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N° 160 (17/12/2009). A la une: Assurance chômage: attaques brutales et antisociales
p. 16
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Culture
« Persepolis »: à la découverte de l’Iran et de ses luttes
Le 7 décembre dernier, les universitaires iraniens manifestaient leur opposition au régime, à l’occasion de la journée nationale des étudiant-e-s. Cette date est célébrée chaque année en commémoration de la mort de trois jeunes gens lors d’affrontements avec la police du Chah. Ces événements remontent à 1953, quelques mois après le coup d’Etat ourdi par les Etats-Unis et l’Angleterre, qui avait destitué le leader nationaliste de gauche Mohammad Mossadegh. Il y a 56 ans, les étudiant-e-s protestaient contre le voyage de Richard Nixon, Vice-président des Etats-Unis, en Iran; aujourd’hui, ils manifestent contre le régime ultra-conservateur de Mahmoud Ahmadinejad. Toujours la lutte contre l’oppression! C’est à cette enseigne que l’on peut lire la bande dessinée en quatre volumes de la jeune iranienne et française Marjane Satrapi, « Persepolis ». Retour sur un succès de librairie.
«Déjà à l’âge de six ans, j’étais sûre d’être la dernière des prophètes […]. Je voulais être prophète car notre bonne ne mangeait pas avec nous à table, car mon père avait une Cadillac et surtout parce que ma grand-mère avait toujours mal au genou.» C’est ainsi que Marjane Satrapi entame le premier volume de Persepolis, une narration simple, soutenue par un dessin sobre en noir et blanc et par des éclats d’humour qui entraînent le lecteur·trice dans l’univers d’une petite fille qui grandit. Célébrée parfois comme un « choix en faveur des valeurs occidentales » ou comme un « hymne à la liberté des femmes dans les pays musulmans », l’œuvre de Marjane Satrapi s’avère bien plus complexe.
Lutter en Iran et ailleurs
C’est tout d’abord à une découverte de l’Iran que l’auteure nous invite en prenant prétexte de sa propre histoire. Un pays qu’elle aime et qu’elle entend rendre accessible à un public occidental trop enclin à ne voir dans cette partie du monde que fanatisme et terrorisme. A la lecture de sa bande dessinée, cette volonté de mise au point apparaît presque immédiatement. Ainsi, dresse-t-elle un tableau sans concessions de la dictature du Chah et de la répression des opposant·e·s. Sa famille communiste, issue pourtant de la bourgeoisie iranienne, mais aussi les amis de ses parents en offrent déjà quelques exemples de choix. Elle donne ainsi un cadre pour comprendre la révolution iranienne et surtout sa légitimité : « Je suis tellement contente – fait-elle dire à sa grand-mère dans le volume 1 – que ce soit enfin la révolution, parce que le Chah… ».
Marjane Satrapi produit en outre une série de comparaisons qui ne laissent pas d’étonner celles et ceux qui n’ont pour première approche de cette œuvre que les comptes-rendus de la presse occidentale : « Puis j’ai étudié l’histoire de la Commune [la Commune de Paris de 1871, S.P.] – écrit-elle dans le troisième volume – j’en ai déduit que la droite française de cette époque valait bien les intégristes de mon pays ». Jouant sur la naïveté de l’enfant ou de l’adolescente, Marjane Satrapi réussit à rapprocher les expériences historiques de l’oppression, de la répression et des mouvements de lutte pour l’émancipation de plusieurs époques et continents. Ne faisant pas de l’Iran un ailleurs, mais bien un ici de la lutte.
La double absence
Lorsque Marjane Satrapi entame l’écriture de Persepolis en 2000, elle a alors trente-et-un ans ; elle a quitté l’Iran pour la deuxième fois en 1994, dans l’intention de ne plus y revenir. Son inspiration, elle la doit en grande partie à cette « double absence » – de son lieu d’origine, mais aussi de son lieu de destination – qui frappe toute expérience migratoire. Aussi, le volume 3 de Persepolis, où elle relate son premier exil en Autriche, alors qu’elle n’est âgée que d’une quinzaine d’années, est particulièrement intéressant. Se trouvant seule dans une société le plus souvent hostile, elle cherche à s’échapper par tous les moyens ; la consommation de drogue fait notamment partie de cette expérience traumatisante.Trouvant trop pénible l’absence de ses parents, mais aussi l’éloignement de son pays en guerre, elle tente de s’inventer des liens avec la société iranienne en reconstruisant minutieusement chacune des étapes de sa vie au pays. Mais ce troisième volume n’éclaire pas seulement l’épreuve de la migration ; il est aussi l’occasion de tenter de questionner, si ce n’est de mettre en cause, les valeurs prétendument démocratiques sur lesquelles reposent les sociétés européennes. Une distance critique et humoristique bienvenue, il faut bien l’avouer, particulièrement aujourd’hui.
Un hymne à l’émancipation des femmes… et à celle de tous les opprimés
Dans les comptes-rendus consacrés à Persepolis, la focalisation exclusive sur la condition des femmes dans l’Iran des mollahs a occulté l’un des messages sans doute les plus importants de cette œuvre. En effet, Marjane Satrapi dénonce la condition faite aux femmes en la liant étroitement à la répression de toute forme d’opposition ou de résistance aux différents régimes réactionnaires qu’a connus le pays. Elle montre également comment les femmes iraniennes ont pu (et peuvent encore) ruser avec les prescriptions qui leur sont faites.Loin de dessiner une société figée et monolithique, l’auteure dévoile les failles d’un système agissant sur un pays jeune qui voit aussi chaque année augmenter le nombre de femmes dans les cursus universitaires. Une société où couve la révolte dans laquelle les femmes, avec ou sans voiles, ont un rôle cardinal à jouer.
Stéfanie Prezioso
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