouest et passe au sud de
Port-au-Prince. Bien que surpris par le moment précis de la
secousse – qui n’a pas été
précédée des habituels micro­séismes
précurseurs – les géophysiciens savaient que depuis
les deux grands séismes de 1751 et 1771, une énergie,
correspondant environ à cinq mètres de déplacement
et de compression des plaques tectoniques glissant le long de la
faille, avait été accumulée. Pour Pascal Bernard,
de l’Institut de physique du globe de Paris, « la
faille était parfaitement mûre pour un grand
séisme » (Le Monde, 14 janvier 2010).

    En Haïti même, la situation était
connue. En mai 2005, le Bureau des Mines et de l’énergie
(BME) reçoit un rapport intitulé « Projet
d’identification de la menace sismique en
Haïti ». On y lit ceci : « Haïti
est un pays susceptible d’être affecté, à
l’échelle de quelques dizaines d’années par
des séismes de magnitude 7 à 8. Un séisme
d’une telle magnitude est possible sur la faille qui traverse
Port-au-Prince, ce qui résulterait probablement en des pertes
humaines se comptant par milliers et une perte économique
majeure pour le pays. » Puis, plus loin :
« Haïti, en particulier sa capitale Port-au-Prince est
particulièrement vulnérable face aux séismes
à cause d’une concentration importante de la population
(environ 2 millions d’habitants), d’un habitat non
contrôlé en rapide expansion, de constructions ne
répondant à aucune règle parasismique, d’un
manque de préparation de la population et des institutions de
défense et de protection civile et de santé
publique ». L’auteur du rapport, le professeur Eric Calais,
avait donné, dès 2002, des conférences sur
« L’aléa sismique en Haïti, cadre
géographique et temporel ».

    Sur son site, le journal Le Matin d’Haïti
reproduit un article de septembre 2008 où Patrick Charles,
ancien professeur à l’Institut de géologie
appliquée de La Havane, expliquait que « toutes les
conditions sont réunies pour qu’un séisme majeur se
produise à Port-au-Prince. Les habitants de la capitale
haïtienne doivent se préparer à ce scénario
qui finira, tôt ou tard, par arriver […] Pendant ces
dernières semaines, la terre a tremblé à plusieurs
reprises au niveau de la zone métropolitaine de Port-au-Prince
[…] Ces secousses mineures sont inquiétantes. Elles
annoncent généralement des séismes de plus forte
intensité. » Dans le même article, le responsable du
BME ajoutait : « La quantité
d’énergie accumulée entre les failles nous fait
courir le risque d’un séisme de 7,2 d’amplitude sur
l’échelle de Richter. Mieux vaut ne pas en parler, il ne
faut pas paniquer. Mais ce serait une catastrophe. »

    Nous voilà assez loin de la
malédiction et de la malchance évoquées par les
médias. La reconstruction devra se faire en fonction de ce
risque, puisqu’une grande partie de la faille reste encore
intacte et qu’elle peut encore casser, dans quelques
années… ou dans deux siècles.

Daniel Süri

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Naomi Klein et le capitalisme du désastre

La journaliste et militante altermondialiste Naomi Klein, auteure de La
Théorie du choc, a cité, lors d’une intervention
dans le programme télévisé progressiste
« Democracy Now! », un document du
laboratoire d’idées néoconservateur
américain The Heritage Foundation. Il expliquait ouvertement
qu’en plus de l’aide humanitaire immédiate, le
tremblement de terre haïtien donnait l’occasion
d’améliorer l’image de marque des Etats-Unis dans la
région et de restructurer le gouvernement ainsi que
l’économie d’Haïti, en crise depuis un certain
temps. Depuis, le document n’apparaît plus sur le site de
la fondation. Le document certes, mais l’intention ? DS