Amnistie fiscale jurassienne: un beau cadeau de Noël pour les riches fraudeurs

Amnistie fiscale jurassienne: un beau cadeau de Noël pour les riches fraudeurs



Dans la lutte sans merci que se
livrent les cantons pour attirer les contribuables millionnaires voire
milliardaires, le gouvernement jurassien vient de frapper un grand coup.



Alors que la crise économique frappe de plein fouet
l’économie du canton du Jura entrainant une cascade de
licenciements, en particulier dans l’industrie
d’exportation, le gouvernement jurassien semble avoir
d’autres soucis que de s’occuper de ses 8,2 % de
demandeurs d’emploi comptabilisés en novembre.
D’ailleurs, les caisses de l’Etat ont été
décrétées vides – alors même que la
dette a été divisée par deux depuis 2003 –
et le Conseil d’Etat vient de lancer un plan
d’austérité visant à économiser 21
millions par an, notamment par des coupes dans le budget de
l’hôpital cantonal.

    Ce qui le préoccupe avant tout, c’est
de se profiler dans la lutte qui fait rage entre paradis fiscaux
cantonaux, ce qui implique de pouvoir rivaliser avec les très
compétitifs Obwald, Zoug ou encore Schwyz. Depuis quelques
années, le canton a ainsi égrené un chapelet de
rabais fiscaux en faveur des grandes fortunes, des actionnaires et des
entreprises : 25 % de baisse de l’imposition sur la
fortune en 2005, 75 % de baisse de l’impôt sur les
holdings ayant un chiffre d’affaire annuel de plus de 100
millions en 2006, réduction de l’imposition des dividendes
en 2009 et baisse de 1 % par an de l’impôt sur le
revenu et les bénéfices des sociétés, et ce
jusqu’en 2020 ! Mais ce n’est toujours pas assez aux
yeux d’un gouvernement bourgeois qui vient de sortir
l’artillerie lourde : une amnistie fiscale.

Tapis rouge pour argent noir

Théoriquement, en droit suisse, une amende pouvant
s’élever à 3 fois le montant soustrait est
susceptible de sanctionner les fraudeurs. Avec l’amnistie
jurassienne, c’est le contraire. Non seulement aucune amende ne
sera prescrite pour les fraudeurs repentis dès le 1er janvier
2010, mais en plus, des taux fixes très
préférentiels au regard de la moyenne suisse ont
été fixés, en particulier pour les grosses
fortunes qui sont normalement imposées de façon
progressive (4 % sur l’héritage, 13 % pour
les contribuables salariés ayant soustrait une part de leur
revenu, 23 % pour les propriétaires de
société, le tout incluant l’impôt
fédéral direct) ; à quoi il faut ajouter un
rabais extraordinaire de 20 % pour les fraudeurs choisissant de
se repentir en 2010 déjà. Ainsi, pour une personne ayant
soustrait un million de francs d’héritage,
l’impôt ne s’élèvera qu’à
36 000 fr., contre 75 000 fr. dans le canton de Vaud par
exemple (sans compter l’amende qui devrait normalement
sanctionner une telle soustraction).
    Une récompense pour avoir fraudé le
fisc en quelque sorte… mesure qui risque de rester en travers de
la gorge du/de la salarié·e ordinaire qui n’a
d’autre choix que de payer ses impôts sur la base de sa
fiche de paie et sur sa consommation via la TVA. De même,
il·elle pourrait garder un goût amer de ce taux
d’imposition unique qui profite aux plus riches des fraudeurs, et
que le gouvernement justifie, dans un communiqué du 30 novembre
dernier, par le délicat souci de ménager la santé
psychique des évadés du fisc : « Le
contribuable pourra calculer lui-même le montant
d’impôt dû en évitant une procédure
psychologiquement difficile. »

Sous enchère

Cette amnistie ne s’adresse pas aux seuls
résident·e·s jurassiens, mais à tout
habitant·e helvétique qui serait désireux de
déclarer une somme cachée en bénéficiant
d’un rabais d’impôt moyennant un changement de
domicile fiscal ; ce qui montre que cette amnistie
s’inscrit dans la sous enchère fiscale entre cantons,
procédé que Le Temps salue comme « une
audace bienvenue dans la jungle fiscale des cantons »
(1.12.09) qui ferait sortir le Jura de son statut de
« pauvre périphérie
pleurnicharde ». Quant au Ministre des Finances
Hans-Rudolf Merz, contrairement à l’amnistie fiscale
italienne qui, il y a peu, le mettait en rage, il salue ici
« la créativité et l’esprit
d’initiative du canton du Jura ». Notons
d’ailleurs que cette forme de sous enchère fiscale est
encouragée par une modification de la loi fédérale
sur l’impôt fédéral direct entrant en vigueur
le 1er janvier 2010, qui, en cas de dénonciation
spontanée, supprime toute forme d’amende pour les
héritiers ayant soustrait une succession. Ironie de
l’histoire, dans le message du Département des finances
accompagnant cette modification de loi (11.09.08), celui-ci souligne
qu’il s’est borné à une amnistie sur les
successions car « une amnistie fiscale
générale soulève par essence de grands
problèmes aux niveaux juridique et éthique »
– problèmes qui ne semblent pas embarrasser le
gouvernement jurassien…

    Pourtant, plutôt qu’une amnistie inique
aux yeux des citoyen·ne·s ordinaires, le canton pourrait
mettre en œuvre d’autres moyens pour lutter contre une
fraude fiscale que le ministre des finances jurassiens estime à
1 milliard dans son canton ( ! ) sur 12 milliards
d’actifs déclarés : par exemple en
renforçant les contrôles et les expertises au domicile des
gros contribuables et en menaçant les fraudeurs de la peine
pécuniaire maximale.

    La sous-enchère fiscale
effrénée à laquelle se livrent les cantons –
et dont les amnisties pourraient être la version adaptée
aux cantons de culture catholique, sorte de trafic d’indulgences
des temps nouveaux (le gouvernement tessinois en envisage une aussi)
– est en tous les cas un jeu perdant pour les
salarié·e·s qui subissent les coupes dans les
prestations, conséquence de la baisse des recettes de
l’Etat. De plus, les entreprises et les grandes fortunes se
livrent à un chantage permanent au déménagement,
visant à payer toujours moins d’impôt. Comme le
soulignait un habitant d’Obwald cité par 24 Heures
(22.05.09) : « Les gens fortunés viennent
construire des maisons, les firmes implantent leur siège, mais
personne n’habite vraiment ici et peu de places de travail sont
créées. On a parfois l’impression
d’être la grande boîte aux lettres des
riches. » A Obwald d’ailleurs, les loyers sont
devenus aussi chers que dans certains quartiers huppés de
Zurich, compliquant singulièrement la vie des
habitant·e·s de ce canton rural, qui n’ont pas tous
la chance d’être millionnaires. 

Hadrien Buclin