Logement : double discours du Conseil d’Etat vaudois

Logement : double discours du Conseil d’Etat vaudois



Alors que le gouvernement vaudois
reconnaît qu’une grave pénurie de logement frappe le
canton, il supprime dans le même temps la gratuité du
Tribunal des baux dont le recours est pourtant plus que jamais
nécessaire aux locataires en période de crise du logement.

Les quelque 70 % de locataires vaudois sont confrontés
à une situation très difficile qui va s’aggravant
notamment en raison de l’augmentation démographique (16
000 habitant-e-s en plus dans le canton en 2008). Le taux de vacance
(pourcentage de logement libre) est en effet descendu à
0,4 % dans le canton en 2009 (contre 0,5 % en 2008),
alors que le marché de l’immobilier est dit en situation
de pénurie lorsque ce taux passe en dessous de 1,5 %
déjà. Dans certains districts et agglomérations,
le taux de vacance atteint même des niveaux jamais vus :
0,3 % à Morges, Nyon ou La Vallée, 0,2 %
dans l’Ouest lausannois et dans le district de Lavaux-Oron et,
pire que tout, moins de 0,1 % à Lausanne; preuve que le
bilan d’une municipalité « de
gauche » en matière de logement, pourtant au
pouvoir depuis 20 ans et malgré les effets d’annonce
liés au projet Métamorphose, demeure très
insuffisant. Une telle situation de pénurie nuit avant tout aux
personnes précaires et au revenu les plus faibles
(chômeurs, jeunes en formation, travailleurs pauvres, etc.) dont
les dossiers sont directement mis à la poubelle par les
gérances. Ainsi, à la rentrée 2008, un certain
nombre d’étudiant·e·s ont dû
s’exmatriculer de l’Université de Lausanne faute de
logement (Le Temps, 27.08.2009).

Pour une politique cantonale de construction de logement

La situation de pénurie est tellement grave qu’elle a
amené le Conseil d’Etat à prendre quelques mesures
en ce début d’année, moins dans le souci des
locataires d’ailleurs que sous la pression des milieux patronaux
qui s’inquiètent qu’une pénurie si profonde
puisse nuire à l’implantation de nouvelles entreprises
dans le canton, celles-ci ne trouvant pas à loger leurs
salarié·e·s (L’Hebdo, 19.05.2008). De fait,
les mesures annoncées par le Conseil d’Etat, même si
certaines représentent des pas timides dans la bonne direction,
sont loin de répondre aux besoins des locataires.

    Ainsi, si le gouvernement prévoit de
favoriser l’acquisition de terrain par les communes au moyen de
prêts à taux préférentiel, il stipule dans
son communiqué de presse du 17 décembre dernier, que ces
terrains devront être équipés aux frais des
communes, puis revendus aussitôt à des promoteurs
immobiliers. Or, les milieux immobiliers ont assez prouvé ces
dernières années leur peu d’empressement à
lutter contre une pénurie dont ils profitent largement
puisqu’elle représente un puissant moteur de
poussée des prix des loyers. Ils ont aussi
démontré qu’ils n’avaient pas
d’intérêt à investir dans des logements
à loyer modéré.

    Dès lors, une politique volontariste des
autorités s’impose, qui ne peut se borner à brader
des terrains aux promoteurs immobiliers. C’est du reste ce que
stipule la Constitution vaudoise acceptée en 2002 en votation
populaire, qui stipule dans son art. 67 que « L’Etat
encourage la mise à disposition de logements à loyer
modéré ».

    Seule l’acquisition de patrimoine foncier par
l’Etat en collaboration avec les communes –
aujourd’hui détenu à près de 95 % par
des privés en Suisse – et la construction de 2000 nouveaux
logements par année dont 500 subventionnés par ces
mêmes collectivités, permettrait de mettre fin à la
pénurie. Si la majorité de droite du Conseil d’Etat
se refuse à prendre en main elle-même la construction de
logement, c’est qu’elle est bien décidée
à laisser ce juteux marché en mains privées. Il
faut pourtant souligner, comme l’a montré une étude
du Service cantonal de recherche et d’information statistiques,
que la construction de logement par les collectivités publiques
n’augmente pas leurs charges puisque l’encaissement des
loyers amortit les frais de construction. Une politique
d’acquisition de terrains et de construction de logement,
notamment à loyer modéré, qui passerait par la
mise sur pied d’une Fondation cantonale de droit public pour le
logement, serait plus conséquente qu’une augmentation de
l’aide individuelle aux locataires modestes (que le canton a fait
passer de 500 000 à 1,5 millions de francs annuels) qui,
si elle est nécessaire à court terme, n’en
représente pas moins en dernière instance une subvention
indirecte aux propriétaires.

Par ailleurs, plutôt que de favoriser la vente du patrimoine
foncier aux promoteurs immobiliers, l’Etat devrait
privilégier le soutien aux coopératives
d’habitation par des mises à disposition de terrain et par
des subventions. Les loyers des coopératives sont en effet en
moyenne 20 % moins chers et elles évitent aux locataires
les traditionnels abus des propriétaires
(« congés vente », hausse abusive de
loyer en cas de changement de locataires, indexation des loyers quand
les taux hypothécaires sont en hausse mais pas quand ils sont
à la baisse, surfacturation des charges, etc.).

La gratuité du Tribunal des baux, un droit populaire

La situation de grave pénurie augmentant les abus des
propriétaires, les conflits entre bailleurs et locataires se
sont multipliés dans le canton ces dernières
années (+40 % de cas depuis cinq ans au Tribunal des
baux, 600 affaires pendantes début 2009). Au lieu
d’augmenter le personnel du Tribunal – il manque quatre
juges à plein temps sans compter les secrétaires et
greffiers – le conseiller d’Etat Leuba, par ailleurs ancien
directeur de la Chambre immobilière vaudoise, a
décidé de le rendre payant, alors même que sa
gratuité avait été décidée en 1983
en votation populaire. De plus, une avance de frais serait
désormais demandée aux plaignants. Cette proposition
– antisociale car elle a pour objectif de dissuader les
locataires de défendre leur droit – a été
acceptée en première lecture par le Grand Conseil. Elle
sera combattue en référendum par solidaritéS comme
par l’ensemble de la gauche et par l’ASLOCA. 

Hadrien Buclin