Sans-papiers en France: l’angoisse quotidienne d’être appréhendé

Sans-papiers en France: l’angoisse quotidienne d’être appréhendé



Après plusieurs semaines de
mobilisations et de grève, qui ont déjà permis la
régularisation de plusieurs milliers d’entre eux, le
mouvement des sans-papiers en France ne faiblit pas. Entretien avec
Moussa, entré en France en 1991, intérimaire chez
Manpower depuis treize ans, et Kanté, entré en 1993 et
intérimaire chez Lider Interim (construction) depuis dix-sept
ans. Ils occupent, avec 40 autres sans-papiers, l’agence
Manpower de Montreuil.

Pourquoi êtes-vous en grève et quels sont vos objectifs ?

En tant que travailleurs sans-­papiers, les patrons nous
exploitent. On n’est pas payés pour la valeur de notre
travail. Certains d’entre nous sont maçons et sont
payés en tant que manœuvres. Certains sont grutiers,
bancheurs (travail sur les armatures métalliques noyées
dans le béton, réd.), coffreurs, etc. Beaucoup ont des
qualifications, mais les patrons payent toujours en dessous de
celles-ci. Même quand on est en grève, les patrons peuvent
nous appeler pour nous faire venir sur des chantiers dès le
lendemain matin. Ce n’est pas juste. On est donc
déterminés jusqu’à ce que l’on soit
tous régularisés. Pourquoi veut-on être
régularisés ? Parce qu’en partant au
travail, pour faire des courses, on a peur de sortir. Chaque jour, on
se demande si on sera arrêté ou pas. Tous les jours depuis
dix ans, quinze ans, on vit avec cette angoisse de ne pas avoir de
papiers. Il faut que le monde entier soit au courant de cela pour
qu’on puisse avoir nos papiers. C’est franchement
difficile. On n’est pas des criminels, mais des travailleurs
comme tout le monde. On travaille, on cotise et on n’a aucun
droit.

Quelles démarches ont été faites pour obtenir des papiers ?

Pour satisfaire aux critères de régularisation, on nous
avait dit au départ qu’il fallait dix ans de
présence. Certains ont déposé leur dossier. Mais
les préfectures ont refusé, arbitrairement. Même
chose avec le nouveau critère de cinq ans. Certains parmi les
grévistes ont déposé leur dossier depuis juin
2008. On leur a dit qu’ils n’obtiendraient pas leurs
papiers tant que leur patron ne leur a pas donné leur formulaire
Cerfa (engagement patronal à verser une redevance, réd.).
Mais certains d’entre nous ont fourni ce document depuis un an ou
plus et leurs dossiers sont toujours bloqués à la
préfecture. On n’arrive pas à comprendre pourquoi.
On leur fournit ce qu’ils demandent, mais cela ne marche pas. On
n’obtient aucune réponse. Ils peuvent nous expulser
demain, mais demain on va revenir, on est déjà
habitués. Qu’ils nous laissent travailler tranquillement
avec des papiers. Les Français pourront bénéficier
de notre travail et nous aussi on bénéficiera du travail
qu’on fait.

Que pensez-vous de la nouvelle circulaire du gouvernement ?

On a réuni tous les grévistes et on a estimé
qu’elle n’était pas bonne, car elle fait du cas par
cas. Elle demande cinq ans de travail, mais certains travaillent
déjà depuis dix ou quinze ans sans être
déclarés, dans des emplois de gardiennage par exemple,
mais aussi des femmes qui peuvent même travailler à
domicile. Nous, ce que l’on veut, c’est une circulaire qui
permette de régulariser tous les travailleurs sans-­papiers.
Les Algériens, les Tunisiens, qui travaillent comme les autres
ne sont pas concernés par cette circulaire. C’est pour
cela qu’on continue la grève.

Que pensez-vous des évacuations lors de certaines occupations ?

On n’arrive pas à comprendre comment on peut faire
évacuer immédiatement par la police un gréviste
occupant un chantier sur lequel il a travaillé. Sans
autorisation du juge. Quand les policiers viennent sur les chantiers,
on leur montre tous les documents nous donnant le droit
d’être là, les fiches de paye, etc. Les policiers ne
les regardent même pas. On est traités comme des bandits.
On pourrait leur dire : « nous, on travaille ici,
et vous n’avez pas d’ordonnance du tribunal »,
mais on respecte l’État. Si on occupe les chantiers,
c’est parce que cela ne sert à rien d’occuper le
siège d’une boîte d’intérim où
l’on ne travaille pas. Il faut occuper le chantier pour que le
patron soit au courant de la grève. Toutes les boîtes
qu’on a occupées, on y a travaillé, on en a les
fiches de paye.

L’unité et le soutien sont-ils importants ?

Il y a un collectif auquel participent onze organisations au niveau
national. C’est très important pour nous et le soutien de
la population aussi. Il y a pas mal de gens qui ont signé la
pétition. C’est important que la population comprenne le
sens de notre grève : les sans-papiers sont avant tout
des travailleurs. Il y a 2500 entreprises touchées par la
grève. Cela monte tous les jours.

Quels conseils aux sans-papiers qui ne sont pas encore en grève ?

On s’adresse à tous nos camarades qui ne sont pas encore
en grève. On leur conseille de venir nous rejoindre, de se
mettre en grève. Celui qui n’est pas en grève, qui
continue à travailler et qui va se faire contrôler, va
pleurer ce jour-là en regrettant de ne pas s’être
joint à nous.

Propos recueillis par Albert Michel « TEAN », 7 janvier 2010